Publié le 14 Jun 2021 - 23:03
JULIENNE LUSENGE, ONU FEMMES

‘’L’inégalité entre les hommes et les femmes reste une crise dans beaucoup de pays africains’’

 

Les femmes africaines appellent à des mesures concrètes en faveur de l'égalité des sexes, d'ici 2030. Pour y arriver, une conférence internationale est organisée par l’ONU Femmes à Kinshasa. Dans cet entretien, Julienne Lusenge, Directrice et fondatrice du Fonds pour les femmes congolaises (FFC), explique les fondements de leur lutte.

 

Globalement, quelle appréciation faites-vous de la politique genre des États africains ?

Il nous reste beaucoup de chemin à faire pour qu’il y ait une égalité entre les sexes en Afrique. La République démocratique du Congo, à la présidence de l’Union africaine cette année, a pris un engagement ferme envers l’équité, en participant à l’organisation de la conférence de Kinshasa sur l’égalité des sexes. La pandémie de Covid-19 nous a encore montré l’importance de ce combat pour l’équité et l’on sait très bien que les femmes ont été impactées de façon disproportionnée par cette crise économique et sanitaire.

Il y a donc une crise de genre également. S'attaquer aux effets de la pandémie sur les femmes et les filles contribuera à rétablir la croissance pour tous. Pour que la reprise économique soit dynamique et durable, il faudra déployer des efforts concertés pour atteindre les populations marginalisées qui ont été le plus durement touchées par la pandémie.

En 2020, 1 femme sur 20 a perdu son emploi. Cela représente 64 millions de femmes dans le monde qui n'ont pas la possibilité de gagner leur vie ou de contribuer à leur économie locale.

Selon vous, que faut-il faire pour plus d’équité dans nos sociétés ?

Aujourd’hui, les champs d’action sont multiples et il y a une vraie urgence à agir, compte tenu des ravages de la Covid-19. Cette conférence veut établir un programme d’actions concrètes en vue d’accélérer les progrès vers l’égalité entre les femmes et les hommes, d’ici 2030 en Afrique. Nous devons notamment mettre en place des initiatives pour combattre les disparités en matière de scolarisation, d'accès aux soins de santé et celles qui concernent les filets de sécurité sociale et d'accès aux outils productifs comme le crédit et le foncier ; afin de s’assurer que les femmes puissent prendre leur place dans l’économie de nos pays. Réduire la prise en charge des enfants et personnes âgées ou le travail domestique non-rémunéré pour renforcer la participation des femmes au marché du travail et transformer les économies. Et finalement, combler les lacunes en matière de données sur le genre et renforcer les systèmes de suivi et évaluation à l’échelle nationale et continentale.

Aujourd’hui, le terme genre semble galvaudé. Il est fondamentalement lié à la promotion de l’homosexualité ou du lesbianisme. Est-ce vraiment cela la quintessence du concept genre ?

À l'échelle mondiale, la parité entre les sexes a reculé d'une génération. Il faudra désormais un minimum de 135,6 ans pour combler l'écart entre les sexes dans le monde, contre 99,5 ans avant l'apparition du coronavirus (WEF, 2021). C’est exactement là que se situe notre combat. C’est-à-dire comment faire de sorte que les femmes de ce beau continent aient toutes les ressources y compris le soutien politique pour réaliser leur potentiel, protéger leur santé et subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles. Plus de 60 % de toutes les femmes qui travaillent en Afrique, s’activent dans l’agriculture, épine dorsale de l’économie africaine. Pourtant, l’inégalité persistante entre les sexes leur offre peu de possibilités de contribuer pleinement à leur économie, d’autant plus qu’elles sont aussi touchées par les impacts de changements climatiques.

 Par exemple, on estime qu’au Niger, le PIB par habitant serait de plus de 25 % plus élevé en 2030, si les inégalités entre les sexes étaient réduites. On doit donc simplement regarder les faits et prendre conscience des combats des femmes, pour comprendre le véritable enjeu et agir en conséquence.

Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de tenir une conférence sur l'égalité des sexes en Afrique ? 

