La capitale patauge

Comme un éternel recommencement, une bonne partie de la capitale sénégalaise patauge dans les eaux, en cette période d'hivernage. À Diamagueune-Sicap Mbao, les populations sont sorties dans la rue, ont barré la route nationale pour crier leur ras-le-bol des inondations. Le chef de l’Etat annonce des mesures.
Les images ont ému plus d'un. Comme un symbole, les populations de Diamagueune et de Sicap Mbao pataugent dans les eaux de pluie, depuis début août. La pluie de ces trois derniers jours a exacerbé les souffrances. Elle n'a épargné aucune artère de la commune. Une situation qui a fait déborder le vase déjà trop plein d'amertume.
Dès les premières pluies, les sinistrés sont sortis bloquer la circulation sur la route nationale. Jeunes, enfants et adultes ont affronté, pendant plusieurs heures, les forces de l'ordre. Ces échauffourées n’ont pas été sans conséquence pour les travailleurs et les nombreux usagers de cet axe stratégique. D’aucuns ont tout simplement rebroussé chemin. Les autres sont arrivés en ville en fin de matinée.
Mais il faut dire que Diamagueune et Sicap Mbao ne sont que les symboles d’une galère bien nationale. Mais surtout dakaroise, puisque nombreux sont ceux qui n'ont pas pu passer la nuit chez eux. "Nous assistons à une situation catastrophique, du côté de Diamagueune Sicap Mbao. Du nord au sud, d'est en ouest, il y a de l'eau partout. Toutes les artères de la commune sont inondées, même les charrettes n'arrivent pas à circuler. Aujourd'hui, il y a des gens qui n'ont pas pu faire la cuisine, parce que l'eau a envahi leur maison", décrit le coordonnateur du mouvement Zéro inondation, joint par ‘’EnQuête’’.
Samath Diouf fait savoir que la réalité du terrain diffère totalement de ce qui est dit sur les plateaux de télé ou encore lors des rencontres gouvernementales. "Tout cela, on l'avait prédit depuis, mais personne ne nous a écoutés. Seul le gouverneur de Dakar est à nos côtés. Par son programme pré-hivernal, il a équipé des volontaires et créé des forages artificiels pour soulager les populations’’.
Des réalisations du Plan décennal de lutte contre les inondations contestées
Le taux d'exécution du Plan décennal de lutte contre les inondations est estimé à 66,5 %, sauf que pour ce riverain de Sicap Mbao, beaucoup reste à faire. "On ne retrouve pas ce pourcentage sur le terrain. Le rapport fait par les députés à propos de ce plan n'est pas du tout fidèle et, malheureusement, en voyant le document, le président se dit que les inondations sont réglées. Aucun député ne peut faire le diagnostic de la situation. Ils ne la vivent pas et ils n'en savent rien. Il faut qu'on se dise la vérité. Les gens ont fait de ce dossier une affaire politique. Ils ont politisé les inondations. Il faut qu'on dépasse les intérêts politiques et qu'on se dise la vérité. On ne peut pas continuer à vivre ce calvaire. Jusqu'à quand ? Des enfants sont malades, à cause de ces eaux usées. C'est grave !", martèle S. Diouf, également membre de la Plateforme pour la réduction des risques et catastrophes.
Si le président de la République veut régler ce problème, il doit se tourner vers les acteurs qui travaillent au sein des communes, insiste-t-il. Car ces derniers savent ce qui s'y passe réellement. Il se dit convaincu qu'"avec eux, il pourra évaluer ce plan d'exécution et créer un cadre de concertation. Que le président prenne les choses en main. On ne sait pas qui fait quoi, qui gère les inondations. Tout porte à croire que le ministre des Collectivités territoriales est le ministre de l'Assainissement".
Il faut le rappeler, le Plan décennal (2012-2022) de lutte contre les inondations a été adopté, le mercredi 18 septembre 2012. Son budget prévisionnel global était de 766,988 milliards F CFA. Il était prévu des investissements à travers trois phases. Une phase d’urgence 2012-2013, de 66,375 milliards F CFA. Dans la phase, selon les autorités, l’Onas a investi 30,225 milliards F CFA pour la réhabilitation et la réalisation de stations de pompage et des infrastructures de drainage des eaux, ainsi que des bassins d’infiltration sur la route nationale n°1 (le même qui était inondé, hier, empêchant les automobilistes de circuler, à hauteur de Diamagueune – Diacksao), au Cices, à Ouest-Foire et ses environs, à Grand-Yoff, dans la Zone de captage et à Bourguiba…
Une deuxième phase court et moyen terme 2014-2016, est censé avoir englouti 250,603 milliards F CFA. A Dakar, il est annoncé la réalisation de quatre stations de pompage à ITA, Zakat House, Parcelles-Assainies Unité 17 ; six autres stations aux Parcelles-Assainies Unités 13, 22, 24, 25, à Ndiaga Mbaye et Grand Médine, des infrastructures de drainage des points bas aux Almadies, Hann-Maristes mosquée Imam Kane et croisement Mèches Darling et la réhabilitation de la station de la corniche des HLM.
Cette deuxième phase a également concerné Pikine, Guédiawaye, les communes de Saint-Louis, Mbour, Diourbel, Thiadiaye, Kaolack et Kaffrine.
Il était aussi prévu d’injecter 64,48 milliards F CFA dans le Progep, pour préserver, dit-on, 167 000 personnes. Notamment, avec les plans directeurs de drainage des villes de Pikine et de Guédiawaye, la réalisation de quatre stations de pompage, 21 bassins de rétention et d’écrêtement de 700 000 m3, 50,3 km de canaux (primaires et secondaires) et des collecteurs et d’ouvrages de ruissellement.
Le budget de 450,009 milliards F CFA était prévu pour la phase moyen et long terme 2017-2022.
Le 20 novembre 2020, le président Macky Sall avait réceptionné le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le Programme décennal de lutte contre les inondations, qui indiquait qu’au total, l’évaluation faite montre que le programme initial de 767 milliards de F CFA a été exécuté à hauteur de 511 milliards de F CFA, soit 66,65 %.
Ce n’est pas tout. Les parlementaires ont constaté, sur le terrain, que plusieurs sites inondés résultent d’une occupation des zones inondables par des populations. Alors que, selon l’Anacim, il est fort probable que le Sénégal ait quitté une période de sécheresse de 30 ans pour entrer dans une période humide.
En outre, si l’essentiel des réalisations du PDLI est concentré à Dakar, l’assainissement, ont constaté les députés, n’est pas érigé en priorité, dans le cadre des projets de lotissement et dans la procédure de mise à disposition des parcelles aux populations. C’est même le cas avec les constructions de la nouvelle ville de Diamniadio.
Face à l'ampleur de la situation, le président de la République a convoqué, hier, une réunion d’urgence sur la gestion des inondations. Cette rencontre avait pour but d'évaluer le dispositif de prévention et de gestion des inondations. A l'occasion, le gouvernement a réaffirmé sa volonté de renforcer le mécanisme. Aux victimes des inondations, l'Etat promet d'apporter son soutien et sa solidarité.
EMMANUELLA MARAME FAYE