Publié le 6 May 2019 - 23:25
MOUHAMADOU SARR, PRESIDENT DE L’UNION DES MENUISIERS DU SENEGAL

‘’La part de l’artisanat local dans la commande publique est un droit’’

 

Le chef de l’Etat avait promis, en 2013, lors du Conseil des ministres décentralisé à Tambacounda, d’octroyer 15 % de la commande publique aux artisans locaux. Mais, selon le président de l’Union des menuisiers du Sénégal (Ums) Mouhamadou Sarr, cette directive n’a pas été respectée. Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, il revient sur les problèmes qui plombent le développement de leur secteur, le Code forestier, le décret présidentiel pris après la tuerie de Boffa Bayotte…

 

Comment décrivez-vous, aujourd’hui, le secteur de l’artisanat sénégalais, notamment celui de la menuiserie ?

Dès 2012, après l’élection du président de la République Macky Sall, nous avions beaucoup d’espoir, à travers ses déclarations. Et même des directives qui ont été données. Il avait dit, lors du Conseil des ministres décentralisé de Tambacounda, en avril 2013, qu’il va octroyer 15 % de la commande publique aux artisans locaux. Cela n’a pas été fait. L’employabilité des jeunes dont il parle, on ne peut l’avoir que dans le secteur de l’artisanat. Aujourd’hui, il parle de la modernisation de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage. Mais personne n’entend parler de celle du secteur de l’artisanat. Nous avons des équipements qui datent de très longtemps. Et il n’y a pas une vision claire sur le développement de notre secteur, ni de politique de modernisation. Donc, l’artisanat manque de tout. Les textes qui régissent nos chambres de métiers sont vétustes.

Le Sénégal devrait s’orienter vers les assises de l’artisanat. Nous venons d’avoir un nouveau ministre. Mais il n’y aura qu’une continuité. Il n’y aura pas de changement. Le changement, c’est une vision, un engagement, une volonté. Il faut créer un cadre pour pouvoir harmoniser toutes les ressources, personnes, les directions qui sont dans le secteur. Parce que l’artisanat est logé dans l’architecture du ministère de la Formation professionnelle. Or, il méritait d’avoir un ministère plein. L’Etat devrait accompagner les artisans, petit à petit, vers l’industrialisation. Ce qui permettrait à un artisan de se développer progressivement pour devenir une petite et moyenne industrie (Pmi) et, plus tard, une grande industrie. Mais, ce qu’ils font, c’est du copier-coller. La formation professionnelle n’a rien à voir avec l’artisanat. La formation professionnelle est classique. Et le ministre de tutelle, Mamadou Talla qui vient de quitter, durant les 7 ans qu’il a passés à la tête de ce département, ne s’est focalisé que sur la formation professionnelle. Rien n’a été fait dans le secteur de l’artisanat.

Donc, vous voulez dire que les directives du chef de l’Etat ne sont pas respectées, surtout par rapport à la part de l’artisanat dans la commande publique ?

Dans la commande publique, il ne doit pas y avoir de part de l’artisanat local, c’est un droit. La commande publique doit être dédiée à la main-d’œuvre locale. Ce n’est pas seulement l’artisanat. La commande publique de l’Etat, c’est en termes de bureau, de matériel, etc. On regarde ce qui peut être fait ici, on le commande à la main-d’œuvre locale. C’est un droit, ce n’est pas une part qu’il doit nous donner. Celui qui aspire à diriger un pays doit faire en sorte que ses fils et filles puissent accéder à un meilleur cadre de vie. Pour les artisans et les ouvriers, c’est à l’Etat de créer le cadre pour qu’ils puissent faire parfaitement leur travail, accéder aux marchés, à des formations, aux financements, aux fonciers, etc. L’artisanat a un problème, notamment, sur les ‘’4 F’’.

Il s’agit de la formation, du foncier, de la formalisation et du financement. Dans toutes les communes du Sénégal, il n’y a pas une politique vis-à-vis des artisans qui consiste à créer un cadre propice, des villages artisanaux, une zone industrielle, à la recherche de partenaires pour les accompagner, etc. Aucune de nos chambres de métiers n’est dans cette directive. Nous sommes laissés à nous-mêmes. Ceci, malgré des slogans qu’on donne par-ci, par-là dans les déclarations politiques qui ne sont pas suivies. L’heure est grave, nous devons faire comme l’agriculture et la pêche, en essayant de voir les voies et moyens pour moderniser le secteur.

Vu que la formation des acteurs de votre secteur reste un défi à relever, est-ce qu’ils sont en mesure d’assurer la commande publique ?

Ce n’est pas un prétexte. L’éducation et la formation, c’est du devoir de l’Etat de les assurer à ses citoyens. Il doit mettre en place un dispositif. Cela existe. Mais c’est utilisé à des fins politiques. Aujourd’hui, on a l’Office national pour la formation professionnelle (Ofnp), le Fonds national pour la formation professionnelle (Fnfp), la Direction de l’artisanat, celle de l’apprentissage, celle des petites et moyennes entreprises (Pme). Pourquoi ne pas articuler toutes ces structures en une seule, forte, pour répondre aux aspirations des ayants droit ?

Et par rapport à l’accès au financement, le chef de l’Etat a récemment mis en place des instruments tels que la Der. Est-ce que vous vous voyez dans ces dispositifs ?

C’est vrai que la Délégation à l’entreprenariat rapide (Der) a financé des Sénégalais, des artisans, des chauffeurs, etc. Mais c’est un financement qui vise la politique. On était à l’approche de l’élection. On a débloqué 30 milliards de francs Cfa qu’on a mis dans une caisse pour voir dans quels secteurs injecter de l’argent. Or, je parle de politiques sectorielles pour l’artisanat. Nous devons organiser les assises de l’artisanat pour que les acteurs, les pouvoirs publics, les bailleurs de fonds réfléchissent ensemble pour mettre en place un document de mise en œuvre de politiques de modernisation du secteur. Ce n’est pas seulement la Der, même le Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip) fonctionne de la même manière.

