Publié le 14 May 2020 - 04:36
LIRE ENTRE LES LIGNES

Le discours du Président de la République

 

Suite au discours du Président de la République et à ses annonces concernant l’allègement des mesures de l’état d’urgence sanitaire, le débat des spécialistes et experts sur les plateaux de télé a essentiellement porté sur le bienfondé de ces décisions pour contenir la propagation du COVID 19. Le sujet se résumait ainsi : le Président n’aurait-il pas commis, ce jour, une faute en facilitant encore plus la circulation du virus ?

Dès lors que l’on se situe sur une perspective purement sanitaire, les décisions interrogent effectivement. Quel est le sens d’un assouplissement de mesures qui nous ont permis tout de même de contenir la propagation du virus et de participer de ce qu’on appelle aujourd’hui l’exception sénégalaise ? La réponse la plus simple pour une fois n’est peut-être pas la bonne !

D’un point médical et sanitaire, desserrer l’étau conduira certainement à une multiplication de cas et naturellement des victimes. Combien ? J’espère que l’Etat dispose de projections qui lui permettent de mesurer les incidences de ses dernières décisions et de trancher son dilemme.

Pour comprendre la décision de l’Etat, il convient de sortir de la perspective médicale pour prendre une vue plus globale. Le COVID-19 porte les germes d’une crise sociale, économique et politique inédite. Dès lors qu’elle se manifeste, cette crise emporterait des conséquences encore plus néfastes et pérennes. Le rôle de l’Etat est donc de chercher le juste équilibre dans la protection de sa population face deux ennemis qui l’attaquent sur deux fronts opposés.

En quoi les mesures du président sont-elles “salutaires”, sur le principe ?

Le premier défi que pose l’état d’urgence aux gouvernants sénégalais consiste à maintenir l’autorité de l’Etat et ne laisser aucune faille dans ce qui forme sa légitimité intrinsèque. La tenue des mesures de l’Etat d’urgence repose d’une sur l’acceptation sociale de celles-ci par une partie de la population consciente des risques et qui est en demande de plus de sécurité. Pour l’autre partie de la population, le respect des mesures tient au rappel à l’ordre par de la force publique qui s’est appliquée à l’ensemble des cas de transgression constatés.

Les premiers, que je qualifierais de conscients, n’ont pas vocation à évoluer dans leur posture, considérant le risque toujours aussi présent voir même plus pesant. Les seconds, que je qualifierais d’insoumis, sont pour l’heure muselés mais pourraient, au gré des événements culturels et religieux à venir, s’agréger et finalement déborder les forces de l’ordre qui les contiennent.

Dés lors qu’une mosquée, un marché, un baptême ou mariage, s’organise isolément, la police est en mesure d’intervenir et faire revenir à l’ordre public, celui imposé par l’état d’urgence. Mais quid de 50, 100 ou 500 mosquées qui se décideraient de fêter la LAYLATOUL KHADR ou la Korité en dépit des injonctions de l’Etat ? La force légitime en serait donc nécessairement débordée et le gouvernement n’aurait alors d’autre choix que de céder et renoncer par là à son autorité qui fait son essence. Ne parle-t-on pas de pouvoir, de puissance, d’autorités publiques ? Et qu’est-ce-donc ces termes dénués des principes de respect ou de crainte qui les essentialisent.       
Un gouvernement sans autorité ne gouverne pas et démissionne, un Président qui ne préside pas cède sa place, et un peuple qui goute au pouvoir de la transgression ne retourne que rarement à l’ordre républicain. Pourrait donc s’en suivre ni plus ni moins que l’effritement voir l’effondrement du l’Etat.

L’appareil d’Etat, dans un réflexe conservateur, se doit donc de garantir la pérennité de son autorité et sa survie quel qu’en puisse être le prix pour ne pas dire « quoi qu’il en coûte ». Les mesures d’assouplissement de l’état d’urgence ne sont à mon sens qu’une soupape de sécurité que le Président actionne pour consolider l’adhésion aux mesures d’endiguement du COVID-19 et ne pas avoir à affronter une grogne sociale latente. On ne gouverne pas contre son peuple ! Même au prix de nouvelles contaminations !

Gouverner ne se résume t’il au final qu’a la recherche d’équilibres ?

