Publié le 23 Nov 2021 - 19:58
MBOUGAR SARR FETE PAR LE ROMAN GAY

Un prix qui récompense la compétence littéraire

 

Après la controverse née du roman ‘’De purs hommes’’ de Mohamed Mbougar Sarr, propulsée par son prix Goncourt 2021, le petit génie sénégalais s’est vu octroyer le prix littéraire du Roman Gay.

 

Les célébrations littéraires du prodige sénégalais Mohamed Mbougar Sarr s’enchainent. Lancée à la face du monde par le prix Goncourt 2021 qu’il a remporté haut la main avec son roman ‘’La plus secrète mémoire des hommes’’ (Editions Philippe Rey), le jeune écrivain vient de remporter une nouvelle distinction.

Toutefois, celle-ci risque de ne pas être du goût de tout le monde, surtout dans son pays. Après la polémique sur une prétendue promotion de l’homosexualité qui a fait suite à son sacre du 3 novembre dernier, son roman à l’origine de cette controverse, ‘’De purs hommes’’ (Editions Philippe Rey) a reçu le prix littéraire 2021 du Roman Gay.

Cette distinction, créée en 2013 par l'association Verte Fontaine et des Éditions Du Frigo, récompense ‘’des romans (déjà édités et diffusés) de langue française originale et appartenant à une littérature d'inspiration homosexuelle masculine’’.

Cela ne veut toutefois pas dire qu’ils ne sont décernés qu’à des auteurs forcément homosexuels. Ce sont plutôt les maisons d’éditions qui y participent ou auteurs auto-édités en partenariat avec des éditeurs, pour favoriser leur visibilité dans des communautés homosexuelles.

Sans tenir compte de l’orientation sexuelle de l’auteur, le prix du Roman Gay sélectionne ‘’des œuvres sur la thématique de l’homosexualité, ‘’en filigrane ou au centre de l’œuvre, une histoire mettant en scène des personnages homosexuels, assumés ou non, en recherche ou en devenir, qu’ils vivent ou non leur sexualité, premiers ou seconds rôles, attachants ou insupportables, comme les rencontres que nous faisons ou aimerions faire dans la vie…’’.  

Ce qui est le cas du roman ‘’De purs hommes’’, le premier roman africain à aborder de manière frontale la question explosive de l'homosexualité sur le continent.

Un prix qui récompense la compétence littéraire et non l’orientation sexuelle

Dans le roman, comme expliqué dans une description, ‘’tout part d'une vidéo virale, au Sénégal. On y voit comment le cadavre d'un homme est déterré, puis traîné hors d'un cimetière par une foule. Dès qu'il la visionne, naît chez Ndéné Guèye, jeune professeur de lettres déçu par l'enseignement et fatigué de l'hypocrisie morale de sa société, un intérêt, voire une obsession pour cet événement. Qui était cet homme ? Pourquoi a-t-on exhumé son corps ? À ces questions, une seule réponse : c'était un ‘góor-jigéen’, disait-on, un homme-femme. Autrement dit, un homosexuel. Ndéné se met à la recherche du passé de cet homme, et va même rencontrer sa mère. Autour de lui, dans le milieu universitaire comme au sein de sa propre famille, les suspicions et les rumeurs naissent, qui le déstabilisent, au point de troubler sa relation avec son amie Rama dont il est fortement amoureux, Rama à la bouche généreuse et à la chevelure mystérieuse...’’.

Mais ce sont bien les qualités littéraires de Mohamed Mbougar Sarr qui ont été récompensées. D’autant plus qu’il a été désigné Prix littéraire du Roman Gay. Outre le Prix du Roman Gay décerné cette année au premier roman de L. Bigòrra, ‘’28 jours’’, beaucoup d'autres distinctions sont attribuées selon les années : une Mention spéciale du Jury, un Coup de cœur, un Prix découverte, etc.

Le jeune écrivain (31 ans) était déjà sous le feu des critiques au Sénégal. Sa notoriété décuplée par le prestigieux prix qu’il a gagné, a donné une nouvelle jeunesse à sa production littéraire. C’est ainsi que ‘’De purs hommes’’, inconnu de la majeure partie du public sénégalais, a été remis au jour, créant une polémique sur une possible promotion de l’homosexualité par son auteur. D’ailleurs, l’ONG islamique Jamra s’est lancée dans un ‘’devoir de lire intégralement et attentivement cet ouvrage, qui fait tant jubiler dans l’hexagone – où le Prix Goncourt, créé depuis 1903, n’a jamais été décerné à aucune des moult créations littéraires subsahariennes qui valorisent à foison l’identité culturelle africaine’’.

Interroger un sujet tabou rime-t-il avec promotion ?

L’ONG se méfiait déjà de la consécration littéraire de Mohamed Mbougar Sarr qu’elle trouve suspecte. Toutefois, ce n’est pas ‘’La plus secrète mémoire des hommes’’ qui traite des questions du débat homosexuel, mais ‘’De purs hommes’’.

Dans un entretien accordé à ‘’EnQuête’’, il y a quelques jours, le vainqueur du Prix Goncourt 2021 évoquait cette polémique en ces termes : ‘’Employer la forme romanesque pour ’parler’ d’un sujet, même tabou à l’intérieur d’une société, ne signifie pas le promouvoir ou le défendre ou l’encourager, mais l’interroger, en questionner les implications politiques, philosophiques et existentielles par la fiction. Enfin, la liberté et l’indépendance dans la création sont des valeurs sacrées pour un écrivain. Cette liberté-là, celle d’interroger, est la mienne : ma liberté d’écrivain. J’ai toujours été libre et indépendant dans l’écriture ; je le demeure et espère le demeurer.’’

Bonne ou mauvaise publicité, ce prix littéraire du Roman Gay a été décerné depuis le 12 novembre au prodige sénégalais. Mais il ne faudrait peut-être pas s’attendre à beaucoup de commentaires de la part de l’intéressé. Comme il se plaît à le dire, ‘’un écrivain ne doit jamais trop s’expliquer hors de ses livres, sous peine de finir humilié et exténué, sommé par tout le monde de justifier ou commenter chaque phrase, chaque mot, chaque métaphore. (…)’’

Qui a dit qu’un génie était toujours compris ?

Lamine Diouf 

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