Publié le 11 Sep 2019 - 14:17
INCARCERE ET EN GREVE DE LA FAIM

Les options qui s’offrent à Adama Gaye

 

Le journaliste, détenu depuis le 29 juillet 2019, a entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de son incarcération. Son avocat explique à ‘’EnQuête’’ les mécanismes qui l’y retiennent et ceux qui pourraient le délivrer.

 

C’est sans doute une pure coïncidence. Au moment où le ministre des Affaires étrangères, Me Amadou Ba, vantait les progrès et mérites du Sénégal à la 42e Session du Conseil des Droits de l’homme en Suisse (du 9 au 27 septembre), les amis d’Adama Gaye voyaient rouge. Au point que leur dénonciation des conditions de détention de Me Gaye a ramené la situation des droits au Sénégal, par analogie, à une situation historique peu enviable.  

‘‘Il est un otage, dans des conditions de détention inhumaines et indignes, pires qu’au Moyen-Age ou comme dans les cales des bateaux négriers durant l'esclavage avec 3 000 prisonniers entassés comme des sardines dans des chambres exiguës et puantes à la prison vétuste de Rebeuss à Dakar prévue pour 800 personnes...’’, s’est indignée par communiqué Hulo Guillabert, membre du Cercle des amis d’Adama Gaye.

Au deuxième jour (hier) d’une grève de faim qu’a entreprise M. Gaye pour protester contre les conditions de sa détention, l’option de la diète ne ravit toujours pas son avocat. ‘‘A la limite, c’est contre-productif avec ces gens-là’’, a déploré Me Koureyssi Ba hier au téléphone d’’’EnQuête’’. L’avocat, qui parle en connaissance de cause, ayant eu un vécu similaire avec la diète de cinq jours de Barthélémy Dias en 2011, qui s’était vu refuser la possibilité d’expédier les affaires de sa mairie en prison, est néanmoins d’attaque pour tirer son client des mailles de la justice sénégalaise. ‘‘L’entêtement légendaire’’ de M. Gaye a même eu un petit effet, puisque la proposition de changer de chambre a été faite au détenu. ‘‘Mais Adama Gaye a rejeté d’un revers de la main cette proposition malhonnête, tardive et insignifiante dans d’autres secteurs, dans une moins mauvaise chambre’’, nous apprend son avocat.

La robe noire ne comprend pas que son client soit mis d’autorité dans la chambre des détenus de droit commun, alors que l’Administration pénitentiaire (Ap) a un règlement qui admet la discrimination positive entre les détenus de droit commun et les détenus privilégiés, du moins les détenus spéciaux dans le cas de M. Gaye. Cette concession de l’Ap était, à leurs yeux, un pis-aller qu’ils ont refusé.

Pourquoi les demandes de Lp ont été rejetées

Adama Gaye a été interpellé, le lundi 29 juillet à Dakar. Une arrestation qu’il a annoncée lui-même par deux post lapidaires sur sa page Facebook. Il est sous le coup d’accusation d’offense au chef de l’Etat et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Sa dernière audition devant le juge d’instruction, jeudi dernier, s’est passée sans problème, sauf qu’elle s’est finalement soldée par le rejet de la deuxième demande de liberté provisoire (Lp). Notification en a été faite à son avocat, avant-hier lundi. Un deuxième ‘revers’, après celui du 4 septembre. Ce qui est inédit dans l’histoire judiciaire, d’après Me Ba.

A priori, un délit d’opinion ne mériterait pas d’enchainer autant de refus du juge pour une Lp. Mais l’avocat explique les mécanismes de l’article 139 du Code de procédure pénale (Cpp) qui compliquent la donne pour son client.

‘‘Il est poursuivi, notamment pour offense au président de la République et surtout pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Cet article du Cpp dispose que toutes les infractions comprises entre les articles 56 à 100, donc l’article 80 inclus, ainsi que l’article 255 qui régit la diffusion de fausses nouvelles, font qu’à votre entrée en prison pour ces délits, sur requête du procureur, le mandat de dépôt est obligatoire. Si vous introduisez une demande de Lp et que le procureur s’y oppose par un réquisitoire motivé, le juge vous dit que votre demande est irrecevable. Ce qui veut dire que quand vous êtes poursuivi pour avoir insulté le président au Sénégal, non seulement le ministre vous charge, mais le procureur peut vous y maintenir autant qu’il lui plaira’’, explique Me Ba.