Au début de l’épidémie, il a d’abord été question de freiner la propagation du COVID-19 à la limite de nos frontières. Une telle stratégie était légitime et valable à la condition de s’en donner les vrais moyens, à savoir la fermeture pure et simple desdites frontières. Inenvisageable autant pour nos ressortissants, notre économie et nos partenaires extérieurs. Le compromis fut donc de vouloir contrôler les personnes à l’arrivée et isoler les cas suspects. Un équilibre entre liberté de circulation et protection sanitaire fragile qui sera mis à mal assez rapidement par les 1ers cas importés.

Le virus étant présent sur le territoire, la nouvelle stratégie consistait en l’endiguement de la maladie. Circonscrire l’épidémie par l’isolement des malades et des personnes en contact, et en parallèle limiter les interactions sociales pour ne pas voir déferler un flot de malades inadmissibles pour notre système de santé. Sauf que l’état d’urgence prive une large majorité de sénégalais de leurs revenus, pour l’essentiel tiré du secteur informel. Réponse : un fond d’urgence est mis en place pour amortir un le choc social et contenir la précarité. Ce nouvel équilibre deviendra précaire face aux errements et aux difficultés dans la mise en œuvre du fond COVID. Les milliards récoltés et les tonnes de denrées peinent à parvenir aux principaux bénéficiaires ou du moins dans une mesure convenable.

Il devenait donc urgent pour le Président de désamorcer la bombe sociale et économique qui sonnait sinon à voir là également s’effondrer notre économie et la précarité prendre une dimension intenable. Voila le second sens des mesures présidentielles.

Un pari en forme de “qui perd gagne” ?

Nous l’avons vu, l’Exécutif sénégalais se désaxe de sa focale sanitaire pour appréhender la crise actuelle dans son ensemble. Il ne s’agit plus de gérer une épidémie mais de manager une crise qui englobe celle-ci. Le choix fait, mais qui reste à être assumer, est celui de de sauver le plus grand nombre en acceptant des victimes supplémentaires dont on essayera de limiter le nombre d’ici à la découverte d’un remède. A l’exemple d’une amputation qui est certes salutaire mais hautement douloureuse et coûteuse, ce qui protesteront du sacrifice de la Santé sur l’autel de l’Economie, l’Etat leur répondra que la « vie[1] » dans son acceptation sénégalaise est la première de ses priorités.

Pour autant, encore faudrait-il que la stratégie soit gagnante et que les personnes sacrifiées ne le soient pour rien. Si elle est réussie, le pouvoir actuel aura gagné à préserver une paix sociale et maintenir un tant soit peu l’économie de notre pays. Si le virus connait un rebond trop important, la nouvelle donne justifiera encore plus de mesures et des plus restrictives auxquelles nulle ne pourra se soustraire sinon à paraître comme un irresponsable. L’acceptation sociale reposera de nouveau plus sur l’adhésion aux injonctions qu’à la crainte de la force publique. L’Etat sera sauf mais les gouvernants auront à rendre des comptes un jour de leur échec.

Le second pari du Chef de l’Etat porte sur la responsabilité du peuple sénégalais. Face à la demande de plus de liberté et d’autonomie, il laisse chaque concitoyen devant ses responsabilités face à la maladie, ses proches et à ses compatriotes. La reprise de la vie sociale et économique du pays engage la responsabilité de chaque personne qui usera de son droit retrouvé. A l’heure des comptes, chacun devra donc se regarder en face et assumer sa part dans la réussite ou l’échec de ce combat que mène notre pays.

Ce propos ne constitue nullement une vérité absolue encore moins une caution de l’action gouvernementale. Il s’agit d’une lecture propre de décisions qui méritent d’être expliquées et comprises - pour sortir des oppositions vaines et inutiles à l’heure de l’union- et nourrir un débat serein et argumenté. On peut légitiment se poser la question du pourquoi les autorités n’assument-elles pas alors leur nouvelle orientation. Je répondrais simplement qu’il ne peut être dans la nature d’un pouvoir public d’exposer ses faiblesses ou ses craintes, il s’agirait d’une faute politique majeure dont aucun Président ou chef de gouvernement ne saurait se laisser aller.

L’équilibre, qui est la boussole actuelle du gouvernement, tiendra t’il sur le long terme ? Il s’agit là du grand pari politique dont la réussite décidera de l’avenir du Président tout du moins de son gouvernement.

Abdoul M. LY

Ingénieur en Transports et Mobilités

 

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