Publié le 29 Jun 2015 - 07:27
LIBRE PAROLE

Vous avez dit impunité ? 

 

« L’impunité est terminée dans ce pays et comme le président de la République l’avait dit, on ne protégera personne. Il va ainsi y avoir un suivi et les responsabilités seront situées... ». Ces  propos ont été tenus le 25 juin 2015 par le Premier Ministre, Monsieur Mohamed  B. A. Dionne, lors de son face-à-face avec les députés. En évoquant le rapport 2015 de l’Inspection générale d’Etat sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes, il a également ajouté que « des courriers donnant des instructions de poursuites au garde des Sceaux sont signés».

Alhamdoullilah ! Devrions-nous nous exclamer, en toute sincérité. Mais hélas ! Les faits, dans le cas précis de l’impunité, nous ont démontré le contraire. En tout cas, jusqu’à hier, au moment où le Premier ministre répondait aux questions des députés. 

En effet, on est en droit de se poser la question de savoir quel est le spectre de l’impunité dont parle M. Dionne. En l’écoutant, il a donné le sentiment que l’impunité ne concerne que l’administration « technique » (remplacement du préfet de Dakar, du Directeur régional des Impôts, du Directeur de l’Urbanisme, tous faisant les frais de l’affaire des habitations détruites à la Cité Tobago). Or, l’histoire toute proche nous rapporte que le ministre chargé de la Microfinance s’est violemment attaqué à des magistrats de la cour des Comptes en mission de vérification, sans qu’aucune sanction ne s’en soit suivie. Moins de quarante-huit heures plus tard, le gestionnaire du fonds concerné par la mission est convoqué : il refuse de se présenter au jour et à l’heure fixés par les vérificateurs. Aucune sanction. Y a t-il donc une impunité « politique » ? C’est à croire.  

Toujours devant la représentation nationale, le Premier ministre a informé que des courriers donnant instruction de poursuites au garde des Sceaux sont signés et  concernent le rapport 2015 de l’IGE. Quid des rapports précédents ? Ne s’agit-il pas là de poursuites partielles, voire d’une impunité sélective.

Pour rappel, en 2013, l’Inspection générale d’Etat a publié son premier rapport sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes. Ce rapport faisait  état de manquements très graves. A ce jour, les personnes citées dans le rapport ne sont nullement inquiétées.  D’ailleurs, c’est dans ce rapport que les vérificateurs ont recommandé la création d’une Cour de répression des Infractions à caractère Economique et Financier (page 116). Elle n’a pas encore vu le jour.  

Dans ledit rapport de 2013, plusieurs actes de mal gouvernance relatifs à la contractualisation de la gestion des services publics ou ceux relatifs aux pratiques de  fraudes, d’abus, de gaspillage, de corruption et de blanchiment de capitaux ont été signalés par les Inspecteurs d’Etat. Pas de réaction du président de la République.

Concernant le King Fahd Palace (ex-Méridien), par exemple, les Inspecteurs généraux d’Etat avaient constaté que la Société Hôtelière Africaine s’était vu confier illégalement le contrat de concession parce qu’aucun appel d’offres n’a été lancé. D’ailleurs les Inspecteurs généraux d’Etat avaient recommandé que l’Etat résilie le contrat et qu’un appel d’offres ouvert soit lancé. De plus, une situation qualifiée « d’inédite » avait été constatée par les mêmes  Inspecteurs généraux d’Etat.

En effet, dans ce contrat, 50% du Revenu Brut d’Exploitation (RBE) est versé  au gestionnaire, en sus de sa rémunération de sept millions (7 000 000 de francs CFA) par mois. Qu’est-ce qui a été fait au jour d’aujourd’hui ?

Il en est de même du Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN). Le rapport de 2013 renseigne que la participation sénégalaise était prévue, au départ, à la somme de  cinq milliards (5 000 000 000) de francs CFA. Au finish, le FESMAN a coûté plus de quatre-vingt milliards (80 000 000 000) de francs CFA) au Trésor public, et donc, au peuple sénégalais. Il a même coûté plus, parce qu’en parcourant le rapport 2013 de l’IGE, il y est indiqué que le FESMAN a été financé au moyen de décrets d’avance, en ponctionnant des crédits destinés à des programmes et projets sociaux. A ce montant de 80 milliards de F Cfa, il faut ajouter  6 999 484 083 francs FCA représentant la contribution des autres Etats et organismes.

Ce rapport a été remis et est bel bien,  selon la formule consacrée, « sur la table du président de la République ». Qu’en a-t-il fait ? Qu’est-ce qui a été fait depuis lors ? Quelles sont les responsabilités du Délégué général, du Délégué général adjoint, de l’ancien ministre des Finances, de l’ancien ministre de la Culture et des présidents de commission du FESMAN ?

Quinze milliards (15 000 000 000) de francs CFA ont été empruntés, puis payés par l’Etat, mais  logés dans le compte bancaire d’une société privée, alors qu’elle n’avait aucun lien contractuel avec le FESMAN.

Dans une campagne de lutte contre l’impunité, a-t-on le droit de taire et/ou de fermer les yeux sur  des manœuvres frauduleuses impliquant trois autorités de l’ancien régime, qui ont causé à l’Etat du Sénégal un préjudice financier direct de trois milliards sept cent millions (3 700 000 000) de francs FCA ? Ce montant  avait servi à acheter quarante (40) véhicules par l’Etat, sur la base de la production d’une fausse facture et d’un faux procès-verbal (PV) de réception : 20 Mercedes (6 Mercedes S600, 12 Mercedes S500, 1 Mercedes LS500 et 1 Mercedes E63) et 20 Lexus L460. L’IGE avait clairement demandé dans son rapport de 2013 que l’Etat doit être remboursé. L’a-t-il été ? 

L’impunité ne concerne-t-elle pas la LONASE, et l’Autorité de Régulation des Télécommunication des Postes (ARTP) qui paie plus de 300 000 000 de francs de loyer par an alors qu’elle a commandé deux immeubles aux Almadies (de plus de 8 milliards) à  un privé qui tarde à les livrer ? Et la Société Africaine de Raffinage (SAR) ? Et les conditions de délivrance des licences de pêche ?

Qu’en est-il du rapport de 2014 de l’IGE dans lequel SECURIPORT est cité ? Et de la Construction de la Maison du Sénégal à New York ?  Pour ce dernier cas, nous n’osons croire que c’est parce que Monsieur Macky Sall, président de la République, l’a inaugurée que le peuple sénégalais doit passer par pertes et profits la surfacturation et la surestimation des frais architecturaux pour un montant d’un milliard huit cent millions de francs CFA  (rapport 2014 de l’IGE).

 Par ailleurs, un autre organe de contrôle, la Cour des Comptes, en l’occurrence, avait produit elle aussi  plusieurs rapports qui ont mis à nu la mauvaise gestion de quelques dirigeants de sociétés. Parmi ceux-là, celui relatif à l’APIX, dirigée à l’époque par Madame Aminata Niane. Il n’y a pas eu de suite. Ni la concernant, ni concernant certains de ses collaborateurs. Au contraire, promue quelque temps après l’avènement de Monsieur Macky Sall à la tête de l’Etat, qui l’avait nommée Conseillère à ses côtés. N’y a-t-il pas là un exemple d’impunité ?

La production de passeports avait coûté aux Sénégalais 118 milliards. Selon la Cour des Comptes qui avait signalé, en son temps, que la production attendue du contrat qu’avait signé l’Etat du Sénégal, était de dix (10) millions de passeports électroniques sur toute la durée du projet (20 ans), soit cinq cent mille (500 000) passeports électroniques par an. Or, les statistiques ont montré que de 2004 à 2007, la production totale cumulée était de 416.603 passeports. Force est de constater que l’ancien ministre de l’Intérieur cité dans cette affaire est également concerné par le cas SECURIPORT.

Monsieur le Premier Ministre, les sociétés, agences et autres organisations ayant fait l’objet de rapports par les corps de contrôle sont-elles, pour ceux dont la gestion a été décriée, les endroits où on peut vivre en toute … impunité ?

Birahime SECK

Membre du Conseil d’Administration du Forum Civil

 

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