Publié le 2 Jun 2020 - 09:30
PMI Africaines et l’après COVID-19

Plaidoyer pour un Plan Marshall industriel ‘avec’ l’Afrique 

 

Les investisseurs de l’Union Européenne (UE), les entrepreneurs africains, et l’élite financière du continent africain, ont tout intérêt à mettre en place  un Plan Marshall industriel pour « Démarrer » l’industrie africaine  et « Redémarrer »  l’économie de l’UE. L’économie circulaire offre une sérieuse option de mise en œuvre de ce Plan !  

 
La crise du coronavirus (Covid -19) a mis à nu un retard important du continent africain dans  les infrastructures hospitalières  et  dans l’industrie médicale et pharmaceutique.  Mais,  ceci n’est que  la face visible de « l’iceberg ». La crise a révélé un retard encore plus énorme du continent africain dans l’industrie manufacturière et agroalimentaire, et en particulier, l’absence de chaines de valeur courtes et performantes dans la valorisation des productions primaires.
 
C’est là une des grandes  leçons à tirer de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales. Si comme on le dit souvent, à toute chose malheur est bon ; la Pandémie du Covid-19 a eu au moins le mérite de mettre en évidence un besoin pressent de partenariats industriels internationaux  entre le secteur privé africain et les PMI  de l’union européenne dans l’agro-industrie et les industries manufacturières pour non seulement relever le défi de la faible productivité de l’économie africaine, mais aussi, redémarrer la machine économique en panne de l’Union européenne. C’est la meilleure réponse aux tentations de certains grands pays producteurs de denrées alimentaires de retourner vers des reflexes protectionnistes et de préservation de leur souveraineté industrielle et alimentaire en cette période de fermeture des frontières.
 
La Pandémie du Covid-19 nous a aussi appris qu’on ne peut pas atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) sans des usines modernes et durables.  Elle nous a  également enseigné que l’industrialisation est un moyen sûr de désamorcer la « Bombe » à retardement  que représente  le nombre important de diplômés sans emplois en Afrique.  Enfin, elle a clairement montré qu’il va falloir désormais compter et pour longtemps encore, sur des secteurs émergents qui facilitent le télétravail comme l’économie numérique (le Cloud, le E-Commerce, l’intelligence artificielle etc) sur les technologies disruptives et les technologies propres  qui  représentent autant d’opportunités  que de defis pour les PME/PMI africaines dans  ce nouveau monde qui se dessine : l’après Covid-19.
 
En effet, les mesures prises par les gouvernements du monde pour stopper la propagation du coronavirus (Covid-19) notamment les mesures de confinement,  la distanciation sociale, la fermeture de frontières aériennes et terrestres, ont occasionné des perturbations massives dans les chaines d’approvisionnement et les échanges internationaux entrainant ainsi un ralentissement des activités économiques au plan  mondial. 
 
Résultat, l’aptitude des gouvernements  du monde à protéger les acteurs économiques et la capacité de résilience du secteur privé, posent question. Les prévisions économiques les plus optimistes tablent sur un rythme de croissance du PIB  africain en 2020 en dessous des 3,9% prévus. La zone UEMOA par exemple, est en décélération avec un taux de croissance global estimé entre 1 et 4 points de pourcentage. Au même moment, l’Europe connait une récession sans précédente. La Commission Economique de l’Union prévoit un taux de croissance négatif de -7,7 % du fait notamment de la contraction notée aussi bien sur la demande que sur l’offre de produits et services occasionnant des pertes d’emplois massifs. 
 
Pour « Démarrer » l’industrie africaine en retard d’allumage et « Redémarrer » l’économie de l’UE en récession, des réponses appropriées devront être apportées aux questions suivantes : Comment motiver les industries manufacturières performantes à délocaliser des usines vers l’Afrique? Comment motiver les petites et moyennes industries africaines (agroalimentaires et autres) à prendre l’initiative pour créer des partenariats avec celles de l’Europe? Comment motiver l’élite financière africaine d’investir dans une économie productive plutôt que dans le commerce et le résidentiel? 
 
