Publié le 12 Feb 2020 - 14:04
RECHERCHE AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE

Pour une intégration partielle

 

En 2011, dans le cadre du Programme Agriculture de l’APR, nous recommandions le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale qui optimise la dimension commerciale des cultures vivrières, le développement des chaînes de valeur et le renforcement du continuum entre la recherche et le développement.

Une recommandation majeure concernait une intégration de la recherche agricole et agroalimentaire au niveau régional.

Avec les interactions que j’ai eues récemment avec ces deux structures de recherche, je considère que cette recommandation, faite il y a dix ans, est encore aujourd’hui fort pertinente. Une analyse des missions assignées à ces deux structures de recherche montre qu’elles sont non seulement complémentaires mais surtout indissociables. Pour la recherche agricole, il s’agira « d’entreprendre et de développer des recherches sur les productions végétales, animales, forestières, halieutiques et sur la socio-économie rurale dans le but de contribuer à l’accroissement de la production agricole ainsi que sa durabilité ». Tandis que pour la recherche agroalimentaire, il sera question « de mener des recherches appliquées afin de favoriser l’exploitation optimale de la production agricole et de ses dérivés en développant des procédés technologiques dans la transformation et la conservation des produits agricoles locaux, des produits de l’élevage et des produits de la pêche ».

En effet, l’analyse des programmes de recherche des deux structures fait ressortir un alignement parfait sur les différents maillons des chaînes de valeur agricoles, animales, halieutiques et forestières partant de la production à la consommation en passant par la transformation et la conservation.

Toutefois, la structuration organisationnelle et l’ancrage institutionnel des deux structures freinent le développement d’une stratégie de recherche cohérente pour le développement des chaînes de valeur fortes et compétitives. La conséquence immédiate de ce cloisonnement institutionnel est la dichotomie entre les processus de priorisation des programmes de recherche et l’identification des cibles d’impact spécifique à chaque structure de recherche avec un accent particulier sur les agro-industriels pour la recherche agroalimentaire et les exploitants agricoles au sens large pour la recherche agricole.

Dans une agriculture familiale qui se commercialise, les agro-industriels sont dans une relation d’interdépendance avec les exploitants agricoles. Cette relation dynamique joue un rôle d’accélérateur dans la transformation des exploitations agricoles en agro-entreprises de très petites, petites et moyennes tailles. Dans ce cadre, la catégorisation par le PRACAS (Programme d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise) des cultures en fonction des objectifs économiques (cultures de rente), alimentaires et nutritionnels (cultures vivrières) devient artificielle quand on aborde cette problématique sous l’angle des chaînes de valeur en privilégiant une approche qui vise à optimiser la composante nutritionnelle des aliments.

En réalité, les objectifs économiques, alimentaires et nutritionnels sont inextricablement liés quand il s’agit d’assurer la sécurité alimentaire dans une agriculture familiale à dominante vivrière en pleine évolution. Les interventions dans ce domaine doivent être multisectorielles mais intégrées, portant sur une alimentation variée provenant des chaînes de valeur performantes et résilientes, un changement de comportement alimentaire de la population et le contrôle de la croissance démographique pour diminuer la pression sur les besoins en produits alimentaires. Il est évident que se fixer comme objectif l’autosuffisance alimentaire (par exemple en riz) par le seul biais de l’augmentation de la productivité et de la production est une cible mouvante difficilement atteignable du fait que les potentialités agricoles ne sont pas illimitées et que continueront d’augmenter les demandes en produits alimentaires liées à la croissance démographique.

Les programmes de recherche agroalimentaire portent essentiellement sur les céréales, les légumineuses et tubercules, les fruits et légumes, le poisson et produits halieutiques, le lait et produits d’élevage et, dans une moindre mesure, sur d’autres productions végétales (les plantes sauvages comestibles à hautes valeurs nutritives et les plantes aromatiques riches en huiles essentielles). Toutefois, un meilleur arrimage de cette recherche avec la recherche agricole permettra d’aller au-delà de la transformation des produits basés sur les espèces et de travailler sur les variétés, les provenances et les races les plus performantes ayant des caractéristiques spécifiques et désirables les plus prononcées.

La recherche agricole gagnerait aussi à travailler étroitement avec la recherche agroalimentaire pour élargir ses thèmes de recherche aux espèces aromatiques non  considérées comme des espèces prioritaires mais dont l’importance agroalimentaire, cosmétique et phytothérapique est exceptionnelle. Il n’est pas exclu que dans certaines conditions, la culture des plantes aromatiques puisse s’avérer plus rentable pour les petites exploitations que la culture vivrière pluviale.

Synergie inter et intra chaînes de valeur

Une fertilisation croisée entre les deux types de recherche est nécessaire pour optimiser les synergies entre les maillons des chaînes de valeur pour satisfaire les besoins alimentaires de la population en quantité et en qualité, générer des revenus significatifs pour les producteurs et réduire les importations agricoles. Cette synergie inter et intra chaînes de valeur ne peut pas se faire à travers des groupes de recherche interinstitutionnels ou des représentations au sein des comités scientifiques et techniques. Elle n’est possible qu’avec une réorganisation institutionnelle intégrant les deux structures de recherche. Cependant, cette intégration doit tenir compte du patrimoine scientifique (y compris le capital humain scientifique et les laboratoires) de chaque structure, des dispositifs de recherche existants (centres nationaux et régionaux) et des avantages distinctifs de chaque entité de recherche. Elle doit s’accompagner d’une délimitation du champ de recherche en privilégiant les centres nationaux pour la recherche stratégique et les centres régionaux de recherche (couvrant des zones agroécologiques) pour la recherche-développement.

Si l’intégration est plus difficile au niveau de la recherche stratégique qui se mène au niveau des laboratoires, elle est plus aisée au niveau de la recherche-développement qui s’effectue dans les centres régionaux de recherche agricole et dans certains centres nationaux de recherche. La recherche agroalimentaire qui intervient au niveau national devrait se délocaliser au niveau des centres régionaux de recherche agricole qui deviendront des Centres de Recherche Agricole et Agroalimentaire (CRAA). Chaque centre constituera le noyau d’un consortium public-privé « recherche-développement-innovation » qui comprendra les services chargés de la vulgarisation et de l’encadrement des producteurs, les universités qui se trouvent dans la zone, les agro-industriels, les organisations des producteurs et les collectivités territoriales.

Ce cadre de coordination, de coopération, de programmation et de co-action va accélérer la transformation de l’agriculture à partir des territoires, catalyser la dynamique de conversion des exploitations agricoles en agro-entreprises et l’émergence d’une gamme variée d’agro-industries sur l’ensemble du pays. Il favorisera la création de chaînes de valeur agricoles et agroalimentaires capables de résoudre durablement les problèmes liés à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle de la population et de générer des revenus et des emplois dans les zones rurales les plus reculées tout en réduisant l’exode vers les villes.

Pour une meilleure coordination de cette recherche agricole et agroalimentaire, il est souhaitable de mettre en place au niveau national une plateforme unique de programmation, de partage et de valorisation des résultats de recherche, d’évaluation des programmes et de priorisation de la recherche. Cela permettra de créer un espace de recherche et d’innovation commun, une synergie entre les recherches qui se font dans les centres nationaux et les centres régionaux. Cette plateforme permettra également une mutualisation des ressources et des capacités de recherche et la constitution de masse critique de chercheurs travaillant sur une même problématique.

PAR Amadou Ibra Niang

DG Afrik Innovations

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