Publié le 7 Aug 2025 - 12:38

Mettre un terme aux effets dévastateurs de la “générosité” des deux présidents-politiciens

 

Oui, il faut y mettre un terme, rapidement et sans état d’âme. Cette « générosité » nous a coûté très cher, hier comme aujourd’hui. Je n’ai pas attendu le 24 mars 2024 pour la dénoncer, avec ses conséquences désastreuses, aussi bien dans mes livres que dans mes contributions. Pour être précis, je rappelle d’abord les livres :

Livre 1 : Me  Wade et l’alternance : le rêve brisé du Sopi, Éditions Les Sentinelles, Dakar, février 2004, puis L’Harmattan, Paris, janvier 2005 (Chapitre VI : « L’opacité dans la gestion des affaires publiques : un dénominateur commun aux socialistes et aux libéraux », pp. 149-210) ;

Livre 2 : Qui est cet homme qui dirige les Sénégal ?, L ‘Harmattan, Paris, mai 2006 (Chapitre IV, ponts 4 et 5 : « Une générosité ostentatoire, déferlante et sélective » et « Emballement des moyens et du train de vie d’l’État », pp. 138-179) ;

Livre 3 : Le clan des Wade : accaparement, mépris et vanité, Éditions Les Sentinelles, septembre 2011 (Chapitres III, V et VI : « Une générosité insouciante et frustrante », « Une gouvernance instable, tatillonne et ruineuse » et « Une corruption nourrie et entretenue au sommet de l’État » avec, comme 6ème  point : «Une boulimie foncière à nulle autre pareille »).

Rappel de quelques contributions :

1 - « Conséquences de choix politiciens irréfléchis : le front social toujours en ébullition »

( WalfQuotidien du 3 février 2018) ;

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2 - « Le digne successeur du vieux président-politicien entretient la flamme qui met en ébullition le front social »

(WalfQuotidien  du 6 février 2018) ;

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3 - « Gonflement inquiétant de la masse salariale et ébullition du front social : le président-politicien veut se dérober »

(WalfQuotidien du 16 février 2018) ;

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4 - « Système de rémunération des agents de la Fonction publique : tout remettre à plat »

(WalfQuotidien du 20 février 2018) ;

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5 - «Système de rémunération des agents du Secteur public : revenir à l’équité»

 

(WalfQuotidien du 27 février 2018).

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Dans ces contributions comme dans de nombreuses autres publiées pendant la détestable gouvernance du président-politicien Jr, j’ai alerté sur les conséquences désastreuses que pouvaient entraîner une certaine générosité et des choix irréfléchis, surtout sur la masse salariale. J’insistais particulièrement sur l’augmentation des salaires et l’octroi d’indemnités à  la tête du client, comme sur des contrats dits spéciaux dont certains carrément léonins défient le bon sens. Dans cette contribution, je vais m’arrêter un peu sur ces fameux contrats qui posent aujourd’hui de réels problèmes à nos gouvernants.

La grande « générosité » que j’ai toujours dénoncée, à commencer par celle du vieux politiciens Jr,  se mesurait  dans de nombreux domaines, notamment dans celui des contrats « juteux » au bénéfice de personnes venues souvent de nulle part. Dans un dossier dédié aux « Grands maux de l’administration sénégalaise » par Sud quotidien du jeudi 30 mars 2002, un administrateur civil confiait que, « sous l’ère Diouf, on a eu droit à un maximum de 50 contrats spéciaux dans l’administration ». Deux ans après l’alternance, « les contrats spéciaux sont passés sous l’ère du président Abdoulaye Wade à près de 900 ». Les contractuels bénéficiaient de rémunérations substantielles, sans commune mesure avec ce qui avait cours dans la Fonction publique. Le paradoxe, ajoutait l’administrateur civil, c’était que « ces contractuels (n’apportaient) le plus souvent aucune plus-value à l’administration ». Les contrats étaient souvent établis sans que cela ne répondît à aucun critère, à aucune cohérence, à aucune utilité. D’anciens  « journalistes » du journal Sopi et des calots bleus ont été ainsi purement et simplement versés au « Quotidien de la République », avec des contrats spéciaux fort « intéressants ». Il n’était pas rare qu’une secrétaire contractuelle percevait  un salaire de 400 à 500.000 francs, pendant qu’un haut fonctionnaire en fin de carrière se contentait de 250.000 à 300.000 francs. Ce qu’il y avait de plus grave dans cette situation, concluait notre administrateur civil, c’était que « les compétences (étaient) étouffées (et qu’on)  nommait des gens à des postes névralgiques de l’État, à la place de personnes formées pour cela, mais mises sous le boisseau ».

