Publié le 2 Aug 2021 - 16:45
LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ À DAKAR

La police municipale, le chainon manquant du dispositif sécuritaire ?

 

La montée de la délinquance dans la ville de Dakar pousse les autorités publiques à chercher des solutions pour tenter d’endiguer ce fléau. Ainsi, des autorités locales comme la maire de Dakar et Moussa Sy, l’édile des Parcelles-Assainies et d’anciens responsables de la police municipale de Dakar réclament le retour de la police municipale à Dakar, plus de deux décennies après sa disparition. D’après eux, la police municipale, qui s’appuie sur deux leviers - la prévention et la proximité - peut constituer un élément décisif dans la lutte contre la délinquance et les incivilités qui polluent le quotidien des Sénégalais.

 
La sécurité est avant tout une question de proximité, nous dit l’adage. Face à la montée de l’insécurité dans la capitale sénégalaise, plusieurs responsables locaux s’interrogent sur la nécessité de renforcer les prérogatives des élus locaux pour lutter plus efficacement contre la recrudescence de la délinquance. Dans cette tendance, beaucoup de responsables locaux, comme l’édile de Dakar, Soham El Wardini, ainsi que le maire des Parcelles-Assainies, Moussa Sy, ont appelé au retour de la police municipale dans la ville de Dakar.
 
D’après eux, les agents de sécurité de proximité (ASP) ainsi que les volontaires de la ville de Dakar peinent à remplir ce rôle de sécurité de proximité au service des populations à la base. La ville de Dakar mène, depuis 2010, une expérience avec ses volontaires municipaux qui ont pour mission de faire de Dakar une ville sûre et propre. Il y a différentes brigades qui quadrillent la ville. Le volontariat est là, mais ce n’est pas suffisant. Car, avec l’urbanisation galopante, nous avons besoin d’une police municipale (NDLR : police qui a existé de 1993 à 2002). Nous ferons un plaidoyer auprès des ministères concernés pour faire revenir cette police municipale’’, affirme la première magistrate de la ville de Dakar, à l’occasion du lancement du Programme Collectivités territoriales, défense, sécurité et paix organisé par le Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS). 
 
Dans la même foulée, elle rappelle la nécessité d’une plus grande implication des collectivités locales dans la gouvernance sécuritaire. ‘’La sécurité est une condition pour tout développement durable. Nous allons travailler avec l’Association des maires du Sénégal (AMS) et l’Union des associations des élus locaux (UAEL) pour renforcer les politiques sécuritaires en faveur de nos concitoyens’’, soutient-elle.
 
Et Moussa Sy, Maire des Parcelles-Assainies, d’abonder dans le même sens.  D’après l’ancien député libéral, il y a une vraie nécessité de police municipale, dans la mesure où les ASP, qui ont joué ce rôle jusqu’à maintenant, ont montré leurs limites dans la sécurisation de nos quartiers.  ‘’Il y a une vraie nécessité de police municipale. Le ministère de l’Intérieur, en rapport avec les collectivités locales, est en train de travailler pour faire revenir la police municipale sous une nouvelle forme, avec de nouveaux textes réglementaires adaptés au contexte actuel que nous vivons’’, affirme le PCA du Port autonome de Dakar.   
 
L’Acte III offre des pouvoirs de police au maire
 
Des propositions qui semblent rencontrer une oreille attentive auprès des autorités étatiques. Ainsi, d’après le gouvernement, des dispositions contenues dans l’Acte III de la décentralisation offrent aux collectivités territoriales la possibilité de mettre en place cette police municipale. 
 
‘’Le Code général des collectivités locales permet à une commune de mettre en place une police municipale. Le maire dispose des pouvoirs de police et peut donc, s’il le souhaite, mettre en place cette police municipale.  En raison de la forte criminalité urbaine et du développement de la petite délinquance, la sécurité est devenue une forte attente des populations.  De ce fait, les maires et les élus locaux sont obligés d’élaborer des politiques de prévention innovantes tenant compte du contexte local. Le maire et le conseil départemental, sous le contrôle du représentant de l’Etat (NDLR : préfet) sont responsables au premier plan de la mise en place d’une politique sécuritaire à l’échelle de nos territoires’’, a-t-il fait savoir Abou Ahmed Seck, Directeur de cabinet du ministère des Collectivités territoriales.
 
Cette dynamique sécuritaire plus près des populations doit surmonter de nombreux obstacles, selon le commissaire à la retraite Boubacar Sadio, ancien Chef de la défunte police municipale de Dakar et de Pikine. Selon l’ancien officier de police, ce retour de ce corps de police doit se faire qu’après la mise en place d’une large concertation regroupant les maires, l’Etat et les responsables de la sécurité publique, afin d’éviter les problèmes qui ont plombé la première expérience de police municipale au Sénégal (1993-2002).
 