J’avais déposé un dossier au Fongip, mais cette structure, c’est une coquille vide. Ce qu’on a dit à travers les missions de ce fonds et ce qu’il en est vraiment, c’est différent. Il disait que l’artisan, l’agriculteur ou l’éleveur qui n’avait pas de garantie pour accéder à un financement, le fonds est venu pour combler ce gap. En mettant en place un budget dans les banques pour garantir les projets des porteurs de projets. Mais ils ne l’ont pas fait. Si on apporte son projet, on demande une garantie et on dit que le Fongip n’intervient que selon un taux d’intérêt. Le slogan annoncé et la réalité des faits n’étaient pas la même chose. Ce qui fait que le Fongip n’a pas eu de résultats.

Est-ce que les projets qui sont soumis à ces structures sont banquables, avec un bon business plan ?

Tout cela, c’est l’échec des pouvoirs publics. L’Etat n’a pas la responsabilité de créer des emplois, mais il lui revient de créer le cadre macroéconomique. Il doit mettre en place des institutions administratives comme financières. Il doit encadrer ses promoteurs, ses entreprises. Les Chinois qui sont là, à qui on a donné nos autoroutes et autres, les ouvriers qu’ils emploient sont des prisonniers de leur pays. La Chine, en négociant avec d’autres pays, prend en compte ses ressortissants qui ont des peines ou qui n’ont pas d’emplois, en signant des conventions avec nos Etats pour les accompagner. En plus, ils encadrent leurs entrepreneurs. L’Etat doit former les entreprises à être compétitives.

Pour l’exploitation du bois, l’Ums préconise la suppression des quotas régionaux au profit de ceux nationaux. Qu’est-ce que cela signifie ?

L’exploitation du bois est légiférée dans le Code forestier. Jusqu’ici, les quotas sont délivrés aux exploitants en collaboration avec les chambres de métiers. Cette procédure nous crée beaucoup de problèmes. Parce que le menuisier n’a pas accès à ces quotas. Il achète le bois aux exploitants. Il n’a qu’un reçu d’achat. Quand il transforme le produit pour en faire un bureau, une armoire, etc., le service forestier peut venir dans son atelier pour lui demander ses papiers. S’il ne les a pas, on saisit ses produits. C’est pourquoi nous disons qu’il faut harmoniser cette exploitation, en collaboration avec les acteurs, les exploitants, les menuisiers, mais aussi les chambres de métiers. Jusqu’ici, il fallait passer par des réformes. On doit revoir la mission assignée à nos chambres de métiers. Elles doivent descendre à la base, discuter avec les artisans pour leur donner l’information requise pour les orienter vers d’autres perspectives.

Après les évènements de Boffa Bayotte, le chef de l’Etat avait sorti un décret pour interdire l’exploitation de la forêt, de la coupe de bois…

Depuis lors, nos braves menuisiers qui sont dans le Sud ont d’énormes problèmes. Ils ne vont plus travailler, parce qu’ils n’ont plus accès au bois. Depuis plus de 6 mois, ils sont en chômage technique. Jusqu’à la veille de l’élection, ils étaient dans l’embarras. Beaucoup de personnes disent qu’Ousmane Sonko a gagné Ziguinchor. C’est vrai, c’est de la politique. La Casamance n’a pas voté Sonko, elle a sanctionné Macky Sall. Lors de la campagne présidentielle, le président Sall, en entrant à Ziguinchor, a été intercepté par les acteurs, avec leurs pancartes, lui disant qu’ils voulaient le rencontrer. Il a foncé. Idrissa Seck a fait la même chose, de même qu’Issa Sall et Madické Niang. C’est seulement Sonko qui les a reçus. Il leur a dit : ‘’Votez pour moi. Si je gagne, je vais rationnaliser la forêt.’’

Parce que la première ressource dans ces quatre régions Sud (Ziguinchor, Tamba, Kolda et Sédhiou) c’est la forêt. Si on l’interdit à la population, elle n’aura pas d’autres choix. Donc, le président doit revenir sur sa décision et accompagner ces acteurs, les aider, les orienter. On ne dit pas qu’il faut laisser les gens exploiter la forêt n’importe comment, parce que c’est bien légiféré.

A ce propos, nous envisageons d’organiser un forum sur ‘’L’exploitation des ressources forestières et la maitrise de notre environnement : quelles perspectives pour un développement durable de nos terroirs ?’’. Nous voulons, à travers cela, que le président de la République et tous les acteurs autour de cette question puissent trouver une issue pour une solution alternative pour le court, moyen et long terme. Préserver la forêt oui, mais chercher des solutions pour que les professionnels, qui ne veulent pas aller en mer pour l’émigration clandestine, travaillent au service de leur patrie. Que l’Etat puisse les accompagner pour qu’ils aient des unités de production, des centrales d’achat pour avoir le bois et le commercialiser.

Mais est-ce que les menuisiers maitrisent réellement le Code forestier ?

Non. Le Code forestier doit faire l’objet d’un atelier de partage vis-à-vis des menuisiers, des exploitants, des collectivités locales. Parce que ces dernières contrôlent le foncier. La Chambre des métiers, en première ligne, doit extraire ce code, en collaboration avec les ministères, pour organiser un atelier pour qu’ils comprennent ce qui est légiféré. C’est pareil pour le Code de l’artisanat. Les artisans ne le connaissent pas.

MARIAMA DIEME

 

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