Publié le 26 Jul 2022 - 19:13
REGARDS CROISÉS

Que comprendre de la publication qui serait l'œuvre de Mouhamad Ngouda MBOUP (Enseignant Chercheur) ?

 

MNM: "En période de cohabitation, le Gouvernement et le législatif seront contrôlés par l'Opposition."

Il est inapproprié de parler de "cohabitation" à l'état actuel de notre régime politique.. Il est aussi inexact de dire que le Gouvernement et le législatif seront contrôlés par "l'opposition".

D'abord, le régime politique sénégalais n'est pas une dyarchie même s'il est dualiste. L'exécutif n'est pas bicéphal comme avant 1963. Le Premier ministre n'est qu'un "primus inter pares". Il coordonne l'action du gouvernement qui applique la politique de la Nation définie par le Président de la République. Il n'a aucun pouvoir propre.

Ensuite, le Président de la République n'est pas obligé de nommer un Premier Ministre dans les rangs de l'opposition parlementaire qui peut certes - une seule fois par session - voter une motion de censure aux fins de renverser le Gouvernement.

MNM: "Le Président de la République va devenir, selon la maxime de Gambetta, un monarque qui règne mais ne gouverne pas…"

C'est absolument faux. Nous ne sommes pas dans le cas de la IIIème ou la IVème République en France, terre de Gambetta. Il faut relire la Constitution pour se rendre compte que seul le Président de la République détient les pouvoirs de gouvernement même en cas de majorité parlementaire opposée. Nous ne sommes pas dans un régime d'assemblée ou dans une Monarchie parlementaire comme au Japon ou en Angleterre. Le Sénégal est dans un régime présidentialiste qui emprunte les techniques d'un régime parlementaire rationalisé. Les pouvoirs constitutionnels du Président de la République du Sénégal sont plus forts que ceux du Président des États-Unis d'Amérique.

Par ailleurs, Le Président de la République, détenteur du pouvoir réglementaire, dispose de l'administration et nomme aux emplois civils et militaires, rôle qui est dévolu au Premier Ministre en France.

Il est le chef suprême des armées et maître de la diplomatie.

MNM: "L'Assemblée Nationale peut renverser le Gouvernement si le Président refuse de nommer un Premier Ministre issu de l'opposition (articles 55 et 86)."

Oui. Mais la motion de censure contre le Gouvernement n'est possible qu'une fois par session. C'est-à-dire d'ici février mars 2024, une seule motion de censure est possible. Serait-elle adoptée? Tout dépend des intérêts politiques qui en découlent le moment venu. L'opposition n'étant pas un bloc d'un seul tenant.

MNM: "Le Président est obligé d'avoir l'accord de l'Assemblée Nationale pour l'adoption du budget (article 68)."

C'est une évidence. Le budget est du domaine de la loi. Mais si l'Assemblée nationale refuse de voter le Budget, le Président de République peut reconduire par décret, les crédits votés de l'année écoulée.

MNM: "Le Président est tenu de promulguer les lois dans les délais légaux (article 72)."

MNM: "Passé le délai de promulgation (8 jours francs après l'expiration du délai de six jours francs pour la saisine du Conseil constitutionnel), le Président de l'Assemblée Nationale promulgue la loi (article 75)."

MNM: "Le délai de promulgation est réduit de moitié en cas d'urgence déclarée par l'Assemblée nationale (article 72)."

Absolument. Le Président de la République est tenu de promulguer les lois adoptées dans les délais constitutionnels. Cependant dans ces mêmes délais de promulgation, Le Président de la République peut demander une seconde délibération qui ne peut être refusée par l'Assemblée nationale. Le cas échéant, le texte n'est adopté qu'après un vote positif des ⅗ des membres composants l'Assemblée (99 députés).

Article 73

"Dans le délai fixé pour la promulgation, le Président de la République peut, par un message motivé, demander à l’Assemblée une nouvelle délibération qui ne peut être refusée. La loi ne peut être votée en seconde lecture que si les trois cinquièmes des membres composant l’Assemblée nationale se sont prononcés en sa faveur."

MNM: "Pour gouverner par ordonnances, il faut l'habilitation de l'Assemblée Nationale (article 77)."

Il n'y a pas de débat là-dessus. Le Président de la République a suffisamment de matières pour gouverner en mettant en œuvre "son" domaine réglementaire beaucoup plus large que celui de la loi limitativement énuméré dans la Constitution.

MNM: "Pour pouvoir dissoudre l'Assemblée Nationale, il faut 2 ans de législature (article 87)."

