Publié le 7 Jan 2020 - 21:57
MASTERCLASS PIANO

De jeunes pianistes profitent de l’expérience de Rykiel

 

Jean-Philippe Rykiel est à Dakar et doit donner un spectacle avec le groupe Xalam 2. Il en a profité, samedi dernier, pour animer un masterclass.

 

Jean-Philippe Rykiel a appris, en autodidacte, à jouer du piano, dès son plus jeune âge. Il est doué et est connu grâce à son talent. Au Sénégal depuis la semaine dernière, il a animé, samedi, un masterclass (cours de maître).  Devant de jeunes passionnés de musique, des pianistes en herbe, il a présenté sa note. Un petit clavier analogique baptisé ‘’Saï-Saï’’ par Youssou Ndour, un grand piano DX et un contrôleur de sons lui suffisent pour éblouir tout un public.

En effet, Jean-Philippe Rykiel manipule le piano avec talent. Même s’il est non-voyant, il ne se trompe guère de notes et est maitre de son clavier.  A partir de cet instrument, il peut produire des sonorités qui donnent l’impression de provenir d’autres instruments comme le tam-tam. Ainsi, devant un public acquis à sa cause, M. Rykiel a fait une démonstration de force avant de faire part de ses influences musicales. Les jeunes pianistes qui ont pris part à cette rencontre ont été transportés par ses notes. Comblés, ils ont trouvé la rencontre très enrichissante.

‘’Beaucoup de pianistes jouent, mais n’arrivent pas à avoir cette sensibilité qu’a M. Rykiel. Il arrive à nous faire ressentir des émotions fortes. Comme il le dit, on doit être en synchro avec l’instrument. L’objectif, quand on joue d’un instrument, c’est de faire ressentir à ceux qui écoutent notre sensibilité. Donc, c’est dans ce cadre que moi, j’ai tiré profit de sa leçon d’aujourd’hui. Et si c’était à refaire comme on dit, je serais encore partant’’, a lancé un jeune pianiste.

Khady Dieng, pianiste, a également participé au master class du grand artiste français qui a eu à collaborer avec les plus grands noms de la musique africaine. ’’C’est mon idole. Aujourd’hui, je suis bien instruite par rapport à ce qu’il nous a expliqué’’, a-t-elle apprécié.

 Ravi de la prestation de Rykiel, l’artiste Vieux Mac Faye a évoqué l’idée selon laquelle les non-voyants ont plus de facilité à toucher la sensibilité des mélomanes. ‘’Je ne connais que cette vie-là. La vie d’un aveugle. Notre chance, c’est qu’on est plus concentré sur les autres sens. Mais il faut relativiser’’, a répondu Jean-Philippe Rykiel.

Daniel Gomez, lui, est content de ces moments de partage.  ‘’Je salue l’initiative d’un jeune qui s’appelle Wagan. Moi, c’est ça que j’attends. Que les jeunes prennent des initiatives. Nous les anciens, sommes là pour accompagner. L’AMS et la Sodav sont là aussi pour accompagner. Nous voulons que les gens puissent bénéficier de ce que nous n’avions pas pu avoir de notre temps. Aujourd’hui, ce qui nous manque, c’est des rencontres de ce type. Et on s’est mis dans l’idée de le faire au moins une fois par mois’’, a-t-il dit.

‘’Au Sénégal aussi, on a des artistes qui ont beaucoup à donner. On espère arriver à faire de cette émulation quelque chose qui nous amène à travailler ensemble sur ce que va être le devenir de l’industrie musicale. C’est ça le professionnalisme. Il faut que les gens comprennent qu’on n’embrasse pas ce métier pour être célèbre. Qu’on l’embrasse pour en faire notre gagne-pain. Et, ensuite, tout ce qui va venir ensuite sera du bonus. On espère se retrouver le mois prochain, au musée des Civilisations noires où on aura peut-être tout le gratin de la musique sénégalaise, pour pouvoir parler pendant deux jours de l’avenir de l’industrie musicale au Sénégal‘’, indique-t-il.

JEAN-PHILIPPE RYKIEL, PIANISTE NON-VOYANT

‘’Toutes les musiques commencent un peu à se ressembler’’

L’instrumentiste Jean-Philippe Rykiel est en séjour au Sénégal. Né non-voyant, Jean-Philippe a appris à jouer du piano dès le bas-âge. Il voue un culte particulier à la musique africaine. Il a travaillé avec beaucoup d’artistes africains, des sommités comme Salif Keita ou encore Youssou Ndour. En marge d’un masterclass qu’il a animé samedi à Dakar, il s’est prêté aux questions d’’’EnQuête’’. Il a évoqué sa relation particulière avec son instrument, son amitié avec feu Prospère Niang qui était au Xalam 2, sa collaboration avec Youssou Ndour. Il a également donné son avis sur l’évolution de la musique africaine.

 

Vous avez travaillé avec beaucoup d’artistes africains. Qu’est-ce qui vous attire dans la musique africaine ?

C’est une très longue histoire. Quand j’avais entre 18 et 19 ans, j’ai rencontré un musicien africain du Ghana, un batteur, et on s’est lié d’amitié. C’est lui qui m’a fait découvrir ce pays, en même temps ce continent. Ainsi, le Ghana est le premier pays d’Afrique que j’ai visité. Ensuite, en rentrant du Ghana, j’ai commencé à vraiment être attiré par la musique africaine. Et un jour, je suis allé à un festival où il y avait le groupe Xalam 2 qui jouait parmi tant d’autres. Et les musiciens de ce groupe m’ont rendu fou. Mon ami Alain Agbo, guitariste, m’a donné le numéro de Prosper. Je l’ai appelé, et je me suis présenté tout timidement.

