Publié le 30 Mar 2020 - 20:07
MANQUE DE MATÉRIEL DE PROTECTION

Un casse-tête mondial

 

Bien loin d’être une problématique nationale, le manque criant d’outils de protection pour le personnel soignant inquiète le monde entier. Chaque pays essaie de trouver la bonne formule.

 

Depuis le début de la pandémie, l’insuffisance de ces objets essentiels à la lutte contre le virus ne cesse d’inquiéter le corps médical à l’échelle mondiale. Sur le continent africain, le nombre de personnes atteintes de Covid-19 est certes faible, mais, encore une fois, l’aide extérieure pèse lourd sur la balance. Au Sénégal, pour l’heure, l’approvisionnement des personnels de santé repose sur les dons récoltés çà et là. La Chine a ouvert le bal, après une demande du gouvernement. En plus des autorités chinoises, des entreprises telles que le groupe BGI ont réagi à l’alerte. Le week-end dernier, le don du fondateur du groupe Alibaba a été réceptionné par le ministère du Tourisme (100 000 masques, 1 000 combinaisons de protection à usage médical, 1 000 écrans faciaux et 20 000 kits de test).

Entre autres, le président fondateur du Groupe futurs médias a offert du matériel de protection à hauteur de 10 millions de F CFA, la page Facebook ‘’Luttons contre l’indiscipline au Sénégal’’ a lancé une collecte d’argent, depuis le 27 mars, en vue d’approvisionner les médecins de l’hôpital Fann ; 500 masques ont été achetés hier (l’objectif est d’en distribuer 5 000). Le gouvernement a, pour sa part, récolté 1 330 830 785 F CFA pour le Fonds de riposte et de lutte contre l’épidémie sur 1 000 milliards prévus.

De jeunes tailleurs de Malika s’organisent

Dans la commune de Malika, par contre, un groupe a décidé de ne plus être spectateur des événements. Tailleurs de formation, depuis une semaine, ils confectionnent des masques distribués gratuitement aux habitants. ‘’Avec mes amis, on se demandait comment apporter notre contribution à la lutte contre le coronavirus. On n’avait pas assez de moyens. Nous nous sommes cotisés pour faire quelque chose, car nous pensons que c’est beaucoup mieux que de s’asseoir et de ne rien faire’’, confie Thierno Souleymane Bâ, membre du trio. Convaincus du fait que la maladie et les mesures qui l’accompagnent auront des conséquences plus graves dans le lot des plus démunis, ils ont lancé ce concept de confection de masques sous le slogan ‘’Galgal corona’’ (NDLR : terrasser le corona). ‘’Nous nous sommes rendus au district de santé de Malika pour connaitre l’efficacité de ces masques, car on ne voulait pas travailler sans l’avis des spécialistes. Les médecins ont affirmé que le masque était efficace et nous ont fait savoir qu’eux-mêmes souffraient d’un manque de masques. Donc, après notre cible, c’était la population et les infirmiers’’, explique-t-il.

A ce jour, une commande de 1 000 masques pour la mairie, une autre en direction de Fann (don de ‘’Lutter contre l’indiscipline au Sénégal’’) est en cours de confection. La police également bénéficie de leur création. D’une centaine de masques cousus et à base de mouchoirs, l’équipe est passée au tissu en coton. ‘’On continue d’en donner gratuitement aux populations et, actuellement, on a acheté du tissu en coton qu’on va associer au mouchoir pour éviter toute sensation désagréable ou des démangeaisons’’, poursuit Thierno Bâ. Selon lui, le groupe suit avec beaucoup d’attention la situation au niveau mondial. Et les autorités françaises auraient demandé aux tailleurs de se lancer dans l’activité pour soutenir le personnel médical.

‘’Nous avons parcouru les recommandations de tailleurs français. On s’est renseigné et on est tombé sur beaucoup de tailleurs en France qui préconisent du tissu en coton et une doublure en meulton pour avoir un tissu respirant. Si on avait plus de moyens, on allait acheter des gels désinfectants et faire le maximum de masques pour tout le monde’’, lance-t-il avec beaucoup d’enthousiasme.

