‘’Son héritage est en nous tous’’

‘’Sunu Yoon’’! C’est le récit du griot et artiste sénégalais Doudou Ndiaye Coumba Rose (Mamadou Ndiaye). En effet, après une longue période de formation chez la famille Ndiaye, le chorégraphe venu de France, Jean-Marie Mallet, a eu l'ingénieuse idée de mettre à l’écran le parcours impressionnant et hors commun de ce grand percussionniste. Le tournage a débuté avant le décès de Doudou Ndiaye Rose.
Comment avez-vous rencontré Doudou Ndiaye Rose ?
J’ai rencontré Doudou Ndiaye Coumba Rose en 1984, à Dakar. J’étais avec des artistes français, des musiciens qui organisaient un échange culturel franco-sénégalais. J'ai été interpellé par ce que je voyais. Cela m'a donné envie de revenir (au Sénégal). Je suis revenu l’année suivante, puis l’année d’après.
En 1989, je suis revenu pour étudier les percussions et la danse ‘’saabar’’ chez lui, pendant un an. Après, son fils Mustapha est venu chez moi, en France, pour faire des animations dans les écoles, des workshops, etc. Entre 1993 et 1994, je suis revenu pendant un an, toujours pour étudier les percussions et la danse, apprendre les rythmes de Doudou Ndiaye Rose. À la fin de cette année, il est parti en tournée en Europe. Une semaine auparavant, il m’a dit : ‘’ Jean-Marie, tu viens avec nous en tournée.’’ On a fait 35 concerts en Europe. Et ça a été un bouleversement dans ma vie, parce qu'après cette tournée, j'ai décidé de changer de métier, de devenir artiste.
Comment est-ce que Doudou Ndiaye Rose a accueilli cette idée de faire un film sur lui ?
Quand je lui en ai parlé, il m'a dit : ‘’Fais-le.’’ Moi, je suis chorégraphe, je n'étais pas du cinéma. Ainsi, je me demandais comment y parvenir, comment rencontrer des professionnels qui puissent m’orienter. Je suis venu à Saint-Louis pour rencontrer des professionnels au festival du film documentaire. J’ai discuté avec eux sur le processus, l'organisation, le financement, etc. Ils m'ont dit qu’il me fallait monter un dossier, l’écrire. Je l’ai fait. Et l’année d'après, ils m'ont sélectionné pour la résidence d’écriture du festival. J'ai présenté mon pitch, mon projet et les tournages ont pu commencer après.
Pape Doudou (NDLR : Le surnom donné à feu Doudou Ndiaye Rose) était là et j'ai commencé à faire quelques séquences avec lui, avec une toute petite caméra. Je n'avais pas d'équipe, je n'avais pas de moyens, rien. Et ces images se sont imposées comme les plans de début et de fin du film. J'ai fait une interview avec lui, qui est aussi la trame du film où il raconte son parcours professionnel. Il est décédé après le tournage de ces premières séquences.
Alors, une question s’est imposée à moi : comment créer une trame narrative sans le papa ? C'est l'absence du papa, c'est le deuil. Je me demandais également comment tout le monde va réagir dans la famille pour continuer à vivre et à exister aussi en tant qu'artiste ? La question de l'héritage, de la transmission s’est posée. Qu'est-ce qu'on a hérité du papa ? Et qu'est-ce qu'on en fait aujourd'hui ?
Donc, le film ‘’Sunu Yoon’’ questionne un peu tout ça. C'est un film qui est fait avec la famille. Bon nombre d'entre eux ont pu s'exprimer et dire quel effet la perte de leur papa a eu sur eux.
Que pensez-vous de son héritage ?
Doudou Ndiaye Rose était un homme universel. Son héritage est en nous tous et il n'est pas seulement en nous les artistes. Il a marqué les gens d'un point de vue humain et d'un point de vue artistique. C’est sa présence en chacun de nous qui est assez incroyable.
Papa Doudou a tourné dans le monde entier. Et au fur et à mesure des tournées, ses enfants se sont installés dans certains pays. Donc, ils sont allés voir ailleurs. Il y en a qui sont aux États-Unis, d'autres en Europe, d'autres au Japon. Par exemple, au Japon, à Tokyo, il y a Wagane Ndiaye. Il travaille avec les tambours Kodo et d'autres artistes. Il fait des performances. Donc l'ailleurs, il le vit très bien, c'est-à-dire qu'il est créatif. Il a été, quelque part, éduqué par son papa à faire de la musique. De la musique du sabar, donc de la tradition, mais aussi celle ouverte sur le monde : de la musique métissée. Ceux qui sont à New York jouent avec des musiciens de jazz. Cette ouverture au monde, c'est le papa qui l'a apportée. Doudou Ndiaye Coumba Rose avait décidé d'emmener ses enfants à la rencontre d'autres artistes pour les éduquer, pour leur montrer une autre vision du monde et surtout une créativité artistique.
Aujourd'hui, à part le cinéma, vous évoluez dans quel domaine ?
Moi, je suis chorégraphe. Je suis percussionniste et danseur. Je crée des spectacles avec des artistes africains francophones. Avec Moustapha et Birame, on a créé une compagnie en France. Il y a d'autres artistes : des Maliens, des Congolais, des Tchadiens, des Camerounais. On crée des spectacles avec les artistes qui sont dans l'équipe au moment où on choisit de travailler sur un sujet. Il y a la sortie du film. Maintenant, il y a une autre aventure qui se prépare…
La culture sénégalaise est ancrée en vous.
Je prenais des cours de percussion et de danse. J’ai travaillé (appris) aussi sur la langue. Mon objectif était de baigner dans cette culture. Il y a un travail sur le corps, en tant que danseur. Mais aussi j’ai des habitudes d'écoute, de repérages de la musique. C’est toute une culture, savoir aussi à quel moment on joue certains rythmes, dans quelles conditions, quelle structuration d'un événement, tout. Ce que je suis aujourd’hui est la résultante d’un apprentissage sur des années. Je suis un métis culturel, comme disait Léopold Sédar Senghor.
Vous parlez très bien le wolof, mais aussi d’autres langues locales comme le sérère.
J’aime bien rencontrer des gens, apprendre comment on salue dans leurs langues. Je trouve du plaisir à apprendre les salutations et je vois tout de suite que ça ouvre les esprits. Le fait qu'un étranger arrive et apprenne la langue montre le respect, l'ouverture, l'envie de partager, de découvrir.
BABACAR SY SEYE