L’endroit du dédouanement des services en gestation

La souveraineté s’entend, entre autres, de la capacité de l’Etat à élaborer sa politique fiscale et de ses droits régaliens à gérer ses ressources financières.
S’appuyant sur le terreau de la souveraineté financière, le Plan de relance économique pour le Sénégal (PRES) promeut un développement endogène et durable, porté par des territoires responsabilisés, viables et compétitifs.
Parmi les leviers identifiés pour générer ces ressources internes figure la taxation de niches de financement ‘’sous fiscalisées’’ comme les logiciels, les jeux de hasard en ligne, les réseaux sociaux, le « mobile money », la connexion internet, la monnaie virtuelle et, plus généralement, l’économie numérique.
Dans ce contexte, il est plus que nécessaire pour les douanes de changer de paradigme et de mener les réflexions idoines pour mettre en place un système performant de contrôle douanier du numérique, en particulier et des services en général surtout lorsque ceux-ci traversent les frontières.
Si le moratoire consistant à ne pas imposer de droits de douane sur les transmissions électroniques, devait effectivement prendre fin en 2026, les pays et les entreprises doivent sans plus attendre commencer à chercher la manière d’opérer dans un monde où toute une série de transmissions électroniques pourrait être assujettie à des droits de douane.
Il s’agit, alors de trouver les techniques appropriées en s’inspirant, au besoin, des systèmes de fiscalisation et d’imposition des services déjà existants.
Pour autant la démarche ne pourrait se dissocier complètement de la procédure classique de dédouanement. C’est pourquoi il est bien logique que le système de dédouanement de l’immatériel s’inspire du triptyque : origine, valeur et classification tarifaire, fronton de la procédure de dédouanement.
Des réaménagements techniques sur le système de dédouanement classique sont alors nécessaires, autant dans la manière de déterminer l’origine et la provenance des services importés, dans les modalités de calcul de leur valeur en douane que dans la manière de les classer.
L’origine d’un service renvoie à l’identification de la nationalité de la structure principale ayant conçue la donnée virtuelle. Le territoire virtuel d’où est originaire le service renvoie, de ce fait au territoire de rattachement de la structure mère créatrice du service.
L’identification du créateur du service peut se faire à travers les contrats de prestation de services et, ou d’outils informatiques tels que la page web, le serveur, l’adresse IP pour les ordinateurs et le code IMEI pour les téléphones portables et autres smartphones, les routeurs etc…
Pour la détermination de la valeur des produits numérisés, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) laisse aux administrations des douanes le choix, soit de taxer les supports y compris la valeur du logiciel, soit de prélever des droits sur le support seul. Seulement, l’intérêt de cette décision semble limité, puisque son champ d’application ne s’étend pas aux transmissions électroniques. Trois (03) approches sont possibles pour déterminer la valeur des services commerciaux.
Par référence à l’approche par les coûts : la valeur d’un service importé est identifiée à partir du montant nécessaire pour le remplacer ou correspondant aux potentiels bénéfices économiques issus de l’utilisation du service importé.
A travers l’approche par le marché, la valeur d’un service est définie à travers la comparaison avec un service similaire, dont le prix du marché est connu après un achat ou une vente antérieure.
Partant de l’approche par les revenus, la détermination de la valeur s’établit en faisant la comparaison entre les futurs bénéfices d’un investissement alternatif.
Quelle que soit l’option choisie, Il convient d’envisager comment le système douanier peut appréhender la valeur en douane des services de manière plus objective tant au niveau de l’assiette que du mode d’imposition.
Aux fins de classification tarifaire des services importés, Il existe présentement des nomenclatures diverses des activités économiques emboîtant un ensemble de services commerciaux à des fins statistiques. Il semble d’ailleurs qu’à Bruxelles (siège de l’Organisation mondiale des Douanes (OMD) l’idée de classer les services commence à avoir un traitement favorable avec le consensus ayant conduit à l’insertion de l’énergie électrique (27-16-00) dans le SH.
La démarche consiste à trouver un système de classement des services à l’image du classement tarifaire prévu par le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (SH). En fonction du but poursuivi, des ambitions économiques et sécuritaires visées et des orientations politiques du moment, différents types de classification peuvent être retenus.
Une fois les critères de dédouanement déterminés, quid des modalités d’établissement de la déclaration en douane des services importés ?
Le scénario pourrait être le suivant : les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les opérateurs en ligne ou relais auront l’obligation d’insérer un « Fichier Douane » dans toutes les prestations informatiques. Ce fichier de nature électronique sera renseigné par l’utilisateur du service, à travers un simple « clic » sur un lien préconçu à cet effet.
En ce qui concerne le paiement des droits et taxes, un système de retenue à la source devrait s’opérer en collaboration avec les institutions bancaires. Dans cette vision, les receveurs des douanes auront des comptes dans les banques en connexion avec l’administration douanière.
A l’assaut du numérique, le droit douanier évolue en vue d’inclure les services commerciaux dans les produits, objet de dédouanement. La démarche va s’inscrire dans l’analyse objective des procédures de dédouanement en vigueur, en vue de leur adaptation pour la prise en compte de l’activité numérique.
A terme, dans l’optique de garantir une offre de service public de qualité, la modernisation des administrations douanières va passer nécessairement par une résilience forte des procédures automatisées et dématérialisées, à travers un outil informatique ouvert et interconnecté. En attendant que le dédouanement des services soit appliqué, les douanes peuvent, toujours, continuer à collaborer avec les attributaires de fréquences et de réseaux téléphoniques ou d’internet en vue, notamment de la sécurisation de la chaine logistique numérique.
Docteur Ndiaga SOUMARE,
Inspecteur principal des douanes de Classe exceptionnelle.