César en son empire
Gianni Infantino a été réélu à la tête de la Fifa, lors de son 73e congrès à Kigali au Rwanda. Ce triomphe romain avec un score nord-coréen, qui doit procurer un profond sentiment d’impunité à celui qui se prend pour le César du foot, n’augure rien de bon pour la suite.
À 52 ans, le sourire carnassier de Gianni Infantino devant le congrès de la FIFA révèle à quel point il sait savourer ces instants. Les représentants des 211 fédérations de la FIFA l’ont reconduit sans accroc à la présidence de la multinationale du ballon rond, y compris Philippe Diallo, boss par intérim de la FFF, dans la droite ligne du soutien inconditionnel de Noël Le Graët à son grand ami Gianni (qui le lui a bien rendu en le confirmant à la tête du bureau parisien de la fédération internationale). L’homme peut d’ailleurs rêver de rester aux commandes jusqu’en 2031. En effet, son premier mandat de trois ans, quand il avait profité de – voire précipité selon certains – l’éviction de Sepp Blatter (et Michel Platini), a été jugé incomplet.
L’argent avant tout le reste
L’unanimité qui entoure Gianni Infantino ne porte qu’un visage, celui vert du dollar. La FIFA n’a cessé de s’engraisser sous son règne, malgré la crise économique et le Covid (+18% des revenus et 1,2 milliard de bénéfices, ce qui rend crédible un achat du Stade de France, au passage). De quoi arroser en retour les petites fédérations et garantir un consensus financier autour de son bilan. Seule l’UEFA grince parfois des dents quand il se mêle de ses affaires (en soutenant en sous-main la Superligue) ou paraît vouloir récupérer sa part du gâteau de la C1 (son projet d’une Coupe du monde des clubs tous les quatre ans avec 32 équipes). Naturellement, l’homme aime se présenter en grand humaniste. « La FIFA, comme le football, unit le monde », s’est-il ému dans son discours introductif. Il faut oser pareille affirmation après le Mondial au Qatar. D’ailleurs, la présidente de la fédération norvégienne, Lise Klaveness, continue d’exiger la mise en place de ce fonds d’indemnisation pour les familles des migrants décédés sur les chantiers à Doha. En vain.
Pendant ce temps, Gianni Infantino souligne par exemple son souci de la place des femmes dans le football : congé maternité, soutien aux victimes de violences sexuelles, etc. Il a toutefois, business first, validé le choix de la mannequin brésilienne Adriana Lima en « ambassadrice des supporters » pour la CDM féminine en Australie et en Nouvelle-Zélande, ce qui a provoqué le scepticisme dans le foot féminin, voire l’indignation des féministes. Rien qui ne puisse empêcher sa bonne conscience de dormir sur un confortable matelas de billets. Il a été tellement bon qu’il s’est quasiment auto-octroyé une rémunération globale de 3,62 millions d’euros sur l’année civile 2022. L’homme qui vivait au Qatar puis de nouveau en Suisse ne doit pas trop craindre sa feuille d’impôts. La fiscalité demeure le croquemitaine d’une FIFA qui demande toujours à en être exemptée. N’est-elle pas d’ailleurs une organisation à but non lucratif ?
Un homme déconnecté
Sur le fond, la ligne de conduite reste la même : elle est dépourvue de toute réflexion sur ce sport qui ne soit d’abord destinée à remplir les caisses. Le passage de la Coupe du monde à 48 équipes en est l’illustration extrême. Pourtant, le bonhomme trimballe quelques casseroles derrière lui, qui pourraient le faire chuter. Un profil qui rappelle terriblement celui de Noël Le Graët, hormis pour ce qui relève de harcèlement moral ou sexuel. Sauf que le président de la FIFA n’a personne, ni aucune autorité, ni gouvernement ou opinion publique, au-dessus de lui. Il discute les yeux dans les yeux avec les chefs d’État, comme avec Emmanuel Macron récemment, et dicte ses conditions, souvent. Gianni Infantino est pourtant soumis à une procédure pénale en Suisse pour « incitation à l’abus d’autorité, à la violation du secret de fonction et à l’entrave à l’action pénale ».
Sur le versant communication, ses prises de paroles s’avèrent de plus en plus irréelles ou déconnectées. Devant le conseil de l’Europe en janvier 2022, afin de défendre son rêve d’une Coupe du monde tous les deux ans, il balançait ceci sans sourciller : « Nous devons donner aux Africains l’espoir qu’ils n’auront pas à traverser la Méditerranée pour peut-être avoir une vie meilleure ici. Nous devons leur donner des opportunités et de la dignité. » Lors du congrès actuel, il n’a pas hésité à comparer son refus d’abandonner la présidence de la FIFA en 2016 au courage des Rwandais après le génocide.
On attend rapidement ses prochaines sorties « I feel green » sur l’écologie, sachant que l’empreinte carbone d’un Mondial à l’échelle continentale et avec 48 équipes n’aura rien à envier à celle au Qatar cet automne. Sans compter son souhait à peine dissimulé d’accélérer la réintégration de la Russie de son camarade Poutine dans la famille du football. Il va néanmoins lui falloir composer avec des candidatures communes, puisque plus aucun pays ne semble capable d’assumer seul le coût d’une telle compétition. Celle du Maroc, du Portugal et de l’Espagne pose quelques petits problèmes géopolitiques (Nord/Sud) non négligeables. Mais pour la FIFA de Gianni Infantino, « l’argent unit leur monde ».
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