Publié le 28 Jul 2015 - 22:25
INTERVIEW : PROFESSEUR AMINATA SALL DIALLO, COORDINATRICE DU PROGRAMME NATIONAL DE LUTTE CONTRE LES HEPATITES AU SENEGAL

‘’Nous n’avons pas du tout de budget pour la communication’’

 

Les hépatites tuent plus que le sida et le paludisme regroupés. Et pourtant, ils ne font pas partie des maladies prioritaires. Dans cet entretien, la coordonnatrice du programme nationale de lutte contre ces affections, par ailleurs coordinatrice de l’initiative panafricaine de lutte contre les hépatites, évoque les difficultés auxquelles ils font face. De l’insuffisance du budget alloué au programme (30 millions F CFA) à l’absence de budget dédié à la communication pour faire de la sensibilisation, en passant par la décentralisation de la prise en charge des malades atteints d’hépatite, elle dit tout.

 

Les hépatites sont considérées comme des pathologies silencieuses, comment se manifestent-elles ?

Dans la majeure partie des cas, ce sont des maladies asymptomatiques. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de signes évidents qui montrent que la personne est atteinte d’hépatite. Mais, on peut retenir un certain nombre de critères cliniques comme l’ictère. C'est-à-dire un jaunissement du blanc de l’œil. On peut avoir des dis-ongles, de la fièvre. Ce sont des signes non spécifiques. On peut avoir des troubles digestifs, mais là également ce n’est pas spécifique. Le diagnostic est fait généralement par test de signes biologiques, en ce qui concerne les signes cliniques. En dehors de l’ictère, l’asthénie (une grande fatigue), l’anorexie (un manque d’appétit), on n’a pas de signes réellement spécifiques.  Donc, le manque d’appétit, la grande fatigue et l’ictère sont les grands signes qui témoignent de l’hépatite.

Quels sont les différents types d’hépatites ?

On a plusieurs types d’hépatites. Il y a l’hépatite A, B, C D, et E. Maintenant, les hépatites A et E se transmettent par mode euroficale. Elles ne sont pas graves, puisque ce sont des hépatites qui n’évoluent pas vers la chronicité. C'est-à-dire que quand on est affecté par le virus, on en guérit généralement sans séquelles. Par contre, les hépatites C et B et même la Delta peuvent évoluer vers la chronicité avec une évolution vers la cirrhose ou le cancer du foie.  Et c’est toute la gravité de ces infections ; leurs pouvoirs évolutifs posent problème.

On dit souvent que les hépatites tuent plus que le sida et le paludisme. Est-ce une réalité ?

Tout à fait. Il faut retenir qu’il n’y a pas que le cancer du foie. Il existe d’autres cancers. Si on additionne la mortalité due au cancer du foie, de la prostate, ainsi de suite, on est dans des chiffres très élevés. On a beaucoup plus de mortalité liée au cancer qu’au paludisme ou encore le VIH.

Dans ce cas, comment parvenez-vous à lutter contre ces affections, sachant que le budget  alloué par l’Etat au programme est de 30 millions par an ?

Le budget alloué au programme national de lutte contre les hépatites (PNLH) ne prend même pas en charge 1% des activités. Le programme est né comme ça, avec une forte mobilisation de ressources au niveau international. Nous avons pu bénéficier de l’appui de la fondation Bill et Melinda Gates, en 1999. Nous avons continué la mobilisation internationale. Grâce au modèle économique qui était en recouvrement minimal des coûts, nous avons pu tenir de 1999 à 2015. Mais, s’il ne s’agissait que du budget de l’Etat, nous ne pourrions pas tenir ce programme. Nous bénéficions de l’appui de la communauté internationale, en ce qui concerne les vaccins. Nous mobilisons également de l’argent pour appuyer les malades qui sont atteints d’hépatite chronique, soit dans le diagnostic, le dépistage ou dans la prise en charge. Parce que nous avons un programme d’accès qui nous permet aujourd’hui d’aider les malades à acquérir des médicaments, par exemple avec plus de 50% de réduction. C’est vrai que le budget national ne participe pas beaucoup à la lutte contre les hépatites, mais j’espère, qu’à l’image d’autres programmes, le sida ou le paludisme, la communauté internationale répondra favorablement à l’appel de l’Afrique pour pouvoir aider efficacement à la lutte contre les hépatites.

