Publié le 25 Jul 2021 - 14:03
RISQUE DE PARALYSIE DE NOS INSTITUTIONS, QUORUM INSUFFISANT, COMPOSITION IRRÉGULIÈRE

Haro sur le Conseil constitutionnel

 

Le recours déposé par le député Cheikh Bamba Dièye contre les deux lois adoptées par l’Assemblée nationale portant sur la modification du Code pénal et du Code de procédure pénale, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le 25 juin dernier, a été rejeté par le Conseil constitutionnel. Cette décision est fortement contestée par les opposants et les juristes qui dénoncent une délibération illégale, dans la mesure où la composition du Conseil reste incomplète, en violation des dispositions de la Constitution et de l’article 23 de la loi organique du 14 juillet 2016.

 

La bataille autour de la modification des lois portant Code pénal et Code de procédure pénale relatives à la lutte contre le terrorisme, n’est pas prête de connaitre son épilogue.

En effet, le 30 juin dernier, l’opposition parlementaire a déposé un recours au niveau du greffe du Conseil constitutionnel, aux fins d’annulation des deux lois adoptées par l’Assemblée nationale portant sur la modification du Code pénal et du Code de procédure pénale, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En outre, l’article 17 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel dispose que ‘’le Conseil doit statuer dans le délai d’un mois à compter du dépôt de recours (ce délai est ramené à huit jours francs, lorsque le gouvernement en déclare l’urgence)’’.

Sur ce, la plus haute juridiction du pays a décidé, le 20 juillet dernier, de rejeter ce recours déposé par l’opposant Cheikh Bamba Dièye. Une décision que l’ancien ministre des Collectivités locales juge illégale, en raison des manquements liés à l’article 23 de la loi organique n°2016-23 relative au Conseil constitutionnel faisant référence à l’absence temporaire de juges.

‘’Le Conseil constitutionnel s'est réuni en toute illégalité pour rejeter notre recours sur les lois 10-2021 et 11-2021 portant Code pénal et Code de procédure pénale. L'article 23 est très clair : il parle d'absence temporaire. Deux des trois manquants ont fini leur mandat et le troisième est décédé. A ce jour, il manque trois membres au Conseil constitutionnel", indique le parlementaire.

Par conséquent, d’après l’ancien maire de Saint-Louis, ils (les juges) ne sont plus membres du Conseil constitutionnel dont les décisions deviennent illégales, tant que le président de République n'aura pas nommé trois nouveaux membres, a-t-il précisé. 

Une position que partagent les membres du Congrès de la renaissance démocratique (CRD) qui regroupe des partis politiques de l’opposition. ‘’Nous dénonçons aussi l’impossibilité pour un Conseil constitutionnel réduit à quatre membres de délibérer dans le respect de l’article 23 de la loi organique 2016-23 du 14 juillet 2016.  Nous demandons au président du Conseil (NDLR : Papa Oumar Sakho) de saisir le président de la République pour l’informer de cette grave situation (quorum insuffisant qui dure depuis le 3 janvier 2021), afin qu’il puisse mettre fin par décret de nomination à un désordre institutionnel susceptible de mettre en danger la sécurité, la stabilité juridique et la paix civile au Sénégal’’, ont fait savoir dans une note Abdoul Mbaye et Cie.

Ainsi, les opposants à la loi sur le terrorisme comptent s’appuyer sur les dispositions de l’article 23 de la loi organique du 14 juillet 2016, qui indique que le Conseil constitutionnel ne peut délibérer qu’en présence de tous ses membres au nombre de 7.  Or, depuis le 3 janvier 2021, le Conseil constitutionnel est paralysé, faute de quorum : il ne compte que quatre membres sur les sept membres censés le composer pour pouvoir légalement délibérer.

(Cf : Art. 23. - Le Conseil constitutionnel ne peut délibérer qu’en présence de tous ses membres, sauf empêchement temporaire de trois d’entre eux au plus, dûment constaté par les autres membres. Si l’un des membres du Conseil, temporairement empêché, est le président, le vice-président assure son intérim. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante, nous relate la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.

A la lecture de la décision du Conseil constitutionnel, les magistrats font savoir que, ‘’conformément à sa mission au nom de l’intérêt général, de l’ordre public, de la paix et de la stabilité des institutions (…) que dans les cas ou des circonstances particuliers l’exigent, il est tenu de délibérer et statuer, dès lors que la majorité des membres qui doivent la composer est présente’’. Et la haute juridiction de préciser que les nouvelles dispositions prises, dans le cadre de la nouvelle loi sur le terrorisme adoptée sous le n°13/2021 portant modification de la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale, ne sont pas contraires à la Constitution.

Risque de paralysie de nos institutions, en cas de vacance du pouvoir

Cette délibération du Conseil concernant le recours de l’opposition contre la loi sur le terrorisme ne convainc pas le Pr. Ngouda Mboup, constitutionnaliste, qui dénonce des irrégularités et de graves manquements dans la décision du Conseil constitutionnel. ‘’C’est une décision illégale, car elle viole les dispositions de l’article 89 de la Constitution qui indique (cf. : le Conseil constitutionnel comprend sept membres dont un président et un vice-président et cinq juges’’ et l’article 23 de la loi organique du 14 juillet 2016 qui indique que le Conseil constitutionnel ne peut délibérer qu’en présence de tous ses membres, sauf empêchement temporaire de trois d’entre eux au plus. Alors qu’en ce moment, le Conseil ne compte que quatre membres au lieu de sept. Donc, on peut dire que sa composition est irrégulière et incomplète. Sur ce, si le Conseil prend des décisions, elle le fait en violation de la Constitution et de la loi organique’’, affirme le juriste.

D’après lui, les prérogatives du Conseil sont encadrées par la Constitution et la loi organique. Donc, s’il est manifeste qu’il n’a pas atteint le quorum et que sa composition est irrégulière, il ne peut pas délibérer sur les questions qui lui sont soumises, ajoute l’enseignant en droit public.

Très en verve, il précise que l’invocation de sa mission de sauvegarde de l’intérêt général, de l’ordre public, de la paix et de la stabilité des institutions ne saurait justifier sa décision de débouter les membres de l’opposition qui contestent cette loi.

De ce fait, il interpelle le chef de l’Etat sur les risques de paralysie de nos institutions, avec un Conseil qui ne remplit pas les conditions d’un jugement conforme à la Constitution.

‘’Aujourd’hui, en cas de vacance ou d’empêchement du pouvoir présidentiel, le Conseil qui doit statuer dans ce cas ne pourrait pas le faire. Les trois membres qui doivent compléter le Conseil doivent être nommés par le président de la République. Pis, en cas de vacance du pouvoir, tous les juges doivent siéger pour statuer sur sa succession, ce qui n’est pas possible en ce moment’’, clame-t-il.

Section: