Publié le 5 Jun 2018 - 19:14
GUINEE

L’histoire agitée de la Mosquée sénégalaise de Conakry

 

La Mosquée sénégalaise de Conakry est un patrimoine symbolique dans l’imaginaire des Guinéens et des Sénégalais vivant  dans la capitale. Seulement,  du fait de repli identitaire et de dérives autoritaires, l’histoire de cette maison de  Dieu est loin d’être un long fleuve tranquille. Reportage.

 

Boulevard de la République, dans la commune de Kaloum (rue 019). Nous sommes en plein centre-ville, à Conakry. Le palais Sékoutoureyah, l’ambassade du Sénégal (chancellerie) et la Mosquée sénégalaise sont nichés dans le même carré, étranglé par la presqu’île. Ici, tout le monde est pressé. Un changement brusque du climat (formation d’une tornade) et l’appel du muezzin font accourir les fidèles musulmans vers le lieu de prière le plus proche. Il s’agit de la Mosquée sénégalaise. Avec sa peinture verte et son  minaret unique, elle présente un plan architectural quelque peu singulier dans la kyrielle de mosquées qui pullulent à Conakry.

Aux alentours, des handicapés mendiants, des marchands ambulants ou des tabliers. L’endroit est aussi, par excellence, un haut lieu de rencontres et d’échanges entre érudits sufi du Sénégal et de la Guinée. Au premier angle, non loin de l’entrée principale, s’est installé un commerçant à la boutique bien achalandée, en cette période de ramadan : exemplaires du noble Coran, chapelets, nattes, tapis de prières, planchettes, etc. Rien que par son accoutrement, le visiteur peut présumer de l’identité sénégalaise du propriétaire de la place. Et au fur et à mesure que l’on s’y approche, la certitude s’installe avec son accent sénégalais et les photos de Serigne Touba qui trônent sur toute sa marchandise. Pour avoir connu beaucoup de déboires dans sa vie, ce Sénégalais, pourtant fier, dit avoir pris l’option d’être loin des projecteurs et des médias, pour convenances personnelles. D’où sa réticence à révéler son identité à la presse, malgré sa disponibilité à coopérer pour aider tout journaliste sénégalais à entrer en contact avec l’administration de la mosquée.

Au bout de quelques minutes de prise de contact, arrive Aïcha Touré, une  Guinéenne qui a fait son cycle primaire au Sénégal et qui parle couramment le wolof. Evoluant dans l’import-export entre Dakar et Conakry, cette commerçante de prêt-à-porter au teint noir et au regard aguicheur, est venue prendre des nouvelles de ses amis sénégalais. ‘’Je suis une Guinéenne, mais j’ai beaucoup plus d’amis sénégalais que guinéens. C’est pourquoi je suis toujours ici, car mon destin est lié quelque part au Sénégal où j’ai grandi. Avec mon petit commerce, je fais régulièrement la navette entre Dakar et Conakry’’, déclare la dame assise à la place de son ami commerçant.

Repli identitaire

La prière de 14 h terminée, l’imam ratib est désormais disponible pour nous recevoir afin de nous retracer l’histoire de la maison qu’il dirige depuis des années. ‘’La Mosquée sénégalaise a été fondée en 1919 par le Sénégalais El hadj Ibrahima Seck et ses compagnons. Il  avait acheté le terrain à 6 000 F à l’époque. Le titre foncier qui nous appartient également avait été acheté au même prix. C’est effectivement à la date du 5 octobre 1922 que des fidèles musulmans ont commencé à prier officiellement dans cette maison de Dieu. En 1950, les premiers grands travaux de construction ont été lancés. D’autres travaux de grande envergure pour sa réfection suivront plus tard, en 1980.  Il aura fallu attendre le 5 juin 2013 pour l’achèvement de cette deuxième phase de reconstruction de la mosquée dont la capacité d’accueil est de 3 000 personnes, y compris l’espace réservé aux femmes à l’étage’’, résume Mamadou Saw.  A en croire l’imam ratib, cette histoire de la mosquée n’a pas été linéaire. Sa réouverture, en 2013, après la réfection, a été mouvementée. Les réflexes identitaires s’étaient invités dans la maison de  Dieu. Les tensions étaient telles qu’elle fut momentanément fermée par le gouvernement. ‘’Les natifs  de Kaloum (Soussou) avaient dit que je n’avais pas le droit de faire mon sermon en wolof et en pulaar. Pour eux, puisque nous sommes en territoire guinéen (Kaloum) où les autochtones étaient les Soussou, je devais  forcément faire mes sermons en langue locale soussou. Pourtant, l’essentiel du public qui prie dans notre mosquée reste majoritairement  composé de Sénégalais et de Guinéens qui  comprennent parfaitement  le wolof et le pulaar’’, a-t-il fait remarquer.