Ce dernier, tout comme le Cercle des amis d’Adama Gaye, de s’intriguer des largesses qui ont valu aux quatre détenus européens, impliqués dans la saisie de 1 036 kg de drogue dure au port de Dakar, de bénéficier d’une liberté provisoire, alors que le cas de M. Gaye est manifestement ‘‘moins grave’’. Des questionnements que Hulo Guillabert a adressés au procureur de la République qui s’est opposé à la demande de Lp et au doyen des juges, dans son communiqué. ‘‘Pouvez-vous nous expliquer comment des gangsters internationaux, trafiquants de plus d'une tonne de cocaïne, peuvent être eux libérés provisoirement ? Est-ce à dire qu'Adama Gaye, à qui vous refusez cette liberté provisoire, est plus dangereux ? Monsieur le Juge, pouvez-vous nous expliquer rationnellement quel est ce danger qui justifie le maintien d’Adama Gaye en prison ?’’, s’est-elle exprimée.

Groupe de travail des Nations Unies

Dans un cul-de-sac, la défense envisage deux options : la saisine de la chambre d’accusation et l’internationalisation du combat pour la libération de M. Gaye. Dans l’immédiat, elle compte faire appel de la décision du juge, quand bien même une partie des avocats pense qu’il faut introduire une nouvelle demande. Les conseils de M. Gaye comptent déférer la question par l’appel devant la chambre d’accusation ‘‘qui est une juridiction connue pour sa sagesse et son expérience’’.

‘‘Pour préserver l’image de notre justice et de notre démocratie, nous pensons que la chambre d’accusation peut parfaitement ordonner la mainlevée du mandat de dépôt. C’est mon option préférentielle, mais si l’on nous oblige à internationaliser le combat, on n’a pas le choix. L’enjeu est de sortir un innocent de prison’’, s’exclame Me Ba.

Pour l’autre option qu’est l’internationalisation, la robe noire avance que la dimension de l’homme hors de nos frontières a fait sa publicité toute seule. Ses confrères des barreaux de Paris, Strasbourg et Vienne et d’autres avocats qu’il a démarchés vont les rejoindre, sans compter le soutien de cabinets d’avocats qui ont travaillé avec Adama Gaye. Alors, le Groupe de travail des Nations Unies ? ‘’Pourquoi pas ! Si la solution est aujourd’hui d’aller devant le Groupe de travail des Nations Unies. Le juge nous dit, dans l’ordonnance, que notre demande est irrecevable.

Il ne s’est pas contenté de dire qu’il refuse la liberté, mais que la demande est irrecevable. C’est ça l’orthodoxie, mais le principe qu’on sanctionne dans cette affaire est l’inégalité des armes entre la défense et l’accusation. Les démocraties judiciaires modernes n’acceptent pas cela. Il y a une abondante jurisprudence du Groupe de travail des Nations Unies qui condamne cela. Finalement, on prive la personne du droit de faire recours. Tu n’es pas éligible à la Lp, car tu as insulté ton président. On est obligé d’internationaliser des choses comme ça. On ne va pas rester entre le même juge et le même procureur pour continuer à nous faire ridiculiser’’, s’engage l’avocat.  

Concomitamment, à plus de 5 000 km de là, le chef de la diplomatie sénégalaise prenait l’engagement de faire progresser le pays dans le domaine des droits humains. ‘‘Fidèle à sa longue tradition puisée dans sa culture de tolérance, notamment dans le cadre du dialogue interreligieux permanent, le Sénégal continuera de rester dans le peloton de tête des pays les plus respectueux des Droits de l’homme’’, promet Amadou Ba du haut de cette tribune des Nations Unies.

OUSMANE LAYE DIOP

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