Pour lui, il revient à tous les jeunes Sénégalais de participer à la lutte et d’en faire un challenge. Toutefois, le jeune homme demande aux autorités de ne pas oublier les plus démunis, en cas de confinement, car la faim risque de tuer beaucoup de personnes. ‘’Je pense qu’il y a un manque de communication entre les différents ministères. Aujourd’hui, l’achat de pain dans les boulangeries suscite des rassemblements pourtant interdits par le ministère de l’Intérieur. Il faut une parfaite cohésion entre les ministères. Si chacun de nous y met du sien, Dieu nous aidera à nous en sortir’’, conclut-il.

Du côté de l’Algérie, entre cotisation et collecte, la chaîne de solidarité continue de soutenir les soignants. Le secteur privé a décidé d’offrir tout son stock de masques. Au Zimbabwe, par contre, les médecins, les infirmiers, les pharmaciens et les douaniers ont décrété des jours de grève pour exiger du gouvernement du matériel de protection contre la pandémie.

L’Occident cherche des solutions

En Chine, dès la première semaine du mois de février, le gouvernement a reconnu avoir besoin d’urgence de masques de protection pour faire face à la crise. L’empire du milieu n’était qu’à 31 161 cas confirmés et constituait, avec Taïwan, l’un des plus grands fournisseurs de masques avant la pandémie (80 % de la production mondiale). Ce qui démontre à suffisance l’ampleur de la pénurie. "Le monde fait face à un manque chronique d’équipements de protection individuelle", a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’une réunion du Comité exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 7 février. Le DG de l’OMS a fait état de "graves ruptures" sur le marché mondial de ces équipements, avec "une demande jusqu’à cent fois supérieure à la normale et des prix jusqu’à vingt fois plus élevés". Il soutenait, par ailleurs, qu’aucun pays ne pourrait s’en sortir seul.

En Italie, plus de 800 entreprises ont choisi de réorienter leur production pour venir en aide aux hôpitaux. Le pays affiche un besoin de 90 millions de masques par mois, autant de gants en latex et des millions de litres de gel désinfectant. Il a pu bénéficier d’un lot de matériel en provenance de la Chine. Des start-up et des particuliers se sont également lancés dans l’impression en 3D. En effet, des plans d’un masque ont été mis en ligne et sont ensuite imprimés par le personnel soignant en 3D.

Toutefois, ce dernier n’est pas homologué et doit encore être testé pour pouvoir être utilisé en conditions réelles.

En Espagne, 5 400 membres du personnel soignant contaminés

L’Espagne a, quant à lui, opté pour un contrat avec la Chine qui, peu à peu, se remet de la pandémie. D’une valeur de 432 millions d’euros, il porte sur l’acquisition de 550 millions de masques, 5,5 millions de tests rapides, 950 respirateurs et 11 millions de gants afin de pallier le manque d’équipements de protection dans le pays. Le matériel est livré par Pékin, chaque semaine. À ce jour, 5 400 membres du personnel soignant ont été contaminés par le virus.

Du côté de la France, les initiatives citoyennes accompagnent celles des start-up et des particuliers dans cette course à l’innovation. Des adeptes du ‘’Do It Yourself’’ se coordonnent pour répondre aux besoins des hôpitaux particulièrement demandeurs de visières de protection. Elles sont une barrière supplémentaire contre les infections pour le personnel soignant, mais ne se substituent pas au masque. Les producteurs traditionnels (industries de la santé) se disent saturés et affirment que la France n’était pas préparée à une telle tension. Au point que le 3 mars, le gouvernement sorte un décret organisant la réquisition de l’ensemble des stocks de production. Selon plusieurs médecins français, les masques sont économisés, réutilisés et des désinfections artisanales sont appliquées.

En outre, ils fabriquent des masques en tissu, en dépit des incertitudes sur leur efficacité. ‘’Bon nombre de nos collaborateurs partent au front sans armes’’, se désolent-ils.

GESTION COVID-19

Un double risque de contamination dans les hôpitaux

Le personnel soignant, en cette période de pandémie, est plus qu’exposé au coronavirus. D’autant plus que les outils de protection se font rares. Et dans ce cas de figure, les malades non infectés courent un grand risque de contamination.

