Publié le 16 Apr 2019 - 18:01
NOTRE-DAME EN FLAMMES

“Ça fait mal au cœur un trésor pareil, c'est l'âme de Paris”

 

A 22 heures, l'incendie de Notre-Dame n'était toujours pas maîtrisé, le beffroi nord encore en flammes. Des Parisiens et des touristes médusés ont vu la flèche de la cathédrale s'effondrer.

 

Une pluie de cendres s’abat sur Notre-Dame, et le parvis. Selon un pompier sur place, le feu pourrait durer toute la nuit. «On n'est pas sûr de pouvoir enrayer la propagation au beffroi nord. Si celui-ci s'effondre, je vous laisse imaginer l'ampleur des dégâts», a souligné le général Jean-Claude Gallet, commandant de la brigade des sapeurs pompiers de Paris. «L'urgence absolue est de sauver les tours et la façade Nord», appuie Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris.

Depuis plus de trois heures, des gens médusés observent la scène, et pour beaucoup sortent leur téléphone pour filmer, souvent sans un mot. Sur une berge de l’île Saint-Louis, une foule est rassemblée. Des Parisiens, des touristes. Le silence saisit. L’odeur de brûlé se répand dans les ruelles du Quartier latin. Une masse de fumée verdâtre s’échappe de Notre-Dame-de-Paris, envahissant le ciel de Paris. L'incendie s’est déclaré ce lundi, peu avant 19 heures. Les ponts enjambant la Seine autour de Notre Dame ont été fermés à la circulation. Des milliers de personnes vont et viennent. Certains en pleurs. Une habitante du IVearrondissement, un mouchoir en papier à la main pour sécher ses larmes : «Ça fait mal au cœur un trésor pareil. C’est l’âme de Paris.» En voyant la photo circuler, Elsa, 21 ans, a d’abord cru que c’était un montage. «J’ai vu la fumée de chez moi et je suis aussitôt descendue. Je passe devant tous les jours.»

 «Le sauvetage de Notre Dame n’est pas acquis»

Le secteur est bouclé. Environ quatre cents pompiers sont mobilisés. Les micros des policiers préviennent de la dangerosité des braises qui volent dans le ciel. La maire de Paris, Anne Hidalgo, fixant les écrans de surveillance des pompiers qui diffusent les images filmées en temps réel par un drone, lâche l’air abattu: «c’est terrible, c’est l’emblème de Paris, c’est un lieu extraordinaire, c’est l’histoire, c’est Victor Hugo. C’est la poésie de Paris. Pour l’instant, je n’ai pas les mots, je ne peux que saluer le travail des pompiers.» Une cellule de crise a été déployée.

Présents aussi sur place, le préfet, Didier Lallement, le ministre de la Culture, Franck Riester et le secrétaire d’Etat auprès du ministère de l’Intérieur, Laurent Nunez. Ce dernier a indiqué peu avant 22 heures, très inquiet: «Nous ne sommes pas certains d'arriver à enrayer la propagation. Le sauvetage de Notre Dame n'est pas acquis». Un peu plus tôt dans la soirée, il déclarait que l'origine du feu n'était pour l'instant pas connue. «Un effondrement s’est produit à l’intérieur du site et les pompiers sont à l’œuvre. Il n’y a pas de blessé. Les pompiers ont fait le maximum pour sauvegarder l’ouvrage». Le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, a lui aussi souligné qu’il était «trop tôt» pour «connaître l’origine du feu», tout en précisant avoir saisi  la police judiciaire.

 «Je suis très ému», a pour sa part déclaré le recteur de la cathédrale de Notre-Dame, Patrick Chauvet. Et de poursuivre: «C’est un monument qui a 855 ans. On a vu sa flèche s’effondrer, alors qu’on était en train de le restaurer.» D’abord en feu, la flèche est peu à peu devenue rouge, comme une allumette. Jusqu’à tomber peu avant 20 heures, sans un bruit, provoquant un épais nuage jaunâtre.

Maurice de Germiny, prêtre et ancien évêque de Blois, se trouve face a la cathédrale en flammes. Visiblement ému, il observe : «Notre Dame de Paris est un lieu cordial, le monde entier vient ici. Toutes les langues y sont représentées. D’une manière toujours respectueuse. Ce n'est pas la visite de la tour Eiffel, mais celle d’un lieu sacré.» Alors que les ravages du feu commencent à apparaître, le religieux dit ne pas ressentir de colère, mais de la «tristesse»: «Je crains beaucoup pour les stales et les vitraux», dit-il. 