Refus de prier pour le Syli national

Face à la réticence de l’administration de la mosquée d’accéder à la volonté de la communauté soussou de voir les imams sénégalais intégrer la langue soussou dans leurs sermons, des heurts avaient éclaté et conduit à la destruction des grillages de la mosquée. Au regard de l’ampleur de la tension, le secrétaire général aux Affaires religieuses (rang de ministre), El hadj Abdoulaye Diass, a dû intervenir le 10 juillet 2013 pour calmer les ardeurs. Une délégation composée de 5 Guinéens, de 5 Sénégalais et de 5 autres membres de la Ligue islamique nationale, s’était rendue à la primature où un compromis avait été trouvé. Le chef du gouvernement guinéen avait tenu à rappeler aux Guinéens, qui étaient à l’origine de ces événements, que la mosquée est une propriété exclusive des Sénégalais. Par conséquent, l’accord qui a été paraphé prévoit que l’imam Ratib et ses deux premiers adjoints doivent être sénégalais. D’où la confirmation d’El hadj Mamadou Saw secondé par imam Pathé Ka. Aujourd’hui, sur les 5 imams que compte la mosquée, les 3 premiers sont sénégalais et les deux autres guinéens.

Outre la question de l’imamat, la Mosquée sénégalaise a également connu une suspension de près de 45 jours par le secrétariat aux Affaires religieuses. Pour quelles raisons ? ‘’El hadj Diass avait ordonné de suspendre la mosquée pendant 45 jours parce que, dit-il, nous avions refusé de suivre une directive de son département. Il s’agissait de formuler des prières dans toutes les mosquées du pays pour la victoire du Syli national (l’équipe nationale de football)’’, se remémore l’imam Saw.

L’intervention de Condé

Il a fallu l’intervention du président Alpha Condé, qui s’est déplacé en personne à la Mosquée sénégalaise, pour mettre les points sur les ‘’i’’. ‘’Cette mosquée appartient aux Sénégalais et c’est à eux de la diriger et de l’administrer. Puis, le président de la République a instruit son ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (ministre de l’Intérieur) de prendre les mesures qui s’imposent pour mettre les Sénégalais dans leurs droits’’, rapporte l’imam Mamadou Saw.

S’agissant des rapports entre les imams sénégalais et leurs coreligionnaires guinéens, El hadj Saw affirme de manière péremptoire que, fondamentalement, il n’y a aucun problème entre les deux communautés. ‘’Il y a pas mal de Guinéens qui viennent prier dans notre mosquée où également nous avons des imams guinéens avec qui nous entretenons d’excellentes relations. Ces agitations que nous avons connues sont tributaires du repli identitaire que connait, hélas, le pays. Ce qui fait que chaque communauté cherche à se positionner dans tous les secteurs de la vie et cherche à occuper toute position de pouvoir’’.

Au-delà de la mosquée, la communauté sénégalaise de Guinée est aussi visible dans beaucoup d’autres endroits de la capitale. Comme sur la route Le Prince où la circulation est moins intense, en ce deuxième jour du ramadan très ensoleillé dans la haute banlieue de Conakry. Sur les hauteurs  du camp Alpha Yaya Diallo, l’on peut apercevoir, à une trentaine de mètres du rond-point Cosa, les boutiques bien  approvisionnées. Sur le même alignement des commerces, le restaurant de Fatou Faye se distingue facilement. A sa porte d’entrée, deux photos frappent les visiteurs : la première est une photo du candidat Macky Sall en 2012 et la seconde, à droite, l’inoxydable et unique cliché (en grand format) de Serigne Touba Khadim Rassoul. Sur la même porte, une autre affiche qui s’adresse aux Sénégalais vivant  en Guinée. Il s’agit du programme des journées culturelles de la communauté sénégalaise dont l’essentiel des activités se tient à la Mosquée sénégalaise, deuxième ‘’ambassade’’  des Sénégalais à Conakry.

Pour n’avoir pas reçu l’autorisation de son époux Babacar Mbow en déplacement au Sénégal, la gérante Fatou n’a pas voulu se prêter à nos questions. Même sort pour notre demande d’interview déposée à l’ambassade qui n’a pas connu une suite favorable.

MAMADOU YAYA BALDE (ENVOYE SPECIAL)

 

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