‘’J’ai fait partie des 1 243 policiers radiés en 1987, à la suite des péripéties liées à l’affaire Baba Ndiaye, mort en détention en 1982. Après être passé en commission d’intégration nationale, j’ai été versé dans la police municipale en 1993, à la suite de la promulgation de la loi n°93.05 du 4 février 1993. (NDLR : la loi n°93.05 du 4 février 1993 indique que les personnels de forces de l’ordre radiés, conformément à la loi n°87 du 28 avril 1987, peuvent être admis, selon le cas, dans le corps des fonctionnaires communaux). La police municipale est ainsi créée dans les villes de Dakar, Pikine et Guédiawaye, et dans toutes les capitales régionales’’, déclare-t-il avant d’énumérer les nombreux avantages qu’offre la police municipale dans le renforcement de la sécurité publique.
 
‘’Les mairies font souvent appel aux préfets, à la police ou à la gendarmerie pour faire respecter leurs arrêtés. Alors qu’avec une force publique mise à leur disposition, ils peuvent assurer à leurs concitoyens une action communale beaucoup plus efficace en matière de sécurité publique, de lutte contre la délinquance et différentes formes d’incivilité. Les policiers municipaux peuvent assurer la régulation de la circulation, la tranquillité et la sécurité dans les marchés et des places publiques’’, affirme l’ancien secrétaire général des policiers radiés du Sénégal qui s’empresse de préciser que la sécurité repose sur deux leviers : la prévention et la proximité. Deux éléments qui caractérisent la police municipale.
 
Police de proximité et de prévention de la délinquance
 
Toutefois l’ancien directeur de la Police municipale de Dakar invite les responsables à éviter le piège d’un vide administratif et institutionnel, concernant le futur statut de policiers municipaux. ‘’On avait retenu, dans un premier temps, que c’est l’Etat qui allait prendre en charge les salaires pour une durée, avant de passer le relais aux mairies. Mais il s’est trouvé qu’avec le vote de la décentralisation, cette charge était maintenant dévolue aux mairies. Mais il est apparu que ces dernières n’étaient pas capables de prendre en charge le salaire des policiers municipaux. Des agents sont restés des mois sans percevoir leur salaire et l’Etat a été obligé de reprendre la gestion de la masse salariale’’, s’exclame-t-il.
 
Par conséquent, ces problèmes financiers ont fortement handicapé le déploiement et le travail des policiers municipaux sur le terrain, précipitant leur réintégration dans la police nationale en 2002. ‘’Il y a beaucoup de mairies qui étaient réticentes à la venue des policiers municipaux qu’ils percevaient comme des éléments étrangers venus les surveiller. Beaucoup de maires sont restés une année sans aller à la rencontre des policiers municipaux.  Nous n’avons pas de cantonnement et on ne dispose que d’une matraque. Je pense que seuls les maires de Dakar et de Pikine ont joué le jeu et ont mis à leur disposition le matériel adéquat pour faciliter leur travail’’, a indiqué le directeur de la Police municipale de Pikine avant d’appeler à une profonde réflexion autour des prérogatives et des missions de la police municipale par rapport à l’action des ASP et des volontaires de la ville de Dakar.
 
Problématique des prérogatives et équipements des policiers municipaux
 
Dans la même foulée, le commissaire divisionnaire à la retraite, Massamba Camara, insiste sur la nécessité de renforcer l’approche proximité dans la prévention de la délinquance dans nos villes.
 
Sur ce, il estime que le rétablissement de la police municipale serait d’une grande contribution dans la sécurisation de nos quartiers. ‘’Je pense qu’il faut rétablir la police municipale qui est une vraie police de proximité.  La proximité, ça permet de rassurer les populations qui verront la police à leurs côtés. En cas de besoin, il fera appel à ce même policier. Les policiers municipaux peuvent patrouiller dans les quartiers et ainsi informer la police nationale des agissements des criminels.  Par ailleurs, ils vont créer ce climat de confiance avec les populations, qui permettra de casser les réseaux criminels à la base’’, affirme l’ancien officier de police à la retraite.
 
En ce qui concerne ses prérogatives et missions au quotidien, l’ancien commissaire en appelle à une large concertation de tous les acteurs pour en fixer les modalités, afin de permettre aux policiers municipaux d’être efficaces sur le terrain. ‘’Il faut que tous les acteurs publics, responsables de la sécurité publique évaluent la dernière expérience en matière de police municipale, afin de prévenir toutes les difficultés inhérentes à sa mission. Il faut discuter des futures missions de la police municipale qui, je le rappelle, est une prévention de la délinquance’’, nous fait-il savoir avant de rappeler la nécessité de poser le débat sur l’armement de ces officiers municipaux. ‘’Je pense que les policiers municipaux peuvent exercer beaucoup de tâches comme surveiller les marchés, assister les agents de recouvrement de taxes municipales. Mais des questions autour de leur armement peuvent se poser. Avant, la police municipale n’était pas armée. Maintenant, il s’agira, pour tous les acteurs, d’évaluer et de voir sous quel aspect est-il possible de les armer ou non’’, clame-t-il avec force. 
 
MAKHFOUZ NGOM

 

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