Publié le 24 Nov 2020 - 21:28
QUESTIONS D’ACTUALITE

Enfin, le gouvernement parle !

 

Entre cafouillages, silence pesant, des coquilles à la pelle dans les communiqués du gouvernement, entre autres dysfonctionnements, la communication gouvernementale a été chahutée, dernièrement. La nouvelle équipe pilotée par le ministre Seydou Guèye a décidé de changer de fusil d’épaule. Au-delà d’être un exercice délicat, la question de sa faisabilité et de sa pertinence se pose. Décryptage !

L’attitude est très volontariste. Elle tranche d’avec une volonté bien gouvernementale de s’emmurer dans un silence intrigant, quand tout ou presque lui enjoint de s’adresser à son peuple. Tel est, par exemple, le cas avec l’émigration clandestine. L’opinion n’a toujours pas arrêté de se demander pourquoi son président ne lui parle pas ? Pourquoi son gouvernement ne lui parle pas ? Rédacteur en chef adjoint du journal en ligne ‘’Africa Check’’, Mame Ngor Ngom constate : ‘’Sur cette question, l'État donne l'impression de ne pas mesurer l'ampleur et la gravité du drame. Certes, il y a des annonces pour la création d'emplois, mais ce n’est vraiment pas suffisant. On note plutôt une désertion quasi généralisée du gouvernement. Le silence du président de la République donne l'impression que les préoccupations gouvernementales sont ailleurs.’’

Face à ce vide, des mouvements se sont approprié la question, pour pallier l’absence de l’Etat. Selon M. Ngom, c’est dans ce cadre que s’inscrit l’organisation d’un "deuil national symbolique’’, d’une "marche silencieuse" et d'autres actions en perspective. Ainsi, constate le journaliste, les coups continuent de pleuvoir sur un gouvernement pourtant "dit de combat".

La réaction a peut-être tardé, mais elle est quand même arrivée. A partir d’aujourd’hui, et tous les 14 jours, le gouvernement compte faire face à la presse, dans un exercice appelé le ‘’Gouvernement face à la presse’’. Il s’agit, en fait, de réunir, autour du porte-parole du gouvernement Seydou Guèye, un certain nombre de ministres pour répondre sur les questions d’actualité posées par les journalistes.

De ce fait, tiré d’une posture très attentiste, le gouvernement tente de passer à l'offensive. Pour Mame Ngor Ngom, cette volonté de "communiquer autrement" traduit manifestement ''une volonté de mieux faire". Ce qui sous-entend, enchaine-il, que ce qui se faisait jusqu'ici n'était pas fameux. 

De l’avis du spécialiste en communication Jupiter Faye, il faudrait avant tout saluer la démarche : ‘’L’une des exigences des sociétés démocratiques, c’est le droit des citoyens à l’information. C’est important pour un gouvernement de parler à sa population. Je ne parlerai pas d’aveu d’échec, mais plutôt d’une prise de conscience des manquements notés au niveau de sa stratégie de communication et une volonté de les corriger. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose. Cela lui permettra de se poser les bonnes questions en vue d’y apporter les bonnes réponses’’.

Une prise de conscience qui vient à son heure

En tout cas, la nouvelle stratégie consiste en un changement radical de paradigme. D'un gouvernement muet comme une carpe, avec l'inaudible et invisible Ndèye Tické Ndiaye, l'on se profile vers un gouvernement omniprésent avec Seydou Guèye. Les résultats vont-ils suivre cette fois ? Rien n'est moins sûr. A entendre le spécialiste en communication, la démarche laisse perplexe. ‘’Tous les 15 jours, c’est trop. Comme on le dit, dit-il, trop de communication tue la communication. Pour moi, ce serait mieux de faire un point de presse gouvernemental, à la limite, chaque mois. Cela permettrait de prendre du recul, de mieux préparer les rencontres, de mieux traiter les données, les informations à soumettre aux populations… S’y ajoute, les populations, actuellement, ont plus besoin d’actions, de solutions aux différentes difficultés. Organiser un point de presse chaque quinzaine, cela me semble très problématique’’.

Embouchant la même trompette, le journaliste d’’’Africa Check’’ déclare : ‘’Regrouper huit ministres pour parler de plusieurs dossiers ne me semble pas être efficace et pédagogique. Sans compter que c’est un exercice fastidieux, non pas seulement pour les "conférenciers", mais aussi pour la presse. Que va-t-on retenir ? Il serait plus judicieux de parler des deux sujets les plus préoccupants du moment : l'émigration clandestine et son lot de morts et la maladie dite mystérieuse qui sévit dans certaines localités du pays comme Thiaroye."

