Publié le 6 Sep 2024 - 22:18
LÉGISLATIF VS EXÉCUTIF

Entre dilatoire et imbroglio juridique

 

Date de la déclaration de politique générale, dissolution Assemblée, loi de finances… ‘’EnQuête’’ fait le point sur les risques d’une véritable impasse juridico-politique.

 

Ce n’est maintenant un secret pour personne. Le Premier ministre Ousmane Sonko n’a aucune envie de faire face aux députés de la 14e législature pour faire sa déclaration de politique générale. Il y a quelques semaines, il avançait le prétexte du règlement intérieur pour justifier son refus de ne pas aller devant la représentation nationale. À la suite de la médiation de son chef, le président de la République Bassirou Diomaye Faye, la majorité parlementaire et les députés du pouvoir étaient parvenus à trouver un compromis et avaient procédé à la correction des manquements dans le règlement intérieur.

Par la suite, le texte a reçu l’avis conforme du Conseil constitutionnel et le président de la République l’a promulgué et fait publier depuis le 30 aout dernier. Malgré toutes ces formalités, rien n’a été fait. Il aura fallu que le ministre de la Justice vende la mèche, à l’occasion du vote de la loi portant suppression du HCCT et du Cese, pour que l’Exécutif daigne enfin poser un acte dans ce sens.

Pour barrer la route à la motion de censure brandie par le groupe parlementaire majoritaire, Diomaye convoque une session extraordinaire de l’Assemblée nationale et inscrit au quatrième point de l’ordre du jour la déclaration de politique générale. Mais là encore, tout semble avoir été planifié pour empêcher les députés d’être dans les capacités de recevoir le PM pour faire sa déclaration de politique générale.

En effet, à la lumière de l’article 97 du règlement intérieur, il appartient au président de la République non seulement de convoquer l’Assemblée nationale, mais aussi de fixer la date. Le texte précise : ‘’La déclaration de politique générale doit intervenir trois mois après l’entrée en fonction du gouvernement. L’Assemblée nationale doit être informée huit jours au moins avant la date retenue.’’

Dans la pratique parlementaire, l’Exécutif a toujours fixé la date à laquelle le Premier ministre doit faire sa DPG. Rarement, pour ne pas dire jamais, le Législatif n’a été mis dans une situation où il doit fixer lui-même la date à laquelle il doit recevoir le PM pour sa déclaration de politique générale.

Nous sommes donc devant un cas très rare, pour ne pas dire inédit, à cause, il faut le dire, de l’absence d’une date dans le décret portant convocation de la troisième session extraordinaire.

Le dilatoire de l’Exécutif pour éviter la DPG

Mais pourquoi donc le président Diomaye n’a-t-il pas fixé de date pour mettre à l’aise tout le monde ? Lui qui a toujours réaffirmé vouloir se situer au-dessus de la mêlée et avait promis que si le règlement intérieur est corrigé, son Premier ministre va faire sa DPG ? Les observateurs n’ont pas cherché midi à 14 h. Pour beaucoup, tous les signaux laissent penser qu’il y a une volonté de soutenir le Premier ministre dans sa volonté de ne pas accomplir cette formalité républicaine, devant cette législature. Ceci est d’autant plus plausible qu’Ousmane Sonko lui-même a annoncé, avant-hier, la dissolution de l’Assemblée nationale prévue le 12 septembre. Dans la foulée, le groupe parlementaire du parti présidentiel réclame au moins huit jours pour procéder à la DPG.

Curieusement, les huit jours tombent sur la date du 12 annoncée par le PM pour la dissolution, ce qui conforte la thèse du dilatoire mis en avant par beaucoup d’observateurs.

Ceci étant dit, la question qui se pose est de savoir si, juridiquement, l’Assemblée nationale est fondée à fixer une date pour la DPG ? Ici, les points de vue divergent. Certains estiment qu’elle peut le faire, mais en respectant le délai de huit jours –peut-être par parallélisme des formes pour que le gouvernement puisse prendre ses dispositions - ; d’autres considèrent que cette prérogative appartient au chef de l’État.

Il y en a aussi des experts qui estiment que le président de la République, par la convocation de la session extraordinaire, a donné 15 jours à l’Assemblée pour faire ce qu’elle a à faire. Comme pour les autres points de l’ordre du jour, elle a la charge de fixer souverainement son calendrier. Et comme le délai de huit jours, c’était exclusivement à son bénéfice, elle pourrait valablement y renoncer.  