Exploration de l’économie circulaire entre l’Europe et l’Afrique
 
En tout état de cause, la   possibilité de délocaliser le savoir-faire industriel en Afrique avec des partenaires privés africains à travers l’économie circulaire du savoir faire Afrique-Europe, offre une piste sérieuse qui mérite d’être explorée au vu des expériences concluantes  en cours. Elle permet de combler un certain nombre de lacunes structurelles des PMI africaines : difficultés de financement, faible contenu technologique, faible innovation, deficit en infrastructures de soutien à la production, étroitesse des marchés, faible niveau d’investissement, faible productivite du capital humain entre autres.
 
« L’après COVID-19 » ouvre une nouvelle ère, celle de la  « Dé-globalisation ». Pour le continent africain, cela veut dire : briser les chaines d’approvisionnement multi-continentales longues et  bâtir en lieu et place  une industrie de transformation locale des matières premières africaines  avec des Chaînes de valeur courtes. Une Industrialisation africaine neutre en CO2  initiée par des PMI africaines et européennes, qui intègre la préservation des écosystèmes naturels, la prévention de la propagation mondiale des virus et la lutte  contre le réchauffement climatique, est possible dans le cadre de partenariats nord-sud mutuellement avantageux. 
 
Le magazine économique belge ‘Trends’ du 12 mars 2020 publie à la une «Les limites de la mondialisation». L’article cite le cas des Danois qui exportent des biscuits aux États-Unis et les États-Unis qui exportent des biscuits au Danemark et pose la question « Ne serait-il pas plus facile de simplement échanger des recettes ? ». C'est ce que vise l'initiative « L’Economie Circulaire du Savoir-faire Afrique-Europe » à travers le métissage des recettes commerciales et technologiques européennes et des recettes culturelles africaines et de marché.  Concrètement, comment opère l’économie circulaire du savoir-faire Afrique-Europe?   Karel Uyttendaele, un des grands théoriciens de la “migration circulaire” preconise “la ‘dé-mondialisation' des biens et des personnes et la ‘mondialisation’ du savoir-faire“ 
 
Il s’agit « de faire  venir en Europe pendant 12-24 mois des ingénieurs et économistes africains pour qu’ils se familiarisent avec les processus de management d'entreprises et les nouvelles technologies. De retour chez eux, ils y transfèrent et multiplient en permanence des modèles industriels modernes adaptés à l'Afrique. Ils y assurent surtout la transformation locale des matières premières en produits compétitifs sur les marchés locaux et voisins, dans une chaîne courte avec un minimum d'émissions de CO2 en s'appuyant sur des énergies renouvelables. Ils mettent fin aux chaines de valeur multi-continentales complexes des matières premières, produits semi-finis et finis et aux voyages d’expatriés onéreux ».  
 
Dans le contexte actuel, l'économie circulaire du savoir-faire Afrique-Europe, offre en tout cas, un cadre favorable de mise en œuvre d’un vaste Plan Marshall industriel ‘avec’ l’Afrique rendu nécessaire par la crise sanitaire et économique du Covid-19 pour  ‘Démarrer’ l’industrie  des pays  africains  et ‘Redémarrer’ l’économie des pays  Européens. Il s’agit de faire naitre des partenariats industriels, technologiques et commerciaux  internationaux  entre le secteur privé africain et les PMI  de l’Union Européenne.  Ce sont des Partenariats industriels qui  offriront  à l’Afrique la possibilité de développer une industrie de transformation locale de ses matières premières et la création de chaines de valeur intégrées dans les chaines d’approvisionnement industrielles mondiales. 
 
Et dans le même temps, l’Europe aura de son coté l’opportunité de profiter des atouts de l’Afrique pour son industrialisation : (1) son dividende démographique instruit (même nombre de jeunes hautement qualifiés dans la force de l’âge qu’en Chine); (2) ses énergies éternellement renouvelables; (3) ses disponibilités en terres arables (plus de 60 % des terres arables  du monde); (4) les nouvelles technologies de communication qui permettent aux PME africaines de s’insérer dans les partenariats industriels mondiaux (les chaines de valeur industrielles); (5) ses énormes ressources financières privées; (6) ses démocraties émergeantes.
 
Une demande intérieure et extérieure en berne conjuguée à une explosion du chômage,  constituent des ingrédients susceptibles d’alimenter un cercle vicieux dangereux pour les dirigeants politiques de l’Union européenne. Or,  au même moment, le continent africain est devenu  un marché prometteur aux PMI de l’Union européenne et aux investisseurs européens avec sa classe moyenne estimée en 2013 déjà  à plus de 300 millions de personnes. (BAD-2013). . Il est bon de rappeler que l’Afrique en 2050 concentrera à elle seule 25% de la population active mondiale, un marché potentiel énorme, dans l’arrière-cour de l’Europe.
 
Changement de paradigme 
 
 À ce jour, aucun pays n’a été capable de se développer sans une industrie manufacturière concurrentielle qui fait cruellement défaut au continent africain. Ce n’est pas un hasard si HYPERLINK "_blank"la société civile africaine et les autorités demandent en urgence des ‘usines’ et non pas des ODD (‘Objectifs de Développement Durable’). C’est parce qu’elles sont conscientes que seuls les investisseurs étrangers qui s'associent avec des entrepreneurs locaux assurent le transfert permanent du savoir-faire industriel avancé, créent beaucoup  d'emplois décents et une classe moyenne indépendante. Cette dernière assure la réalisation des ODD,  sans les aides, conseils ou paternalisme occidental. Un Changement guidé de mentalité est donc incontournable à l’orée de cette ère nouvelle.
 
Une Afrique autonome est non seulement possible mais souhaitable  parce qu’elle peut être source d’une nouvelle prospérité mondiale. C’est dans l’avantage, aussi bien de l’Afrique que de l’Europe que soit imposée au niveau mondial une taxe sur les émissions de gaz carboniques (cf. Macron). Les continents africain et européen étant touchés  de plein fouet par  les conséquences économiques et sociales nées de la crise sanitaire, les autorités politiques des deux espaces économiques sont attendues dans la conscientisation du grand public,  des acteurs  économiques et financiers,  
 
sur les atouts et les points forts d’une industrialisation inclusive et durable en Afrique.   Elles doivent éveiller les consciences de l’importante élite financière africaine sur la nécessité d’investir dans les infrastructures, dans les industries agro-alimentaires et manufacturières, et dans des secteurs de pointe à fort potentiel de création d’emplois formels. Une élite financière africaine renforcée du reste depuis quelques années par de nombreux fonds d’investissements européens y compris des Fonds d’investissements socialement responsables ou « d’impact » ainsi que par un conglomérat de  Banques de Développement  (FMO, Investisseurs & Partenaires, BPI France, PROPARCO, l’AFD, la KFW, la BEI , le Fond nordique de Développement  etc.) dont le rôle sera crucial à n’en pas douter.  Le temps est venu d’amener des entrepreneurs africains à forger des partenariats avec des entrepreneurs européens dans les chaines de valeur industrielles internationales plutôt que dans le commerce et l’immobilier résidentiel. 
 
L’Economie circulaire du 'savoir-faire' Afrique-Europe met en evidence ce besoin de changement de paradigme. Cela nécessitera beaucoup de communication et de sensibilisation pour un changement dans la perception que l’Europe se fait du continent africain. Comme l’admet Karel Uyttendaele qui a dejà beaucoup œuvré pour l’emergence d’entreprises “Afro-Europennnes” prometteuses  via l’Economie circulaire du 'savoir-faire' Afrique-Europe, “Trop de citoyens occidentaux sous-estiment les compétences et la fierté des jeunes professionnels africains; ces jeunes africains hautement qualifiés cherchent un emploi  temporaire dans une entreprise occidentale active au niveau international afin d’être en mesure de décider eux-mêmes quels processus d’entreprise, quelles technologies, quels modèles sociaux ils jugent valables de transférer pour le développement de leur société africaine.
 
Quoi qu’il en soit, moment ne peut être plus favorable que l’après COVID-19 pour lancer un plan Marshall industriel avec l’Afrique. Et l’après COVID ca se prépare ici et maintenant !
 
Bacary SEYDI, journaliste et consultant
 
 Fondateur de la Plateforme PME ARICAINES

 

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