La lumière d’un artiste célébré à la galerie Vema

La galerie privée Vema a accueilli, ce vendredi 18 avril, une exposition inédite en hommage à Amadou Sow, artiste-plasticien et sculpteur disparu, il y a dix ans, dont l’œuvre continue d’imprégner la scène artistique sénégalaise. Dans une atmosphère à la fois recueillie et chaleureuse, sa famille, ses amis, des artistes, des passionnés d’art ainsi que des représentants des institutions culturelles se sont réunis pour honorer la mémoire d’un homme profondément habité par la peinture.
L’exposition, au cœur de l’événement, présentait une série de toiles inédites, jamais exposées, ni titrées par l’artiste de son vivant. Ces œuvres, empreintes d’une intensité rare, surprennent par leur langage visuel : des explosions de couleurs vives, des dominantes de lumière et de jaune traversées par un point noir central. Comme une énigme laissée en héritage, ces tableaux semblent contenir un secret, un mystère suspendu entre le visible et l’invisible. Hélas, il n’est plus là, pour nous dire. Mais avant de nous avancer sur les toiles exposées, nous avons été touchés par les prises de parole des artistes, des galeristes et des amis qui ont honoré de par leur présence cet événement.
D’après la directrice de la galerie Vema, Binta Cissé, cette exposition n’est pas un hommage, mais une façon de mettre en avant le travail de feu Amadou Sow. ¨ La première exposition que j'ai eu à montrer, c'était celle d’Amadou Sow et à travers ça, on a eu Amadou Sow parmi nous sur une trentaine d'années. Malheureusement, il s'en est allé. Aujourd'hui, ce n'est pas carrément rendre hommage à Amadou Sow, mais c'est montrer son travail et remontrer le travail d'Amadou¨. Pour elle, la nouvelle génération montante a le devoir de le connaître. ¨Moi, ma devise a toujours été de promouvoir l'art contemporain, la culture dans mon pays. Je reste chez moi, je travaille chez moi et par devoir de mémoire, par devoir de transmission je me suis dit, je vais faire connaître tous ces anciens, revenir sur le travail des anciens, un travail académique, un travail de culture, un travail d'art contemporain pour cette nouvelle génération montante¨, a souligné Binta Cissé.
Elle poursuit : "C'est un plaisir de regarder ce qu'Amadou a fait. Nous n'allons jamais l'oublier ; un homme d'une grande générosité, un homme cultivé, un homme intéressant, un homme qui était là tout pour la culture, mais aussi qui était très nationaliste, qui aimait son pays, qui aimait voir ces jeunes artistes émerger et contribuer. Il voulait passer le flambeau à ces jeunes artistes. C'est la raison pour laquelle, à mon avis, à toutes ces expositions, on trouvait des jeunes qui étaient à côté de lui, qui participaient à ce qu'il faisait dans ses ateliers. Je crois qu'il nous a manqué. Il reste vivant, son œuvre est éternelle.’’
La représentante du secrétaire d’État à la Culture, Anne-Marie Faye, également directrice de la Galerie d’art national, a salué l’initiative et la portée symbolique de cette exposition : ¨Ce geste est fort. Il rappelle l’importance de rendre hommage à celui qui a construit notre imaginaire visuel. Amadou Sow a été un passeur de lumière et cette exposition témoigne de son regard unique sur le monde. Merci d'avoir ressuscité Amadou dans ses œuvres extraordinaires. Je ne peux pas définir et dire ce qu'il fait, mais je peux l'admirer", a-t-elle déclaré.
Le griot zoulou, quant à lui, a déclaré qu’Amadou Sow fait partie de ceux qui nous font aimer la vie et qu’on n’oublie pas. ¨Amadou était un homme généreux. Il suffit de regarder ses œuvres pour comprendre à quel point elles débordent de générosité’’.
Il a, par ailleurs, livré une performance poétique poignante. Dans un champ libre, il a invoqué la mémoire de l’artiste en ces termes : "Le père de mon grand-père était un livreur de louanges. Je me nomme Mbaye et je suis un sac à paroles. Je suis la clé de la société et par ma voix d’or, je suis griot, fils de griot. Et ceci… est un recueil pour Amadou.¨ Des paroles vibrantes, qui n’ont pas laissé le public indifférent et ont été saluées par un tonnerre d’applaudissements. ¨Ce qui marque son éternité, ce sont ses œuvres, car dix ans après, on parle encore de lui et l’on continue d’exposer son art¨, a-t-il conclu.