Diomaye risque de devoir reconduire le budget de Macky Sall et d’être placé sous ‘’tutelle’’ de la Cour des comptes

C’est le Premier ministre Ousmane Sonko qui l’a affirmé avec force. L’Assemblée nationale sera dissoute le 12 septembre prochain. Les députés cesseront d’être des députés à cette date. Cette annonce, qui donne un cachet officiel à cette hypothèse plusieurs fois brandie, soulève la lancinante question du sort des prérogatives dévolues au pouvoir Législatif par la Constitution, en cas de dissolution de l’Assemblée nationale.

Interpellé par la RTS1, le professeur Abdou Aziz Kébé, spécialiste des finances publiques, était revenu sur les difficultés d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale. ‘’Comme vous le savez, explique-t-il, la loi de finances doit être déposée au cours de la deuxième quinzaine du mois d’octobre. Si l’Assemblée est dissoute, pas d’Assemblée. Pas d’Assemblée, il y a des difficultés, notamment pour la gestion des finances publiques, par exemple pour voter le budget. Donc, il va falloir réfléchir sur des mécanismes juridiques’’.

De l’avis du spécialiste, les choses sont loin d’être aussi faciles que certains le pensent.  ‘’En un moment, j’ai pensé que l’article 68 de la Constitution permettrait au président, lorsqu’on est dans ce cas de figure, de faire entrer en vigueur le budget par décret. Mais avec le recul, je me rends compte que ce sera compliqué. Il va falloir activer le Conseil constitutionnel, parce qu’on va vers un droit budgétaire spécial, avec tout un tas de contrôles à effectuer’’, soulignait le professeur de droit public qui prônait l’ouverture de discussions pour éviter de telles situations.

Aux termes de l'article 68 de la Charte fondamentale,  le projet de loi de finances, qui comprend notamment le budget, est déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, au plus tard, le jour de l'ouverture de la session. Selon le texte, l'Assemblée dispose de 60 jours au plus pour voter les projets de loi des finances. ‘’Si, par suite d'un cas de force majeure, le président de la République n'a pu déposer la loi de finances en temps utile,  la session est immédiatement et de plein droit prolongée jusqu'à l'adoption de la loi de finances’’, indique la disposition.

Ce que dit l’article 68 de la Constitution

Il faut noter que cette disposition, selon un spécialiste du droit parlementaire interpellé par ‘’EnQuête’’, a été adoptée quand il y avait deux sessions dans l’année, dont la première démarrait en octobre et prenait fin au mois de décembre. La seconde entre avril et juin. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale se réunit en une session ordinaire unique. ‘’Puisqu'on est en session ordinaire unique, la LF doit être déposée à l'ouverture de la session. Dans le cas où la loi n’a pu être adoptée avant le 31 décembre, le gouvernement reconduit par décret les crédits de l'exercice précédent’’. Autrement dit, si d’ici le 31 décembre la loi de finances n’est pas votée, Diomaye sera contraint de reprendre le budget de Macky Sall et d’être placé ’sous tutelle’ de la Cour des comptes.

À ceux qui agitent la possibilité d’un recours aux pouvoirs exceptionnels de l’article 52 de la Constitution, le passé récent nous a appris que nous sommes très loin de l’hypothèse où le chef de l’État peut recourir à un tel extrême. ‘’Même pour le recours à l’article 68, c’est problématique, a fortiori un recours à l’article 52. Vous savez, avec la dissolution, on ne peut parler de force majeure, ce qui suppose un fait imprévisible, irrésistible et qui ne dépend pas de notre volonté. Avec la dissolution, on sait à l’avance qu’on sera confronté à des difficultés. On ne peut donc se cacher derrière le cas de force majeure’’.

La seule alternative possible pour se conformer à la loi

La seule possibilité qui s’offre alors au régime en place, c’est de tout faire pour organiser les élections bien avant le 31 décembre, en vue de se donner les moyens de faire voter la loi de finances avant le 31 décembre, par la future Assemblée. Se pose alors la question de savoir s’il est juridiquement possible de tenir le scrutin avant le mois de décembre, compte tenu des délais légaux fixés par la loi électorale.

Ce spécialiste du droit parlementaire explique : ‘’C’est bien possible, à mon avis. C’est vrai qu’avec la loi électorale, si l’on doit respecter le parrainage, cela nous prendrait environ 150 jours. Mais il ne faut pas oublier que la Constitution prévoit qu’en cas de dissolution de l’Assemblée nationale, les élections doivent se tenir entre 60 et 90 jours. Je pense que le Conseil constitutionnel fera prévaloir cette disposition et il appartiendra à la loi électorale de s’adapter.’’

MOR AMAR

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