Publié le 13 Jun 2022 - 18:50
PROPAGANDE ÉLECTORALE

La fatwa du gouverneur Al Hassan Sall

 

Le gouverneur contourne le préfet de Dakar et signe lui-même un communiqué très controversé, pour défendre aux médias tout acte de propagande électorale durant la phase de précampagne. Facebookers, tiktokers, youtubers et même les simples manifestants ne sont pas épargnés par l’interdiction, préviennent nos interlocuteurs.

 

Après une première manifestation largement couverte par les médias, l’opposition envisage de descendre à nouveau dans la rue le 17 juin prochain. Cette fois, si la volonté du gouverneur de Dakar est matérialisée, il ne devrait y avoir aucun média pour la couverture des manifestations. Dans un communiqué publié ce week-end, l’autorité administrative, citant le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), invite les journalistes et l’ensemble des acteurs à se garder de tout acte de propagande.

Cette injonction inhabituelle a plus ou moins dérouté certains professionnels de la presse. De quoi se mêle le gouverneur, se demandent certains convaincus que le chef de l’Exécutif à Dakar outrepasse ses prérogatives, empiétant dans ce qui aurait dû être la chasse gardée du CNRA. Seulement, des responsables de l’administration territoriale trouvent tout à fait normale cette mise en garde du gouverneur Al Hassan Sall. ‘’Cela entre dans le cadre de la prévention. Nous sommes dans un contexte où les actes de propagande sont interdits. Je pense qu’il est utile et tout à fait pertinent de prévenir les hommes et femmes de médias, leur rappeler les dispositions de la loi, afin qu’ils puissent prendre toutes leurs précautions. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la décision’’, soutient un administrateur civil.

Dès lors, une multitude de questions se posent. Qui sont visés par cette interdiction ? Est-ce les médias ? Est-ce les organisateurs des manifestations ? Est-ce ceux qui répondent aux appels à manifester ? À ce propos, le communiqué du gouverneur reste assez laconique. Il précise : ‘’Durant cette période, conformément à l’article L61 du Code électoral, ‘est interdite toute propagande déguisée ayant pour support les médias nationaux publics ou privés’.  Le législateur entend par acte de propagande déguisée, entre autres, toute manifestation ou déclaration publique de soutien à un candidat…, directement ou indirectement par toute personne ou groupement de personnes, quel qu’en soit la qualité, nature ou le caractère…’’

‘’Ceci est la compétence du préfet, garant de l’ordre public’’

Mais à l’ère des médias sociaux, quelle est la pertinence d’une telle décision ? Selon notre interlocuteur, ces nouveaux moyens de communication ne sont pas épargnés par la disposition. ‘’La loi interdit toute forme de propagande. Même les lives diffusés sur Internet sont concernés. Et l’autorité est là pour veiller au respect des dispositions’’, souligne l’administrateur civil.

Dans tous les cas, fait observer le secrétaire général du Synpics, Bamba Kassé, cette mise en garde du gouverneur ne peut pas lier les journalistes qui ne sont pas sous la coupe de l’Administration. ‘’Je pense, relativise-t-il, que ce communiqué s’adresse plus aux groupes politiques, par ricochet aux entreprises de presse, mais pas aux journalistes. En tant que professionnels des médias, nous ne sommes pas sous la coupe de l’Administration. Les journalistes sont régis par les dispositions du Code de la presse’’.

Selon le syndicaliste, le gouverneur comme le CNRA ne peuvent pas dicter au journaliste la conduite à tenir. Tout au plus, insiste-t-il, ils peuvent s’adresser aux entreprises de presse. 

Cela dit, les dispositions du Code de la presse confèrent au gouverneur des pouvoirs assez importants, en cas de ‘’circonstances exceptionnelles’’. Entre autres mesures, le représentant de l’État peut, ‘’en cas d’incitation à la haine ou d’appel au meurtre, ordonner : la saisie des supports, la suspension ou l’arrêt de la diffusion d’un programme, la fermeture provisoire d’un organe de presse…’’. Pour Bamba Kassé, il s’agit là d’un pouvoir strictement encadré et soumis au contrôle de la Chambre administrative de la Cour suprême. ‘’Ce pouvoir n’est donc pas absolu. Il est non seulement encadré, et tout excès pourra faire l’objet de sanction pour voie de fait’’.

Au-delà des médias, certains se demandent si le gouverneur, à travers les médias, ne veut pas étendre l’application de la disposition aux autres acteurs, notamment les hommes politiques eux-mêmes, pour justifier une éventuelle interdiction ? L’article L61 peut-il être la base légale d’une interdiction de manifestation politique durant cette phase de précampagne ? Cet ancien préfet répond : ‘’Tout dépendra de l’objet que les organisateurs vont donner à la manifestation. Si l’objet peut être interprété en propagande politique, ça peut être une source de motivation.’’

À la question de savoir si cette disposition ne concerne pas plus les médias que les organisateurs, il rétorque : ‘’Effectivement, les médias ne doivent pas couvrir. Mais aussi, les organisateurs, s’ils ne sont pas candidats, ils n’ont pas le droit de faire la propagande politique. Les souteneurs, les sympathisants, tous doivent s’abstenir de tout acte de propagande.’’

Ainsi, le communiqué du gouverneur est loin de faire l’unanimité. Certains se sont également interrogés sur la pertinence de faire un communiqué juste pour dire la même chose que le CNRA. D’autres craignent que le gouverneur marche sur les platebandes du gendarme des médias, en invoquant le respect de l’article L61. Selon l’ancien préfet, il devait non seulement se passer de ce communiqué qui ne fait que reprendre le CNRA, mais surtout, ‘’il devait laisser la latitude au préfet de pouvoir motiver les demandes d’interdiction de manifestation dans cette période à partir de cette disposition. C’est de la compétence du préfet, garant de l’ordre public’’.

MOR AMAR

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