Publié le 9 May 2023 - 16:18
OUSMANE SONKO - MAME MBAYE NIANG

La Cour d’appel corse la peine

 

Condamné à six mois avec sursis, Ousmane Sonko paie cash sa défiance aux magistrats. Son éligibilité reste toutefois sujette à controverse. 

 

C’est une décision qui était certes attendue. Ousmane Sonko lui-même semblait s’y attendre avec certitude. Il n’empêche, cela n’a pas atténué l’effet de surprise. À l’instar du condamné à mort qui a la tête coincée dans la guillotine et qui ne voit jamais l’instant où le couperet lui sépare la tête du reste de son corps. Hier, après une journée relativement calme et sereine, la Cour d’appel de Dakar n’a pas tremblé, au moment de rendre sa décision. Sur un ton ferme, le président livre la sentence dans une salle où l’on entendrait même une mouche voler. Partiellement, la cour infirme le jugement rendu en première instance ; ‘’déclare le prévenu coupable des délits de diffamation et d’injures ; le condamne à une peine de six mois assortis du sursis pour les deux infractions ; ordonne la contrainte par corps au maximum’’.

En revanche, pour ce qui est des dommages et intérêts réclamés par la partie civile, la cour a reconduit les 200 millions F CFA prononcés par le premier juge.

Chez les avocats de Mame Mbaye Niang, la satisfaction semble primer. ‘’Ce qui nous a plu dans cette décision, c’est la peine de deux mois qui a été réformée. La loi prévoit quatre mois minimum pour le délit de diffamation, pas deux. Le premier juge nous avait certes donné raison en disant que Sonko ne dit pas la vérité ; il a diffamé Mame Mbaye Niang, mais la peine n’était pas conforme à la loi. C’est pourquoi le procureur, représentant de la société, avait fait appel’’, s’est félicité Maître El Hadj Diouf.

Dans la même veine, Me Diouf est revenu sur la contrainte par corps qui a été prononcé par le juge. ‘’En matière pénale, s’il n’y a pas de contrainte par corps, c’est comme si la décision n’avait aucune valeur. Pour donner à sa décision une certaine force, il faut l’accompagner de la contrainte par corps. Il l’a fixé au maximum, c’est-à-dire deux ans. Maintenant, s’il préfère aller purger plutôt que de payer, il peut le faire’’.

S’il y a quelqu’un qui a du mal à cacher sa grande colère contre Ousmane Sonko, c’est bien le procureur général Ibrahima Bakhoum. Si le juge avait suivi son sévère réquisitoire, il allait prononcer une peine de deux ans, dont un an ferme assorti d’un mandat d’arrêt contre le président du Pastef/Les patriotes. Aussi, a-t-il demandé que ce dernier soit déclaré coupable des chefs de faux, usage de faux, injures publiques et diffamation. Seules ces deux dernières infractions ont finalement été retenues.

En l’absence d’Ousmane Sonko, ses conseils n’ont malheureusement pas eu droit à la parole. La cour était contrainte de se contenter des plaidoiries à charge des avocats de la partie civile et du ministère public, qui ont eu largement le temps de l’enfoncer. Comme en première instance, ils n’ont pas manqué de soulever les arguments qui, pour eux, disculpent, leur client. D’abord, soulignent les avocats de Mame Mbaye Niang, leur client n’était pas le coordonnateur du Prodac. En tant que ministre chargé de la Jeunesse, il n’avait qu’une tutelle technique. ‘’Il n’était ni administrateur de crédit ni ordonnateur de dépenses. Comment on peut donc l’accuser d’avoir été épinglé par un corps de contrôle ?’’, s’étonne Me Dramé qui n’a aucun doute sur la mauvaise foi de Sonko qui n’a eu de cesse de narguer la justice et les magistrats. Cela dit, les conseils ont insisté sur le fait que M. Niang n’a jamais été épinglé par un quelconque corps de contrôle.

À l’enquête, M. Sonko s’était limité à produire, selon eux, des clés USB, avec des liens renvoyant à de ‘’supposés rapports’’ publiés sur certains sites d’information. ‘’Nous avons eu à saisir l’IGE pour leur demander s’il y a un rapport sur la gestion du Prodac. La réponse fut négative. Nous avons saisi l’IGF, puisqu’il avait dit qu’il a commis un lapsus. Là aussi, c’était négatif. Cela montre bel et bien qu’il y a eu du faux’’, dira Maitre Baboucar Cissé.

Dans la même veine, Maitre Pierre-Olivier Sur a rappelé la jurisprudence ‘’L’AS’’, qui avait été condamnée à six mois dans une affaire similaire. ‘’En matière de diffamation, il y a deux voies pour le prévenu. Il a l’exceptio veritatis ; il vient prouver ses allégations. Au cas où il est dans l’impossibilité de prouver, comme c’est le cas, il aurait pu plaider qu’il s’est trompé de bonne foi. Monsieur Ousmane Sonko n’a fait ni l’un ni l’autre. On avait essayé de comprendre le premier juge qui lui avait décerné un carton jaune. Mais aujourd’hui, il faut un carton rouge, parce qu’il continue son attitude de défiance. Il n’a même pas daigné se présenter devant le tribunal. Ce qui montre qu’il n’a aucun respect pour le tribunal. En conséquence, il faut en tirer toutes les conséquences et mettre fin à la partie’’.