En tout cas, l’exercice s’annonce pour le moins délicat. Au-delà de tous ces aspects, se pose la question de l’organisation. Mame Ngor Ngom : ‘’J'attends de savoir comment la conférence de presse va être organisée dans un monde médiatique sénégalais tellement peuplé de journalistes, de sites et autres plateformes qui gravitent autour.’’

Les rendez-vous manqués

Cela dit, le gouvernement a du pain sur la planche pour redorer le blason terni de sa communication. De Serigne Mbaye Thiam à Ndèye Tické Ndiaye, en passant par Abdou Latif Coulibaly, Oumar Youm et Seydou Guèye, pour ne citer que ceux-là, tous se sont montrés timides voir défaillants parfois. Mais il sera sans doute beaucoup moins ardu de faire mieux que la très muette Ndèye Tické.

Toutefois, pour beaucoup, ce qui choque le plus, c’est les fautes dans les différents communiqués du gouvernement. Certes, une armée invincible, a-t-on l’habitude de dire, mais quand on est Etat, les fautes se tolèrent moins. C’est la conviction de Mame Ngor Ngom qui peste : "Au-delà des dysfonctionnements et couacs notés dans la prise de parole, d'un manque réel de lisibilité sur certains dossiers, il y a, même sur la forme, une certaine absence de rigueur. Le dernier communiqué du Conseil des ministres en est une triste illustration. Des fautes, des coquilles dans un document officiel, c'est assez grave pour abîmer tout un message. "Communiquer autrement" serait manifestement synonyme d'une rectification de toutes ces erreurs qui n'auraient jamais dû être commises. Car un Etat organisé a les moyens d'être parfait.’’

Par ailleurs, le premier défi du gouvernement risque d’être le respect du rendez-vous fixé. Mame Ngor Ngom s’interroge : ‘’N'est-il pas plus pratique de faire face à la presse, si l'actualité l'exige, plutôt que de systématiser un rendez-vous qui peut être lassant à moyen terme ? Tout l'enjeu est là."
De plus, faut-il le souligner, les multiples initiatives du gouvernement dans ce sens se sont tous soldées par des échecs.

La première remonte aux années d’Abdou Latif Coulibaly. Mais après un premier rendez-vous, le programme sera jeté à l’eau. En 2014, le gouvernement, par la voix de son chef, le président de la République, avait pris la décision de s’adresser à l’opinion tous les 15 jours, à travers l’Assemblée nationale. Mais là également, c’était échec. C’était le 23 décembre 2014, lors de la deuxième édition de la Journée des institutions. Le président disait : ‘’J’ai décidé, et l’Assemblée nationale l’avait d’ailleurs souhaité depuis longtemps, que le Premier ministre (Mahammed B. Abdallah Dionne) sera le premier des Premiers ministres à se rendre tous les 15 jours à l’Assemblée nationale.’’

Mieux, le Président Macky Sall ajoutait : ‘’Dans une démocratie, le dialogue se passe à l’Assemblée nationale. Pas dans la rue, pas dans les médias. C’est au Parlement où le peuple est représenté.’’

Doudou Wade : ‘’La presse remplace l’Assemblée’’

Plus qu’une bienveillance du président de la République, ce rendez-vous avec le Parlement est prévu par la législation en vigueur. Aux termes de l’article 92 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, ‘’un jour au moins par quinzaine, déterminé à l’avance, est réservé aux questions orales’’ (posées aux membres du gouvernement). Toujours, souligne l’article 92, ‘’un jour au moins, par semaine, est réservé aux questions d’actualité’’ ; ‘’un jour au moins, par mois, réservé aux questions au gouvernement’’.

Doudou Wade explique : ‘’En fait, quand on dit aux membres du gouvernement, c’est les ministres pris isolément. Quand on dit au gouvernement, on s’adresse à l’institution composée et du Premier ministre et des ministres.’’ Malgré ces dispositions législatives, il n’y a presque jamais de question mensuelle au gouvernement, encore moins de questions orales par quinzaine ou d’actualité par semaine.

Ce qui constitue un grand recul, pour l’ancien président de groupe parlementaire, le libéral Doudou Wade. ‘’Dans toutes les démocraties qui se respectent, le gouvernement fait face à son Parlement de façon régulière. Au Sénégal, on ne le voit malheureusement pas. Mamadou Diop Decroix a posé récemment une question, mais personne ne lui répond. Pendant ce temps, on prévoit de parler à la presse tous les 15 jours. Je pense que c’est encore poignarder l’Assemblée dans le dos. C’est comme si on l’a encore déshabillée pour donner à la presse ses prérogatives. Pour moi, c’est l’Assemblée qui a encore failli à sa mission. La presse remplace l’Assemblée’’, insiste le responsable libéral.

Mor AMAR

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