D’autres programmes, comme le PNLP, le PNT ou le CNLS, bénéficient de milliards. Est-ce que vous vous êtes battus pour l’augmentation de ce budget ?

Je pense que ce n’est pas un problème de bataille. Ce qui se passe, il faut le dire clairement : nous avons une gouvernance mondiale de la santé dans laquelle les pays ne travaillent pas sur leurs propres priorités. Aucun pays africain aujourd’hui, en tout cas de l’Afrique subsaharienne, ne peut dire que l’hépatite n’est pas une priorité. Parce que quand on regarde les prévalences au niveau de la population générale, le nombre de sujets qui ont été en contact avec le virus de l’hépatite B ou le virus de l’hépatite C, on se rend compte qu’on est à plus de 60% en moyenne de la population des personnes infectées par le virus. Si on raisonne en termes de porteurs chroniques, c'est-à-dire des sujets qui sont capables d’évoluer vers la cirrhose ou le cancer, en moyenne, c’est supérieur à 8% en Afrique subsaharienne. 8% des populations, c’est énorme et ça aurait dû être une priorité nationale.

Je suis de ceux qui défendent que la santé comme l’éducation doivent être des domaines de souveraineté, on ne doit pas dépendre que de la communauté internationale. C’est pourquoi beaucoup de pays africains sont déstabilisés, parce qu’il y a une gouvernance mondiale et on dit voilà les priorités : c’est le VIH, la tuberculose, le paludisme et on met l’argent dans ces pathologies identifiées comme prioritaires. Nous avons mené une bataille au niveau international. Aujourd’hui, il y a eu des résolutions de l’Organisation Mondiale de la Santé pour dire que l’hépatite est une priorité. Je pense que la communauté internationale doit suivre dans ce sens-là et que les recommandations de l’OMS dans ce domaine vont être appliquées au niveau des pays qui vont soutenir cette lutte contre les hépatites. Personnellement, je suis optimiste, et je pense que c’est la fin de la bataille.

Mais pourquoi cette méconnaissance de la maladie ? On n’en parle presque jamais, alors qu’elle est très dangereuse

Je pense que c’est par défaut de moyens. Le sida, la tuberculose et le paludisme ont bénéficié de gros financements au niveau international et une grande part sur la communication. Nous, nous n’en avons pas. Nous n’avons pas du tout de budget pour la communication. Personnellement, j’ai eu à m’impliquer dans la communication. Aller à la télévision, à la radio, parler à la presse écrite. Vous tous me connaissez par ce biais-là. Mais, nous n’avons pas un budget dédié à la communication pour faire de la sensibilisation. Nous faisons du mieux que nous pouvons et nous espérons que ce volet communication sera de plus en plus développé, dans les années à venir.

Et qu’est-ce qui est fait par les pays africains pour lutter contre ces pathologies ?

Certains pays ont des programmes nationaux de lutte contre les hépatites. Le Sénégal dispose d’un plan national de lutte contre les hépatites, depuis 1999. C’est à cette année que nous avons démarré le programme. De 1999 à 2004, nous n’avons bénéficié d’aucun appui. Je dis bien, d’aucun appui par rapport à la lutte que nous menons en tout cas au niveau international. Ce n’est qu’à partir de 2005 que nous avons eu l’appui du Gavi qui a inclus la vaccination contre l’hépatite B dans le programme élargi de vaccination (PEV). Cette même année, le programme national de lutte contre les hépatites a vacciné plus de 30% des enfants de 0 à 5 ans.

Il y avait un effort personnel, un effort au niveau national pour lutter contre ces affections. Il existe d’autres pays qui disposent d’un programme national de lutte contre les hépatites et pour beaucoup, nous avons appuyé pour l’élaboration de programmes. L’initiative panafricaine de lutte contre les hépatites, qui regroupe aujourd’hui 20 pays francophones et 6 pays anglophones, a beaucoup participé à l’élaboration de ces programmes au niveau national. Nous sensibilisons les décideurs pour que les pays s’approprient ces programmes et qu’ils puissent être mis en œuvre convenablement au niveau des pays. Je pense que sur les deux prochaines années, la lutte va s’intensifier parce que des moyens humains et financiers seront mis à la disposition des programmes.