En fait, Prosper me connaissait, parce que j’avais sorti un album deux ans auparavant, et il avait cet album alors que personne ne le connaissait. Le lendemain, Prosper est venu chez moi. On est resté ensemble toute la journée à parler. Il m’a fait écouter Doudou Ndiaye Rose, puis les disques du Xalam 2 déjà sortis et plein de musiques traditionnelles. Ensuite, on est resté amis jusqu’à sa mort. Prosper m’a fait intégrer le groupe Xalam 2. Et quand on allait ensemble au Sénégal, il me présentait à toutes les vedettes du pays. Que ce soit Ismaïla Lô, Omar Pène, Youssou Ndour et Baba Maal. Et c’est encore Prospère qui m’a fait rencontrer Salif keïta et plein d’autres artistes aussi.

Voilà, c’est lui qui m’a mis en contact avec la musique sénégalaise et africaine en général. Dans ce continent, j’ai découvert beaucoup de choses que je ne trouvais pas en Occident.  En particulier, des gens chaleureux, accueillants, ce que vous appelez la ‘’teranga’’ et qui existe partout en Afrique. Je trouve que c’est aussi bien musicalement et humainement que j’étais attiré par l’Afrique.

A vous entendre parler, vous devez beaucoup à Prosper Niang. Comment avez-vous vécu sa disparition ?

Très tristement (il se répète). D’autant plus que je pense que s’il avait appris pour sa maladie suffisamment tôt, il aurait pu se soigner. Mais il ne voulait pas arrêter de tourner, de travailler. Donc, il a occulté sa maladie jusqu’à ce que ça ne soit plus possible. Donc, je pense que sa mort aurait pu être évitée. Il faudrait dire à tous les gens qui sont malades d’aller voir leur médecin le plus rapidement possible pour se soigner et pour rester en vie le plus longtemps possible.

Un autre musicien sénégalais avec qui vous avez cheminé, Youssou Ndour. Pouvez-vous revenir sur votre collaboration ?

Ce serait très long à raconter… C’était très riche, en tout cas. J’ai passé, à deux reprises, trois mois chez lui. En 1991 et en 1993, pour la réalisation des albums ‘’Xippi’’ et ‘’Wommat’’. Ensuite, on a fait la tournée Jololi ensemble, avec Cheikh Lô et Yandé Codou Sène. On a fait l’album ‘’Lii’’ ensemble avec la chanson ‘’Birima’’. On a beaucoup travaillé ensemble et c’est un homme extraordinaire, d’un professionnalisme et d’une gentillesse extraordinaires. En tout cas, c’est ce qu’il m’a montré. J’ai eu le temps de l’observer pendant les 6 mois que j’ai passés avec lui.  Je ne l’ai jamais entendu élever la voix sur quelqu’un. Je l’ai toujours entendu bien se comporter avec ses musiciens, avec ses domestiques même à la maison. Bref, avec tout le monde. C’est quelqu’un que je respecte énormément.

Pensez-vous pouvoir travailler, comme vous l’avez fait avec les grands, avec des musiciens sénégalais de la génération actuelle ?

J’ai rencontré trois personnes vraiment intéressantes. J’ai rencontrés Carlou D, Wally Seck et Pape Diouf. Ils sont tous vraiment intéressants.  J’aime particulièrement beaucoup Carlou D. Je le trouve très original. Et c’est vraiment quelqu’un qui a des idées qui dépassent le folklore. Et Pape Diouf et Wally Seck ont de très belles voix. Eux, ils sont plus dans la tradition du mbalax. Mais si ça se trouve aussi, ils vont pouvoir s’ouvrir à d’autres genres de musique. En tout cas, ce sont ces trois chanteurs que je trouve intéressants. Il y en a peut-être d’autres que je ne connais pas.

Et que pensez-vous de l’évolution de cette musique mbalax ?

J’ai un peu peur de la standardisation. Je pense que toutes les musiques commencent un peu à se ressembler. Quand j’allume la radio et que j’écoute les marimba, tout est pareil. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de chanteurs et chanteuses de variété qui font un peu tous la même chose. Les artistes gagneraient à être plus originaux. Mais, malheureusement, ce n’est pas un problème spécifiquement sénégalais. Partout dans le mode, c’est comme ça. Il y a une standardisation de tout. Je pense qu’à l’époque, dans les années 1980-1990, il y avait plus d’originalité.

Le rap, n’en parlons même pas. C’est vraiment un truc qui n’a vraiment aucun intérêt. Je sais que je vais me fâcher avec des gens, quand je vais dire ça, mais pour moi, le rap, c’est de la révolte en boite de conserve qui vient des Etats-Unis. Et tous les raps se rassemblent ; il n’y   a que la langue qui fait la différence. Et puis, il y a quelqu’un qui va introduire des samples de la musique malienne, on va dire que c’est malien. Et si on voit quelqu’un d’autre rapper en wolof, on va dire que c’est sénégalais. Sinon, le rap, c’est un truc américain et c’est le même partout. Donc, ça c’est quelque chose que je trouve négatif dans l’évolution de la musique. Je sais qu’il y a des personnes qui ne seront pas d’accord avec moi, mais… (rire).

Beaucoup estiment que le mbalax n’est pas exportable. Etes-vous du même avis ?

Oui. Parce que c’est très compliqué pour les Toubabs. Eux, ils ne peuvent pas comprendre ce rythme-là.

Que représente le piano pour vous ?

C’est tout pour moi. C’est toute ma vie (sourire).

Vous venez d’animer un masterclass. Quel est le sentiment qui vous anime à la sortie de cette rencontre ?

C’est un grand plaisir devant l’accueil des gens. C’est toujours très agréable de se rendre compte qu’on est populaire.

 BABACAR SY SEYE (STAGIAIRE)

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