«C’est plus qu’un bâtiment qui brûle, c’est notre histoire»

22 heures : les pompiers sont toujours à l’œuvre et les flammes ne semblent toujours pas maîtrisées. Des nacelles crachent de l’eau sur les côtés de la cathédrale et un hélicoptère passe dans le ciel. Les côtés du monument semblent être la partie la plus touchée, laissant les gargouilles dans un nuage de fumée. Des centaines de pompiers ont remplacé les badauds qui se pressent d’ordinaire chaque jour sur le parvis du monument le plus visité d’Europe avec plus de douze millions de visiteurs chaque année. En haut de la cathédrale aussi, des silhouettes en uniforme coloré détonnent avec la pierre ocre, au niveau de la toiture. «Ça fait mal au cœur» déclare un policier chargé du périmètre de sécurité, alors que la nuit commence à tomber.

Le président de la République, Emmanuel Macron, est arrivé vers 20h30, accompagné de son épouse. L’air grave, le chef de l’Etat, qui a annulé son intervention télévisée, traverse le parvis pour se rendre auprès des pompiers. Notre-Dame-de-Paris est entourée de camions à eau. Le Premier ministre, Edouard Philippe, s’est lui aussi rendu sur place. Lui et le chef de l’Etat se sont ensuite rendus dans la caserne de la Cité, où se trouve la préfecture de police.

A deux pas du périmètre de sécurité, Valentin et Anthony, Toulousains, venaient de terminer leur journée de travail à la Défense : «On a vu sur Twitter que ça brûlait et on a décidé de venir voir. Cette cathédrale, c’est l’histoire de France», disent-ils. Dylan et Sophie sont bloqués rue Xavier-Privas. «On voulait manger au resto mais là tout est bloqué. C’est terrible de voir ça. Y en a qui pleurent. C’est incroyable.» Un couple s’enlace devant la cathédrale en flammes. Estelle, la jeune femme, ne quitte pas l’édifice des yeux. 

Une vieille dame qui fend la foule en pleurs : «Pourquoi n’envoient-ils pas les canadairs je me sens tellement impuissante, on voudrait faire quelque chose mais on ne peut rien faire, c’est plus qu’un bâtiment qui brûle, c’est notre histoire.»

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De la Reine Margot à la Libération, Notre-Dame ou l’église de la nation

Devenue grâce à Victor Hugo un symbole populaire au-delà de sa dimension religieuse, la cathédrale parisienne aura connu, entre grandeur et décadence, tous les soubresauts de l’histoire de la capitale depuis le Moyen Age.

Heures terribles et symboliques, fait divers historique, spectacle effrayant pour quiconque aime un tant soit peu l’histoire de France. C’est le cœur d’un pays qui brûle sous les yeux de millions et de millions de terriens qui ont déambulé dans la nef, touristes impressionnés par l’aérienne solennité des lieux, sous les ogives nerveuses, les vitraux en technicolor, parmi les piliers vénérables et les chapelles aux innombrables mystères. Paris brûle-t-il ? Métaphoriquement, oui. Une épaisse fumée couronne un théâtre aussi tourmenté que cet incendie implacable, si difficile à contenir.

Cette charpente en flammes soutenait une toiture hiératique et une flèche altière, mais aussi une bonne part de l’identité française, où se bousculent les souvenirs d’école et de légende, ceux de Charles VII et de Jeanne d’Arc, d’Henri IV et de Bossuet, de la Révolution et des deux Bonaparte, de la Libération, de Claudel, du Maréchal et du Général et surtout, dans la culture populaire, de Quasimodo, de Frollo et d’Esmeralda, les héros du roman de Hugo, monument de papier qui a décuplé la gloire du monument de pierre.

Douter du Ciel

Notre-Dame de Paris, comme chez le grand Victor, c’est d’abord le Moyen Age cruel et foisonnant, injustement méprisé, réhabilité par les historiens, plébiscité par le public, avec sa foi impérieuse jusqu’au fanatisme, ses intrigues sanglantes à la Game of Thrones, sa misère et ses massacres qui faisaient douter du Ciel. La renommée du vaisseau de pierre en fit le grand centre populaire de la capitale. Sur l’île de la Cité où se dressait Lutèce, les hiérarques de l’Eglise au pouvoir sans limite font élever cette offrande de pierre à leur Dieu qui règne sur l’Europe. D’Ouest en Est, tournée vers Jérusalem comme tant de cathédrales, deux tours massives, une nef colossale, un transept aux rosaces de lumière, un chœur comme une proue dans la Seine, et une flèche qui gratte les nuages dominent le Paris chrétien et incarnent la force sans réplique du catholicisme.

