Publié le 13 May 2012 - 16:14
SÉDHIOU - LE DIMBAA JAASAA

L’art de redonner la fertilité à une femme

 

Le Dimbaa Jaasaa est une ancienne pratique mythique très ancrée dans la tradition populaire des peuples du sud du Sénégal, particulièrement de ceux de la moyenne Casamance. L’objectif recherché est de solliciter le Pouvoir Supérieur pour l’obtention d’une procréation souvent difficilement acquise.

 

Dans la société mandingue, notamment en moyenne Casamance, la pratique du Dimbaa Jaasaa est très connue des populations. Exercée principalement par des musulmans, cette façon de solliciter la grâce du Tout-Puissant demeure une pratique à laquelle croient fermement ses adeptes. Elle concerne principalement les femmes en âge de procréer et qui ont de sérieuses difficultés pour avoir une progéniture.

 

 

Profil de la femme Dimbaa Jaasaa

 

 

Il n’est pas donné à n’importe quelle femme de pouvoir porter sur ses épaules et supporter la charge de la Dimbaa Jaasaa, compte tenu de la difficulté des épreuves qu'elle doit subir et des comportements qu’elle doit avoir. Le don de soi et l’abnégation doivent être les principales qualités de celle qui cherche à obtenir la bénédiction du Tout-Puissant. Car, il s'agit de lever ce qu’on considère comme une «sanction divine sur sa personne». Vieux Kéba Faty est un chercheur historien traditionnel en langue mandingue et professeur en Alphabétisation dans la région de Sédhiou. Selon lui, il est difficile de cerner le profil de la femme Dimbaa Jaasaa, «puisque, révèle-t-il, c’est une femme qui a besoin d’avoir ce que ses paires ont déjà obtenu avec la grâce de Dieu. Elle doit être une femme stérile et manifester le désir profond d’avoir un enfant. Pour cela, elle ne doit jamais montrer des traits d’énervement qui peuvent lui porter préjudice dans sa quête. Elle doit être modeste, symbole de la sincérité de son désir. Mais le plus déterminant dans son profil, c’est qu’elle ne doit manifester aucune antipathie envers d'autres personnes, quelles que soient leurs situations sociales. Autrement dit, elle doit pouvoir s’asseoir et manger à la même table qu’une personne très sale et au milieu des poubelles, si la situation l’exige». Il faut ajouter aux qualités de la femme Dimbaa Jaasaa, sa capacité à préserver les relations dans son entourage immédiat.

 

 

Les motifs de la pratique du Dimbaa Jaasaa

 

En milieu mandingue, quand une femme en âge de procréer a des difficultés pour avoir des enfants, on l'explique par plusieurs aspects, au-delà des paramètres de la médecine moderne. Et c’est là que trouve tout son sens le Dimbaa Jaasaa. ''On le fait d’abord pour exhorter Dieu, parce que nous considérons qu’une femme qui n’a pas d’enfants est hantée par les mauvais esprits qui agissent pour qu’elle n’en ait pas. Et souvent ils peuvent l’aimer. À partir de ce moment, elle doit sortir de sa demeure et se confier à une autre femme qui se chargera de lui attribuer un autre prénom. Ce nouveau nom est supposé faire peur aux mauvais esprits qui s’éloigneront d’elle, quand on l’appellera avec ce nom. Il peut être kancourang, noumo, toukang sountoukoung, manlafi, etc.'', renseigne vieux Kééba Faty. On pense également que le fait de changer le nom de la femme stérile permet de détourner le mauvais esprit, s'il est de sexe masculin. Ainsi, il aura désormais des difficultés à la retrouver.

 

 

Les missions de la Dimbaa Jaasaa dans la société

 

La Dimbaa Jaasaa doit être investie d’une mission communautaire et, de ce fait, accomplir des travaux sans contrepartie. ''Elle doit être une femme disponible et accomplir toutes les missions que lui confie la société. Elle doit œuvrer à renforcer l’unité sociale autour d’elle, en apaisant les rapports entre les voisins. Donc, elle doit jouer le rôle de médiation dans un mariage en difficultés. Il est aussi arrivé par le passé que des épidémies se propagent dans la localité. Dans ces cas, elle doit être au devant de la scène, surtout si la maladie s’attaque aux enfants de moins de cinq ans. Si également, la couche en tissu d’un bébé brûle, synonyme de mauvais signe pour tous les nouveaux-nés du moment, elle doit prendre une calebasse et faire le tour de la cité en chantant et en tapant sur elle jusqu’à la rivière. Elle y lave la couche du bébé et revient dans la cité pour faire le tour des nouveaux-nés et les laver avec le morceau de tissu. Cela épargnera les bébés de la catastrophe».

 

 

Comment se pratique le Dimbaa Jaasaa

 

Pour célébrer le Dimbaa Jaasaa encore appelé Dimbaa touloung, on organise une fête qui prend les allures d’épreuves et d’un examen pour les femmes stériles. ''Lors de cette fête, elles s’habillent de façon bizarre. Elles portent des habits d’homme et se comportent comme tel. Elles doivent répondre à l'image d’attardées mentales qui, en dansant, font des gestes comiques. Leurs habits doivent être sales et elles ne portent pas de chaussures. On les met à rude épreuve. Les autres jeunes filles du village s’en prennent à elles et les battent rudement en déchirant leur habits. Cette pratique permet de chasser le mauvais esprit qui bloque la progéniture de la femme. Cette sorte de punition doit constituer une fierté pour la Dimbaa Jaasaa qui ne doit en ressentir aucun ressentiment, mais plutôt du plaisir'', renseigne Vieux Faty. Après la cérémonie, en guise de récompense à leur sacrifice, de bonnes volontés peuvent sacrifier en leur honneur des bœufs et des moutons et une grande fête est organisée.

 

 

''Des femmes procréent au-delà de 50 ans''

 

Si la pratique du Dimbaa Jaasaa est restée célèbre, c’est grâce aux résultats obtenus. Elle a réussi à la plupart des femmes qui ont tenté l’expérience. ''C’est le don de soi et l’abnégation dont ces femmes font preuve que le Tout-Puissant récompense. Il nous a été donné de constater que des femmes, à leur grande surprise, ont réussi à procréer au-delà de cinquante ans, alors qu’elles ne nourrissaient plus aucun espoir'', affirme notre interlocuteur. Des noms spécifiques sont attribués aux enfants issus de ces pratiques de peur de les perdre. Ils portent le plus souvent des noms qui ont des consonances de rejet ou de renoncement. Ex : manlafi (je n’en veux pas), sountoukoung (poubelle). Ces noms peuvent aussi signifier la faim, la mort, la cuisine, le rejeté, le détesté etc.

 

Malgré l'évolution des mentalités, la pratique du Dimbaa Jaasaa demeure plus que jamais populaire dans la moyenne Casamance. Il existe à ce jour plusieurs associations de femmes Dimbaa Jaasaa dans les régions de Sédhiou et Kolda. Des femmes qui, de par leurs prestations, symbolisent aussi le bonheur dans la société, compte tenu de l’humour dont elles font preuve à l’occasion des cérémonies traditionnelles comme les mariages et les baptêmes.

 

LAMINE BA (Correspondant à Sédhiou)

 

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