Cette iniquité allait s’aggravant. Si, deux ans après l’alternance, l’administration libérale en était déjà à 900 contractuels, combien étaient-ils au moment où le vieux président-politicien quittait le pouvoir,  avec les changements intempestifs de gouvernements et d’inflation de ministres que nous avons connus pendant ses douze longues années de gouvernance ? Deux mille ? Quatre mille ?  Sept mille ou bien plus ? Qui sait ? Les ministres de Me Wade, dont beaucoup n’avaient jamais travaillé avant leur nomination, constituaient des cabinets à leur image. Il n’était pas rare que, dans un cabinet ministériel, la majorité des membres fût des contractuels, dont nombre d’entre eux et elles étaient pratiquement analphabètes en matière d’administration. Si on y ajoutait les directeurs de services et de sociétés nationales, les directeurs de diverses agences nationales, de projets et de programmes, on se retrouvait avec un nombre incalculable de bénéficiaires de contrats « juteux », sans rapport avec leur profil. Une grande aberration se rencontrait aussi au niveau des très nombreux « conseillers techniques ». Beaucoup d’entre eux, qui étaient au plus de la hiérarchie B, étaient nommés à cette fonction dans les différents ministères, à la Primature et à la Présidence de la République. De nombreux autres n'ont jamais travaillé de leur vie dans une administration, publique ou privée.

Je précisais alors, dans mes livres comme dans mes contributions, qu’on assistait, depuis l’avènement de cette décevante alternance du 19 ars 2000, à une prolifération effarante d’agences nationales, créées souvent pour « recaser » des amis, des parents ou des frères de parti. L’Étude du Programme intégré de réforme du Secteur public (PIRSP) me donnait alors raison. Selon les conclusions de son étude menée en novembre 2002, « l’administration sénégalaise est l’objet de  nombreuses modifications de structures qui répondent moins à des critères organisationnels qu’à une volonté politique. Cet état de fait conduit non seulement à une profusion de structures, mais aussi à des incohérences structurelles. On note ainsi tantôt des chevauchements de compétence, tantôt un affaissement des prérogatives, par le transfert d’une structure d’un département ministériel à un autre, ou des couplages peu pertinents de structures. Tous ces éléments concourent à une instabilité institutionnelle, créant des conditions négatives à l’efficacité de l’administration et à la continuité du service public. » (cf. Sud quotidien du jeudi 30 mai 2002, p. 3)

On était alors loin, très loin de l’époque du président Senghor qui, au lendemain de chaque formation d’un nouveau gouvernement, adressait de superbes instructions (tant au niveau du fond, de la forme que de la langue) aux nouveaux ministres. Il en était ainsi, pour ne donner que quelques exemples, de :

  • l’Instruction générale n° 15 P.R. du 1er mars 1968, sur l’organisation du travail gouvernemental ;
  • l’Instruction n ° 16  P.R. du 1er mars 1968, relative aux cabinets ministériels ;
  • l’Instruction n° 15 P.M. / JUR du 13 mai 1970, relative à la déconcentration des pouvoirs au sein des départements ministériels.

L’instruction n° 15 distinguait les  conseillers techniques du cabinet du Ministre et les conseillers techniques du Ministère. Elle précisait aussi les conditions de choix des membres des cabinets. Ces derniers devaient jouir de leurs droits civiques et politiques, être d’une honorabilité parfaite (ou presque) et posséder les compétences et la formation requises pour collaborer au plus haut niveau à la fonction ministérielle. Dans cette perspective, les directeurs et conseillers techniques devaient être titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur (ou d’un diplôme d’ingénieur), ou appartenir à la hiérarchie A de la Fonction publique. Et le Président Senghor précisait qu’il n’accepterait aucune dérogation à cette règle. Il exerçait d’ailleurs, par l’intermédiaire du Secrétariat général de la Présidence, un contrôle personnel sur la nomination des membres de cabinets ministériels.

L’instruction définissait également les conditions matérielles des membres de cabinets et précisaient nettement que ceux d’entre eux qui n’appartenaient pas à la Fonction publique percevaient, conformément à la loi en vigueur, une rémunération correspondant à leur qualification professionnelle, selon les règles appliquées au recrutement d’agents contractuels ou décisionnaires. Leur décision ou contrat d’engagement à titre précaire et révocable, comportait obligatoirement la clause suivante :

« Le présent contrat – ou la présente décision d’engagement – prendra automatiquement fin au plus tard en même temps que cesseront les fonctions du ministre auquel M. X… apporte sa collaboration ».

Le président Senghor voulait éviter ainsi l’utilisation des cabinets ministériels comme voie clandestine d’accès à l’administration. L’instruction précisait ainsi que « lorsque cessent les fonctions d’un ministre, ceux de ses collaborateurs personnels qu’il avait cru devoir recruter hors de l’administration, cessent de plein droit d’appartenir à celle-ci à quelque titre que ce soit ». Toutes informations utiles étaient ainsi données par l’instruction présidentielle.

Je n’étais sûrement pas d’accord avec la gouvernance de Senghor. Je lui reconnais, cependant, ses mérites. Si j’ai tenu à rappeler ses importantes instructions comme celles de son Premier ministre, c’est pour mettre en relief le flou, l’informel et l’amateurisme qui étaient les traits caractéristiques du régime libéral, du temps du vieux président-politicien comme de son successeur et sosie, le président-politicien Jr. Notre administration a souffert, beaucoup souffert de ce  passage des libéraux qui a duré 24 longues années. Aujourd’hui encore, elle est infestée de contractuels dont on ne s’est assuré ni de la formation, ni du niveau de compétence, ni de la maîtrise des rouages de l’administration. Ils sont tellement nombreux à avoir intégré la Fonction publique ! Ils ont bénéficié, pendant de longues années, de la  « générosité » légendaire du vieux président. Pour ne pas allonger davantage ce texte, je renvoie le lecteur intéressé à La « Une » du Quotidien du 17 mars 2005, qui confirme cette « générosité » en titrant : « Hausse en catimini des contrats spéciaux : l’Alternance engraisse son personnel politique ».