Cette conférence est organisée sous l’égide du Forum Génération Egalité qui se tiendra à Paris du 30 juin au 2 juillet. Il est extrêmement important que les voix des femmes africaines soient présentes et que nos propositions soient entendues et actées au niveau continental et international. La conférence de Kinshasa a réuni des chefs d’État, d’autres hauts responsables gouvernementaux et la société civile pour rappeler l’urgence de mettre en œuvre des actions en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. La RDC, qui assure la présidence de l’Union africaine pour l’année 2021-2022, veut devenir un chef de file en matière d’égalité des genres. Mais également soutenir les efforts continentaux et mondiaux visant à accroître l’attention politique sur les inégalités entre les sexes et apporter les solutions nécessaires pour relever ce défi à travers le continent. L’inégalité entre les hommes et les femmes reste une crise dans de nombreux pays africains. Cela a été exacerbé par la Covid-19, avec l’accroissement des écarts entre les hommes et les femmes au niveau de l’inclusion économique et financière et l’augmentation significative de la violence basée sur le genre. Il est donc impératif de réunir les femmes et d’autres parties prenantes pour élaborer des réponses concrètes à ces défis.

Quel sera l'apport de cette rencontre dans un continent où les contingences socio-culturelles dominent la pensée ? 

Cette conférence est soutenue par la RDC dans sa capacité de président de l’Union africain pour l’année 2021-2022 et par de nombreux chefs d’Etat. La forte présence et l’engagement de la société civile africaine nous indiquent aussi qu’il y a un changement de mentalités à travers le continent. Il faut se rappeler des réalités en Afrique. Nous sommes le continent avec la population la plus jeune au monde. Et pour reprendre la devise de l’Union africaine, je demande : ‘’Quelle est l’Afrique que nous voulons ?’’ La réalité, pour beaucoup de femmes en Afrique, est la suivante : au milieu de la pandémie, les services de santé sexuelle et reproductive sont généralement les premiers à faire face à des restrictions en termes de disponibilité et d’accès.

En outre, les fermetures d’écoles font peser un fardeau supplémentaire sur les femmes, qui assument des responsabilités encore plus importantes en matière de garde d’enfants et de travail domestique non-rémunéré. Nous savons tous que les filles qui ne peuvent pas aller à l’école sont plus exposées aux violences sexuelles, grossesses et mariages précoces.  Ces risques sont exacerbés pour les femmes et les filles vivant dans les ménages les plus pauvres des zones rurales reculées. Notre responsabilité est de capitaliser sur l’élan qui nous est offert par le Forum Génération Egalité et faire tout pour combattre la pauvreté et les injustices faites aux femmes afin de donner une réelle chance à la moitié de notre population de contribuer à notre développement.

Est-ce qu'il n'est pas trop tard d'introduire ou de faire comprendre à la population africaine tous ces concepts et de les faire accepter ? 

Il n’est jamais trop tard pour l’égalité. La question est plutôt : est-ce qu’on peut faire autrement ? Quelle serait la réalité économique et sociale d’un continent où il n’y a pas d’égalité entre les sexes ? C’est impensable. La Banque mondiale estime que la pandémie pourrait faire basculer entre 55 et 63 millions de personnes dans l'extrême pauvreté dans les pays les plus pauvres, parmi lesquels on retrouve de nombreux pays africains. C'est la première fois, depuis des décennies, que nous assistons à un revirement significatif dans l'effort pour mettre fin à l'extrême pauvreté. Nous sommes convaincus qu’avec une forte déclaration de la volonté politique de l’Union africaine et des solutions concrètes proposées par les mouvements et les leaders féministes en Afrique, nous pourrons avancer vers un meilleur avenir pour nous tous. L’égalité des sexes est dans l’intérêt de tous, parce que notre survie et notre développement en dépendent.

Êtes-vous optimiste de pouvoir gagner ce combat ? 

Oui, je serai toujours optimiste devant un tel rassemblement de femmes, de la société civile et des représentants des gouvernements africains qui unissent leurs forces pour nous pousser de l’avant. Nous devons mettre l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes au cœur de la renaissance africaine. Le moment d’agir, c’est maintenant, avec des politiques concrètes et des initiatives pour soutenir les femmes à accéder à la santé, à l’éducation et à l’emploi, tout en les protégeant de tout type de violence.

VIVIANE DIATTA

 

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