Croisade contre la mortalité en mer

La campagne de sensibilisation sur la sécurité de la pêche artisanale est ouverte depuis hier à Yoff. Elle se poursuit jusqu'au mois de septembre dans différentes zones du Sénégal. Le top donné sur la plage de Yoff Tonghor a servi de prétextes à EnQuête pour revenir sur les causes des accidents en haute mer.
Pêcheurs, chefs coutumiers et religieux ainsi qu'agents de l'administration ont très tôt pris hier d'assaut la plage de Yoff Tonghor, perturbant la quiétude habituelle des lieux. Au rythme des tam-tams, le ministre de la Pêche et des Affaires maritimes Pape Diouf a présidé la cérémonie de lancement de la dixième campagne hivernale de sensibilisation sur la sécurité de la pêche artisanale. ''Je porte un gilet de sauvetage pour sauver ma vie'', pouvait-on lire sur les tee-shirts portés par certains jeunes pêcheurs.
59 pêcheurs sont décédés ou portés disparus, depuis janvier
Depuis 2003, le ministère en charge de la Pêche a distribué 33 324 gilets à travers le Sénégal, tandis que 6 000 marins ont été formés, à travers des classes de sensibilisation. Toutefois, les statistiques des pertes en vies humaines et matérielles restent lourdes. Rien que pour le premier semestre de l'année en cours, 30 cas d'accidents ont été dénombrés. 59 pêcheurs sont décédés ou portés disparus, selon le ministre. Les dégâts matériels sont estimés à près de 80 millions.
Yoff a vu beaucoup de ses fils périr en haute mer. Même si dans le coin, les pêcheurs respectent de plus en plus le port du gilet de sauvetage, le problème demeure. ''Il est bien de sensibiliser sur le port des gilets de sauvetage. Mais, il y a un préalable à cela. Il faut changer les pirogues. Certains utilisent des pirogues qui sont très vieilles. Même avec un gilet de sauvetage, ils ne peuvent faire face à certains problèmes en mer'', a déclaré Abdoulaye Seck, représentant des pêcheurs professionnels de Yoff. Il est donc temps que la flottille des pêcheurs de Yoff soit renouvelée. ''Il faut que l’État pense à relancer le projet de construction de pirogues'', a-t-il demandé. Prenant la parole, Pape Diouf a rassuré ses hôtes. ''Le projet est en cours de relance et sera bientôt effectif'', a-t-il annoncé. La société d'infrastructures et de réparations navales (SIRN) et une société italienne ont en charge ce projet. Lequel pourrait sensiblement impacter sur les pertes en vies humaines.
Aller en mer au péril de sa vie
Il faut dire que ces pêcheurs prennent souvent des risques énormes et font fi des prévisions météorologiques. ''Ils nous arrivent d'avoir les informations du service météorologie. Savoir qu'il est dangereux d'aller en mer, eu égard à ses informations et de le faire malgré tout'', a reconnu Omar Seck, pêcheur de son état. La vingtaine bien sonnée, teint noir et menu, Seck explique qu'ils bravent les conditions météorologiques, parce qu'ils sont des soutiens de famille. ''Quand on n'est pas propriétaire de la pirogue avec laquelle on travaille, on gagne peu et on ne peut se permettre de rester un jour sans travailler'', a-t-il ajouté. Même au risque de leurs vies ? ''On se dit juste qu'il faut tenter nos chances, sinon nos femmes et enfants risquent de ne pas manger''. Le pari est lourd et le jeu en vaut la chandelle pour eux. ''Si on avait nos propres pirogues, on ne prendrait pas de tels risques'', laisse entendre le jeune Seck. Une société de construction de pirogues serait donc une aubaine pour eux.
En outre, il est possible que des accidents surviennent en mer, alors que le pêcheur s'est entouré de toutes les garanties. Météo clémente ; temps adéquat pour la pêche ; gilets de sauvetage et réglages techniques bien faits. ''Il arrive de pêcher un gros poisson comme les mérous ou les espadons. Ils sont gros et ont beaucoup de force, ils peuvent faire chavirer la pirogue'', rapporte Sawrou Ndiaye. Âgé de 51 ans, ce pêcheur et père de famille s'entoure de toutes les garanties avant d'aller en mer. ''On n'a pas toujours les informations relatives à la météo. Pourtant Yoff dispose d'un centre de surveillance, mais moi, je ne vais pas en mer sans consulter la météo. D'autres comme moi le font aussi, mais peuvent ne jamais rentrer. Quand on tombe sur un très gros poisson, si on ne fait pas attention, il nous fait tomber et nous traîne en mer'', a-t-il dit. Dans ces cas, le gilet de sauvetage ne peut pas te sortir d'affaire.