Les limites de la défiance et des menaces !

Comme en première instance, les avocats d’Ousmane Sonko étaient, hier également, réduits à de simples spectateurs. Pendant que ses partisans continuent de cautionner une telle défiance à l’endroit de l’institution judiciaire, ils sont nombreux les observateurs avertis à s’interroger sur la pertinence du boycott tous azimuts.

Pourtant, malgré tout le tollé suscité par la convocation de la première audience en raison de la non-observation du délai d’appel, le conseil attitré de Sonko, Me Ngom, n’avait pas manqué d’interjeter appel. Ce qui laissait croire qu’ils feraient au moins le déplacement pour porter leurs arguments devant le juge.

Mais c’était sans compter sur la témérité du maire de Ziguinchor qui s’était déjà fait une opinion sur ces juges. ‘’Depuis que j’ai commencé à avoir maille avec la justice, mes droits n’ont jamais été respectés. Je n’en peux plus ; je suis arrivé au terminus ; je n’irai pas au tribunal, mais cela ne veut pas dire qu’on donne aux magistrats la licence de faire ce qu’ils veulent. Ils savent très bien que ces dossiers sont vides. Même si je ne suis pas présent, le juge ne peut pas prendre en compte l’environnement du prévenu. Si le juge ne peut pas prendre des mesures pour garantir à un prévenu ses droits, il ne peut pas lui imposer de venir par la force. Cela ne saurait être un prétexte’’, a-t-il soutenu lors de sa dernière sortie.

Pour lui, Macky Sall instrumentalise la justice pour parvenir à ses fins. ‘’Vous les magistrats qui devez connaître cette affaire, sachez que le monde entier vous regarde. Ce qui vous est demandé, ce n’est pas de juger, mais d’empêcher la candidature d’Ousmane Sonko. Si vous le faites, vous allez en assumer toutes les conséquences. Nous, il y a des choses que nous n’allons pas accepter, nous n’allons jamais l’accepter. Vous ne pouvez pas vous cacher derrière vos statuts pour faire du n’importe quoi, pour saboter un projet qui concerne l’espoir de tout un peuple, au Sénégal et en Afrique. Parce que simplement, Macky Sall vous a corrompus ou vous a menacés. J’appelle tous nos militants et sympathisants à ne plus laisser en paix ceux-là qui veulent perturber notre projet’’.

En sus des insultes et menaces graves aux magistrats, Sonko semble avoir un goût prononcé pour le chaos.

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L’ARTICLE 29

Et si Ousmane Sonko n’était pas exclu de la Présidentielle !

Dans un pays où l’on polémique même sur l’article 27 de la Constitution dotée d’une clarté sans pareil, il va de soi que les articles L29 et L30 du Code électoral ne pourront jamais faire l’unanimité. Chacun peut en avoir sa propre lecture. En fonction de ses intérêts.

Selon la lecture jusque-là la mieux répandue et qui a été même vulgarisée par ses propres avocats, Ousmane Sonko ne serait plus éligible s’il est condamné à trois mois assortis du sursis comme ça a été le cas hier. Cette lecture s’appuie essentiellement sur l’article L30 qui dispose : “Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans, à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés, soit pour un délit visé à l’article L29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200 000 F CFA, sous réserve des dispositions de l’article L28. Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection.”

Il résulte de cet article quatre cas de figure principalement. D’abord, il y a les condamnés pour un délit visé à l’article L29 troisième tiret ; ensuite ceux condamnés sans sursis à une peine comprise entre un et trois mois ; en troisième lieu ceux condamnés avec sursis à une peine comprise entre trois mois et six mois (cas d’Ousmane Sonko) ; enfin les personnes condamnées pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200 000 F CFA, sous réserve des dispositions de l’article L.28. Tout ce beau monde ne peut être ni électeur ni éligible, selon les tenants de cette thèse.

 Toutefois, une telle compréhension pourrait être lourde de conséquences. Si tel est le cas, tous les citoyens sénégalais que le tribunal condamne à de telles peines, peu importe l’infraction commise, perdraient leurs droits civiques et politiques.

Heureusement, le texte, tel qu’il est libellé, permet également d’autres lectures bien plus soutenables d’un point de vue juridique.

En effet, tel qu’écrit, on peut considérer qu’en réalité, l’article L30 n’est venu que pour encadrer la privation de liberté pour certaines catégories de citoyens ayant maille à partir avec la loi. Et que pour voir les personnes privées de droit, c’est plutôt l’article L29 qui est applicable. Celle-ci prévoit sept catégories de personne.

D’abord, pour les crimes, la peine importe peu. Pour ceux qui sont condamnés pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement, il faut une peine d’emprisonnement sans sursis ou une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois assortie ou non d’une amende.

En troisième lieu, viennent ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L28. Entre autres.

Contrairement à Karim et à Khalifa qui ont été condamnés pour des délits supérieurs à 5 ans, Ousmane Sonko a été condamné sur la base d’un délit qui ne figure sur aucune des catégories prévues. L’article 30 ne fixant qu’une condition complémentaire à celles prévues par l’article 29 pour bénéficier de la limitation de la privation à 5 ans, il serait inopérant en l’espèce, selon les tenants de cette interprétation.

 Dans tous les cas, ces articles 28 et suivants sont liberticides et devraient être révisés dans les plus brefs délais.

MOR AMAR

 

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