Tout autour se serrent des masures fragiles et un peuple habitué au malheur qui vit durement à l’ombre des gargouilles et des saints statufiés, protégés par des reliques aux pouvoirs magiques, dont la couronne d’épines du Christ déposée là par Saint-Louis. La cathédrale accueille les croyants, les bourgeois, les seigneurs, mais aussi les réprouvés, les exclus, les miséreux, entre ses murs qu’on croit livides parce que les fresques d’origine, aux couleurs rutilantes et dorées, ont été effacées par le temps et jamais restaurées dans une époque où l’on croit que la religion était par nature austère.

Dans ce musée vivant, les grands événements se sont succédé en rangs serrés, ponctuant l’histoire des manuels de la République. En guerre avec le Pape, Philippe le Bel y tient les premiers Etats généraux du royaume ; pendant la guerre de Cent Ans, on y couronne Charles VI, enfant-roi de France et d’Angleterre, comme on le fera pour Marie Stuart. Récupérant son royaume envahi, Charles VII célèbre la reprise de sa capitale aux Anglais et aux Bourguignons, par un Te Deum, le premier d’une longue série. Il réunit aussi le tribunal ecclésiastique chargé de réhabiliter Jeanne d’Arc brûlée à Rouen. La reine Margot y épouse Henri de Navarre, le chef des huguenots qui reste sur le parvis pendant la cérémonie, six jours avant que ces noces de réconciliation ne deviennent des noces pourpres avec le massacre de la Saint-Barthélémy. Encore un Te Deum pour le mariage de Louis XIV, et une péroraison majestueuse de Bossuet pour la mort du Grand Condé.

Napoléon se sacre empereur au même endroit, immortalisé par David, prenant des mains du pape la couronne pour se la poser sur la tête, puis pour couronner à son tour Joséphine. Son neveu Napoléon III se marie avec l’impératrice, puis y fait baptiser le prince impérial. Entre-temps, la Révolution a transformé la cathédrale en «temple de la Raison» à l’éphémère histoire, dans une vaine tentative de déchristianisation, quand on changeait les églises en greniers et qu’on fondait les cloches pour faire des canons.

Sombres émotions de la foi

Pendant l’Occupation, heures sombres : le maréchal Pétain, acclamé par les Parisiens en avril 1944, est solennellement accueilli par le cardinal Suhard. Heures lumineuses : la libération de Paris commence près du parvis avec la révolte de la préfecture de police, continue avec l’arrivée à un jet de pierre, devant l’Hôtel de Ville, le 24 août 1944, des blindés du capitaine Dronne montés par des républicains espagnols, et trouve son apothéose avec le Te Deum et la Marseillaise jouée plein jeu par l’orgue de la cathédrale en présence du général de Gaulle entouré des chefs de la France libre et de la Résistance. Au moment d’entrer, des tireurs des toits prennent la foule pour cible et, dit-on, le Général est l’un des seuls à rester debout, avant de pénétrer d’un pas lent sous la nef.

C’est encore à Notre-Dame, derrière un pilier, dit-il, que Claudel embrasse la foi, qu’on célèbre les hommages nationaux à Charles de Gaulle, Georges Pompidou et François Mitterrand, qui préférait pourtant Saint-Denis et ses gisants. C’est encore là qu’on honore l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle, que se suicide l’écrivain d’extrême droite Dominique Venner, et qu’on se recueille après les attentats de novembre 2015.

Notre-Dame pour l’histoire, donc, la plus imposante et la plus traditionnelle. Mais aussi Notre-Dame pour le peuple. Victor Hugo décrit les sombres émotions de la foi, mais surtout l’exubérance populaire qui animait le parvis et même la nef, où se pressaient les artisans, les tire-laine, les portefaix et les prostituées, où dansait la Rom Esmeralda, où souffrait Quasimodo, qui habitait dans les hauteurs obscures de la charpente qui vient de brûler. Avant lui, Eugène Sue avait fait commencer dans l’île de la Cité, à l’époque le quartier le plus pauvre de la capitale, ses Mystères de Paris, premier grand reportage romancé sur la misère des oubliés, leur humanité et leur dignité. Et enfin, une comédie musicale en stuc, tissée de mélodies faciles, allait porter partout dans le monde la gloire de ce monument qui concentre en lui les grandeurs d’un passé mythique mais aussi les très humaines épreuves d’un peuple dévot ou révolté.

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