Dans cet esprit, l’ambassadrice d’Autriche à Dakar, Ursula Fahringer, a souligné que le talent d’Amadou Sow constituait un véritable pont entre l’Autriche et le Sénégal. ¨Amadou Sow percevait les différences culturelles comme une richesse. Il a su surmonter les frontières culturelles, établissant ainsi un lien profond entre le Sénégal, l’Afrique et l’Autriche¨. Autrement dit, pour elle, les acteurs culturels des deux pays continuent de faire vivre la mémoire de ce grand artiste, même après son départ.
De la couleur et le point noir, A. Sow nous offre un mystère
Revenons sur l’exposition. De la couleur, de la gaieté, du mystère et surtout de l’authenticité : c’est ainsi que sont présentées les œuvres sans titre d’Amadou Sow, lors de cette exposition. Une réelle exploration globale de son œuvre, en lien avec ce qu’il a été, ce qu’il a fait, notamment dans le domaine des arts religieux. Le commissaire d’exposition, Idrissa Diallo, revient plus amplement sur la portée des œuvres et sur le message à travers ce jaune et ce point noir.
¨Ici, nous l’appelons Amadou Sow, mais à Vienne, on parle de Maître Amadou Sow. C’est l’Académie qui l’a reconnu comme tel, parce qu’il est véritablement un maître. Il avait cette phrase qui résume bien sa démarche : ‘Je pose mes traits. Même s’ils ne sont pas parfaits, même si je ne suis pas satisfait, c’est mon trait. C’est la vérité du moment.’ C’est une position artistique forte, lucide et pleine d’humanité’’. Pour Idrissa Diallo, feu Amadou Sow fut un enfant livré à lui-même, face à la solitude et c’est là qu’il aurait commencé à dessiner sur les murs avec du charbon ramassé. Le mur comme support libre, spontané, naturel. C’est de là qu’il est parti. ¨Ce qui m’a toujours intrigué dans son œuvre, c’est ce point noir que l’on retrouve régulièrement. Il y a quelque chose de profond, presque mystique dans ce point. Est-ce une représentation de la terre ? Une source ? Une énigme ? Il disait lui-même qu’il était en quête perpétuelle, un chercheur qui testait tous les supports, toutes les matières. Il refusait les étiquettes, les cases, les mouvements¨, explique-t-il.
Autrement dit, pour Idrissa Diallo, Sow était un artiste libre, qui se renouvelait sans cesse.
La scénographie et les œuvres présentées
¨J’ai construit cette scénographie autour de deux axes. J’ai commencé par une œuvre signée ‘Gorée’, comme un clin d’œil à ses débuts, ses graffitis d’enfant. Et j’ai terminé par une œuvre non signée, cette grande toile aux deux visages, inachevée parce que la mort est arrivée avant qu’il puisse la finaliser¨, confie Idrissa Diallo rempli d’émotion.
En effet, selon lui, il y avait mille manières de scénographier cette exposition. ¨J’aurais pu me baser sur les décennies, les années 70, les années 2000, mais j’ai préféré suivre un fil sensible, un équilibre, un parcours intérieur, en écho à ses propres choix artistiques. Comme lui, j’ai pris des décisions, parfois intuitives¨.
Dans la salle, certaines œuvres étaient marquées par l’utilisation de matières naturelles comme du sable. ¨Cela vient de ce voyage qu’il a fait au Mali, sur les traces de ses origines. Il a découvert que son père venait de là-bas. Il s’est senti malien autant que sénégalais. Ce retour aux racines a nourri toute une série de créations, avec des couleurs terre, des textures organiques, profondes, qu’on retrouve ici¨, selon Idrissa Diallo.
On a retrouvé le jaune, la lumière, mais aussi le noir, la profondeur. D’après l’interprétation du commissaire de l’exposition, cette image révèle l’homme qu’était Amadou Sow. ¨Complexe, mouvant, en dialogue constant avec lui-même, avec l’Afrique, avec le monde¨.
Retenons donc que ce sont des œuvres qui attirent et qui intriguent. Elles nous parlent sans mot et nous laissent chacun face à notre propre regard, a déclaré la présidente de la galerie Vema dans un discours empreint d’émotion. ‘’Amadou Sow ne nous a pas donné de titre, mais il nous a donné des sensations et la responsabilité d’interpréter avec’’.
Thécia P. NYOMBA EKOMIE