En principe oui. Mais si on se réfère à  la rédaction de l'article 87, on peut s'accorder que cette disposition s'applique dans le cas d'une dissolution "ordinaire" pendant que le Gouvernement (Premier ministre) est toujours en fonction. Voici comment est libellé l'article 87:

"Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier Ministre et celui du Président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale."

Qu'en est-il du pouvoir de dissolution du Président de la République, qui est le pendant du pouvoir de censure de l'Assemblée dans tous les regimes dualistes? L'équilibre des pouvoirs ne serait-il pas rompu si le Président de la République, clé de voûte des institutions ne peut pas arbitrer la crise institutionnelle entre le Gouvernement et l’Assemblée?

En outre, le Président de la République peut, en application de ses pouvoirs constitutionnels (articles 42 et 52), prendre toute mesure pour garantir le fonctionnement régulier des institutions.

MNM: "Au-delà de 14 types d'actes (pouvoirs propres), tous les actes du Président de la République doivent être contresignés par le premier Ministre (article 43)."

Absolument! Mais le Premier ministre qui refuse de contresigner un décret du Président de la République, signe en même temps son décret de révocation.

MNM: "L'Assemblée Nationale va élire de nouveaux membres à la Haute Cour de Justice (article 100)."

Comme ça a toujours été le cas.

MNM: "La majorité parlementaire peut mettre en accusation le Premier Ministre, les Ministres et le Président de la République (101)."

Vrai. Mais quelle majorité pour adopter la mise en accusation du Président de la République pour Haute Trahison (qui jamais été définie même dans la Constitution de 1958 en France)? Il faut les ⅗ des députés qui composent l’Assemblée.

MNM: "L'Assemblée Nationale peut refuser de ratifier les traités négociés par le Président (articles 95, 96, 98)."

Vrai.

MNM: "L'Assemblée nationale peut rejeter tout projet de modification de la Constitution (article 103)."

Vrai. Mais le Président peut soumettre tout projet de loi au Référendum sans passer par l'Assemblée.

MNM: "L'Assemblée Nationale peut réviser la Constitution par référendum (article 103)."

Oui, mais seul le Président de la République a la prérogative de convoquer un référendum. Encore que, pour faire passer une proposition de révision de la Constitution, l'Assemblée est obligée de réunir d'abord les ⅗ de votes positifs. Dans tous les cas, elle ne peut pas organiser un référendum qui est du ressort exclusif du Président de la République. Que dit l'article 51 de la Constitution?

"Le Président de la République PEUT, après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum.

Il PEUT, sur proposition du Premier Ministre et après avoir recueilli l’avis des autorités indiquées ci-dessus, soumettre tout projet de loi au référendum.

…."

Je signale que dans la Constitution, aucune disposition n'oblige le Président de la République à organiser un référendum et sous la dictée d'une quelconque institution.

En conclusion, Monsieur Mboup et tous ceux qui soufflent à oreilles des leaders de l'opposition, agitent l'idée d'une hypothétique "cohabitation" pour engranger le maximum de voix à l'issue de ces élections législatives. Supercherie ne peut être plus monstrueuse.

C'est quoi la Cohabitation? "La cohabitation désigne la coexistence institutionnelle entre un chef de l'État et un chef du gouvernement (issu de la majorité parlementaire) politiquement antagonistes". C'est une conjoncture politique au cours de laquelle le Président de la République est obligé de coexister avec un Premier Ministre soutenu par une majorité de députés qui est opposée au Chef de l’Etat.

Pour qu'il y ait coexistence, il faut l'existence de deux centres de pouvoirs distincts et antagonistes. Or, le Premier Ministre n'est pas un centre de pouvoir. Il est un instrument de pouvoir à la fois responsable devant le Président de la République et devant les députés. Contrairement en France ou cette conjoncture s'est manifestée en 1986, au Sénégal, le Premier Ministre ne détermine pas et ne conduit pas la politique de la Nation. Il ne peut signer un décret que s'il en a été préalablement habilité par le Président de la République.

Même en France, en cas de cohabitation, le Président de la République nomme toujours le plus accomodant des leaders de l'opposition pour gouverner dans le respect des institutions de la République. Une "Cohabitation" heurtée conduit inexorablement à une crise institutionnelle que les Français n'ont jamais voulue.

Au Sénégal, les pouvoirs exorbitants - il faut l'avouer - entre les mains du Président de la République ne permettent pas une coexistence de deux pouvoirs exécutifs qui n'existent que dans la tête des manipulateurs. Laissons les Sénégalais choisir librement leurs représentants à l’Assemblée nationale et gardons nous de remettre en cause l'ordre institutionnel pour des considérations purement électoralistes.

Babacar Gaye
Ancien Député
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