Est-ce que la vaccination est faite régulièrement ?

La vaccination est faite de manière régulière. J’ai dit tantôt que le Gavi avait aidé pour l’introduction de la vaccination contre l’hépatite B dans le programme élargi de vaccination. Donc, tous les enfants de 0 à 11 mois peuvent bénéficier de la vaccination contre les hépatites. Par contre, nous avons un gros point faible. C’est que le calendrier que nous utilisons ne permet pas de contrôler cette affection. Avec ce vaccin qui est combiné, nous ne pouvons pas vacciner à la naissance. Nous sommes obligés de différer la vaccination à 6 semaines et évidemment, il y a une bonne partie de la population qui échappe avec un tel calendrier. Notre bataille aujourd’hui est qu’il y ait la vaccination à la naissance.

Vous parlez de vaccination à la naissance, est-ce qu’il se fait au Sénégal ?

Non. Il ne se fait pas ici. De 1999 à 2004, le programme national de lutte contre les hépatites vaccinait à la naissance. Pendant 5 ans, nous avons vacciné à la naissance. C’est en 2005 que nous avons changé de stratégie, parce que nous avons saisi l’opportunité du Gavi pour aller vers des vaccins combinés qui ne peuvent pas être utilisés à la naissance. C’est toute la problématique à laquelle nous faisons face aujourd’hui, parce qu’il nous faut absolument revenir à la vaccination à la naissance.

 Existe-t-il des méthodes de prévention contre ces affections ?

Il y en a pour l’hépatite B parce qu’on a un vaccin. Pour l’hépatite C, nous n’avons pas de vaccin, alors que son pouvoir évolutif c’est comme pour la B. Mais, il existe d’autres moyens de prévention. Quand on regarde les modes de transmission, qui sont essentiellement des modes de transmission à travers les produits biologiques tels que le sang, la sécurité transfusionnelle est extrêmement importante pour limiter la transmission. En terme de prévention, une bonne sécurité transfusionnelle va nous permettre de lutter contre les hépatites, que ce soit l’hépatite B ou C. Il y a d’autres moyens, parce qu’on sait que l’hépatite B est une maladie sexuellement transmissible. Donc, les mêmes modes de transmission quasiment que le VIH sida. Tout ce qui marche pour le sida, marche pour l’hépatite B et C, en terme de prévention.

La journée mondiale de lutte contre les hépatites sera célébrée le 28 de ce mois, qu’est-ce qui est prévu cette année ?

Nous avons un gros problème. Il nous faut aujourd’hui décentraliser la prise en charge des malades atteints d’hépatite. Les malades se sont beaucoup plaints. Venir de Tambacounda, de Ziguinchor vers Dakar, alors que nous pouvons avoir un autre système qui permet la prise en charge des malades au niveau des différentes régions, des différents districts, c’est ce que nous voulons faire. Ce que nous voulons, c’est une mise à niveau de l’ensemble des médecins de districts, des médecins de région, des médecins généralistes, des médecins internistes pour pouvoir prendre en charge les porteurs chroniques du virus de l’hépatite B ou C. Si nous ne faisons pas ça, seule une poignée de malades seront prise en charge par des spécialistes dont la majeure partie sont à Dakar ou à Thiès et c’est un gros problème. Nous ne pouvons pas faire de la santé publique de cette manière.

Il  nous faut toucher le maximum de personnes, il nous faut donner le maximum d’accès aux médicaments, aux structures médicales, à nos différents malades. C’est notre combat cette année, d’aller vers la décentralisation de la prise en charge des porteurs chroniques. Nous aurons un atelier de deux jours, le 27 et le 28, où nous ciblons toutes les structures qui font la transfusion, les médecins de district et autres pour qu’on aille vers un consensus national. Nous avons des consensus venant de l’organisation mondiale de la santé, de l’Europe etc., mais ces consensus ne s’adaptent pas complètement à notre contexte. Nous sommes obligés de les revisiter, de voir ce qu’on peut faire pour une bonne prise en charge de nos malades en nous rapprochant évidemment le maximum des lignes directrices fixées par l’OMS et l’Union Européenne, mais en tenant compte également de nos contraintes financières.

V. DIATTA

 

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