Le  président-politicien Jr n’était pas en reste. Dans une lettre n° 1 231 du 10 décembre 2004 adressée au Ministre d’alors de la Fonction publique, du Travail, de l’Emploi et des Organisations professionnelles, il  a notifié sa décision de relever les niveaux de rémunération des contrats spéciaux. Au terme de cette décision, les directeurs de cabinet, conseillers techniques, chefs de cabinets, chargés de mission à la Présidence de la République recrutés sur la base d’un contrat spécial, perçoivent respectivement un salaire mensuel de 500.000, 450.000, 300.000 et 250.000 francs Cfa. Quant aux attachés de cabinet, secrétaires et chauffeurs, ils ont un salaire mensuel de 200.000 francs. Ce n’était pas rien en 2004.  Cette « générosité » sélective avait évidemment suscité bien des frustrations chez les fonctionnaires. Sud quotidien fait dire à l’un d’eux, très en colère : « C’est frustrant pour nous de voir des gens du PDS si gracieusement rétribués, alors que beaucoup d’entre eux n’ont travaillé nulle part auparavant ». Un autre s’insurge contre de tels montants octroyés « à des gens sans qualification, sans expérience alors que des fonctionnaires totalisant 20 ans de service ou sortis de l’École nationale d’Administration et de Magistrature (ÉNAM d’alors) gardent leur niveau de salaire. »

Imagine-t-on, par-delà les grosses frustrations légitimes, les conséquences sur nos pauvres finances publiques de la décision hasardeuse du Premier ministre d’alors (Macky Sall). Avait-il, en signant sa fameuse lettre du 10 décembre 2004, une idée du nombre de bénéficiaires de contrats spéciaux du fait du PDS ? Étaient-ils conscients, le vieux président et lui-même, qu’ils étaient  en train de dégrader et de polluer l’administration sénégalaise en y faisant recruter progressivement et en grand nombre tous les militants qui gravitaient autour d’eux ? En s’installant au pouvoir le 1er avril 2000, ils ont hérité d’une administration qu’on pouvait considérer comme compétente et professionnelle. Avec leur « générosité » qui se manifestait dans leurs massifs recrutements de contractuels comme dans l’attribution non moins massive de parcelles de terrain et d’autres avantages aux mêmes bénéficiaires,  sans compter leur gestion catastrophique de nos deniers,  ils nous ont laissé un pays mal en point. Nos nouveaux gouvernants auront  besoin de temps et d’efforts gigantesques pour le remettre à l’endroit.

C’est dans cette perspective que, le lundi 4 août 2025, ils ont présenté au Grand Théâtre, leur « Agenda national de transformation du service public ». Agenda dont j’ai suivi de loin la présentation,  n’ayant pas eu l’honneur d’être des invités qui en savent bien plus que ma modeste personne en matière de gestion de l’administration. Á l’occasion, le Premier a dénoncé beaucoup de maux que traîne lourdement l’administration, les mêmes maux que je dénonce depuis plusieurs années, dans mes livres comme dans mes contributions. Il a particulièrement insisté sur la corruption, les surfacturations, certains gros salaires, la politique de recrutement clientéliste qui prévaut depuis les années 2000. « Une hérésie de recrutement, précise-t-il, basée sur la proximité politique ou familiale ».

Ce qui leur  reste, et que le peuple attend d’eux, c’est d’appliquer sans état d’âme les mesures prévues dans l’Agenda et, avant l’Agenda, dans le Plan de redressement économique et social. Qu’ils n’hésitent surtout pas devant certains contrats dits spéciaux arrivés à terme, ni devant nombre d’agents qui nous coûtent annuellement des centaines de milliards pour presque rien ! Qu’ils aient le courage de faire face à certaines revendications de travailleurs qui ne peuvent pas être satisfaites dans l’état actuel des moyens de l’État ! On attend d’eux le même courage face à certains salaires, certaines indemnités surtout et même – pourquoi pas –, à certaines primes faciles comme les fameux fonds communs. Pour être à l’aise, qu’ils donnent l’exemple en s’appliquant eux-mêmes certaines mesures, notamment dans la réduction – drastique si c’est nécessaire – du train de vie de l’État !

La tâche qui les attend est certainement rude, mais ils peuvent faire efficacement face. Pour ce qui me concerne, j’ai le sentiment qu’ils s’en sortiront avec succès, s’ils appliquent à la lettre toutes les mesures prévues dans leurs différents projets de réforme (nécessaire) de l’administration. En tout cas, je m’engage ici à continuer de les accompagner même modestement et de loin, tant que mon état de santé me le permettra.

Dakar, le 6 août 2025
Mody Niang

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