En ce début d’après-midi ensoleillé, l’hôpital Fann baigne dans un calme plat. À l’entrée, un dispositif (de couleur bleue) de lavage des mains assorti à une prise de température rappelle bien vite que ‘’nous sommes en guerre contre la Covid-19’’. Les blouses blanches, la marche rapide, n’ont pour la plupart pas de masque de protection. Au centre de pédiatrie, quelques mères accompagnant leur enfant attendent leur tour de passage dans la salle de consultation. Ici, le port du masque ou encore de gants n’est pas une règle. Seul le dispositif de lavage des mains vient s’ajouter au décor habituel.

En cette période où l’ennemi invisible est potentiellement omniprésent, le médecin du jour échange avec les malades sans aucune protection. Même constat du côté des infirmières. Les prises de poids et de température se font comme d’habitude. Les mains qui ont touché x sont les mêmes qui palpent le corps de l’enfant y. Difficile d’arracher un seul mot au personnel soignant qui dit se référer uniquement à sa direction. ‘’À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle’’, dit-on. Sauf qu’en ces lieux, cet état de fait n’est valable que pour le service des urgences où les entrées pleuvent.

Des visages graves, à moitié cachés par un masque, des gants, des entrées sérieusement filtrées par un service d’ordre… Bref, le décor peut paraître flippant. ‘’Reculez ! Restez-là, vous ne pourrez pas entrer’’, lance durement le garde, lui aussi protégé par un masque blanc. Un groupe de jeunes vient d’arriver avec un de leurs proches plutôt mal-en-point. ‘’Je suis là depuis deux heures, mais on m’a carrément interdit d’entrer. Avant, au moins, on pouvait accompagner nos malades, rester avec eux. Mais avec l’épidémie, ce n’est plus possible’’, confie Samba Diallo assis sous un arbre, concentré sur son téléphone. Son frère a été amené d’urgence, à cause de difficultés respiratoires.

‘’On travaille sans masque, nous ne sommes pas protégés’’

L’hôpital Fann a été le premier à recevoir les cas positifs au coronavirus, précisément au Centre des maladies infectieuses. Toutefois, les mesures de protection du personnel soignant semblent avoir été ciblées, en raison d’un manque de matériel. Selon le responsable du service de l’information et de la communication, Lamine Fall, il revient au ministère de la Santé de se prononcer sur la disponibilité des outils de protection pour l’ensemble du personnel. ‘’Ce sont eux qui nous les donnent. Je ne peux pas me prononcer sur cette question’’, déclare-t-il catégorique. La question fâche et les nerfs sont tendus. Quant à la prise en charge des autres malades n’ayant rien à voir avec la pandémie, il affirme que c’est la période des vaches maigres.

‘’En ce moment, nous avons de moins en moins de malades. On chôme, à la limite ; c’est sûrement dû au coronavirus. En tout cas, les autres hôpitaux s’en sortent beaucoup mieux, surtout ceux qui n’ont recensé aucun cas de Covid-19’’, ajoute-t-il. Médecins et infirmiers évitent de se prononcer sur le sujet.

Cependant, quelques heures plus tôt, un médecin du service de neurologie ne s’est pas fait prier pour alerter. ‘’On travaille sans masque, nous ne sommes pas protégés. On travaille par contact direct avec les malades et les accompagnants qui viennent de partout. La situation est désolante’’. A l’en croire, la veille, un membre du personnel (le brancardier) a été transféré au centre des maladies infectieuses. L’homme, considéré comme un cas suspect, présentait tous les symptômes de la maladie Covid-19. ‘’Personne n’a actuellement de masque dans ce service et au niveau de la pharmacie, ils m’ont fait comprendre qu’ils n’en ont pas assez’’, poursuit-il.

Ces hommes et ces femmes en première ligne dans la lutte contre le coronavirus peuvent, dans ces conditions, facilement être infectés et contaminer n’importe quel malade. Un double risque à ne pas courir.

Importante dotation à Grand-Yoff

Toutefois, à l’hôpital général Idrissa Pouye (ex-Hoggy) de Grand-Yoff, la situation est tout autre. Les travailleurs affirment ne pas souffrir d’un manque de matériel de protection. D’ailleurs, du personnel de sécurité, d’hygiène aux médecins, en passant par les infirmiers, tous arborent des masques et même pour certains des gants. Selon eux, beaucoup de réaménagements ont été faits dans la prise en charge des autres malades (ceux non infectés) et de tout patient qui franchit le seuil de l’hôpital. Des modifications qu’ils n’ont cependant pas le droit de révéler.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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