Le ministère du Pétrole et des Énergies vole au secours des gérants

Le secteur des hydrocarbures paie en ce moment le prix des saccages de différentes stations-services au Sénégal. Hier, la tutelle a tenu à rencontrer les acteurs pour évaluer les dégâts et préparer un accompagnement financier.
Après les manifestations récentes de la jeunesse, place au bilan. Les acteurs du secteur pétrolier comptabilisent, à ce jour, environ 75 stations-services saccagées, lors des émeutes, sur l’étendue du territoire national. Des entreprises qui n’emploient pas moins de 35 personnes. Ces importants dégâts matériels viennent s’ajouter à un contexte de morosité économique lié à la Covid-19.
‘’Nous avons maintenu les emplois, malgré la Covid-19. Des Sénégalais ont pris de leur argent pour investir et employer des Sénégalais, sans compter l’économie parallèle (les pompistes, les graisseurs, les laveurs) qui se crée. Les gens ont le droit de manifester, mais de façon pacifique. Il ne s’agit pas de détruire le bien d’autrui. Ils l’ont fait pensant que cela appartenait à des étrangers. Or, tel n’est pas le cas. Ce sont des Sénégalais qui ont pris de leur sueur pour investir. Aujourd’hui, le personnel des stations est inquiet. Des gens ont choisi d’émigrer ; nous, nous avons choisi de rester et d’investir au Sénégal. Cette affaire me fait vraiment mal, parce que ce sont mes compatriotes qui me l’ont fait’’, explique le secrétaire général de l’Association des gérants de stations-services.
Saluant la réaction rapide de l’Etat pour évaluer les dégâts, Ibrahima Fall plaide pour plus de sensibilisation en matière de sécurité dans les stations-services. ‘’Les gens y entrent et sortent comme ils veulent, mais il faut qu’ils sachent que ce sont des produits inflammables et très dangereux. On ne peut pas se permettre d’allumer du feu dans une station d’essence. Il faut qu’on augmente la sensibilisation à ce sujet’’. Selon l’économiste Thierno Thioune, seul 23 % du capital de Total-Sénégal, l’une des entreprises visées, appartient à Total-France. Le reste émane de citoyens sénégalais lambda qui ont choisi d’investir dans le domaine. D’ailleurs, ces derniers rappellent que seules les installations dans les stations-services sont d’origine étrangère.
‘’Les produits qu’on y trouve appartiennent aux gérants de station. Il faut que les Sénégalais le sachent. Ces manifestants ont porté préjudice à des Sénégalaises et à des Sénégalais comme eux. Dans les stations saccagées, on a constaté qu’essentiellement, ce sont les boutiques qui étaient visées. Pour ce qui concerne Shell et Vivo Sénégal, sur dix stations détruites, il n’y a que trois où on a touché au carburant. Tout le reste, ce sont les boutiques qu’on a cassées. Or, les marchandises appartiennent soit au gérant de station ou au manager de la boutique, et eux, à 90 %, travaillent à crédit’’, renseigne pour sa part Pape Abdou Khadre Mbodj, membre de l’association. Qui se désole du fait que des pères de famille ont aujourd’hui perdu leur source de revenus, à cause de ces saccages.
‘’Leurs boutiques ne fonctionnent plus, renchérit-il, ils ne travaillent plus. Ce qui se traduit par des pertes d’emploi énormes. En plus de cela, d’où va sortir l’argent de la dette et de la reconstruction de ces boutiques ? C’est cela la difficulté et on a senti réellement qu’il y avait des voleurs parmi les manifestants. Car, à travers des vidéos, on a vu, dans les stations, des gens qui sont venus garer leur véhicule, leur charrette et prendre des produits. Cela n’a rien à voir avec la manifestation. Nous comptons beaucoup sur le soutien de l’Etat pour accompagner ces gérants, afin qu’ils puissent reprendre leurs activités’’.
L’année dernière, ces derniers ont fait face à une réduction de 50 % de leur chiffre d’affaires, en raison de la pandémie. Depuis janvier 2021, ces pertes sont entre 20 et 30 %. L’essentiel des ventes se déroulant la nuit, le couvre-feu n’a pas facilité les choses. Face aux pertes dues aux récentes émeutes, le message des gérants à l’Etat du Sénégal est très clair : ‘’Aidez-nous à relever nos stations et à conserver les emplois.’’
‘’Nous sommes prêts à vous accompagner’’
En vue de répondre à cet appel, le ministère de tutelle a lancé une phase d’évaluation des pertes qui devrait aboutir à un accompagnement. ‘’Il faudrait qu’on fasse l’état des lieux et voir quels sont les dégâts. Parmi les stations ciblées, Total souffre le plus. Or, ce sont des Sénégalais bon teint qui, pour la plupart, ont démarré au bas de l’échelle. Ce n’est pas le bien de Total qu’on a détruit, mais le bien des Sénégalais. On nous dit qu’on vole parce qu’on avait faim, mais c’est le dur labeur de l’autre qui est impacté. On peut ne pas être d’accord, mais échanger dans la paix. Cette image n’honore pas notre pays. L’État doit répondre à la demande d’emploi de quatre millions de Sénégalais. Mais ces actes font régresser l’Etat dans ses efforts de réduction de chômage’’, détaille la ministre du Pétrole et des Énergies.
Pour Mme Sophie Gladima, le Sénégal en sort perdant, tant en termes d’emploi que d’argent (fiscalité), en plus du fait que des pères de famille se voient ôter du pain de la bouche. Surtout que la politique d’assurance ne couvre pas les pertes de ce type. ‘’Nous sommes prêts à vous accompagner. On ne pourra peut-être pas tout faire, mais on essaiera de faire le maximum pour relever rapidement ces entreprises. Nous devons connaître le nombre de tribunaux, de mairies, d’ambulances et d’écoles saccagés, faire le point de tous les dégâts et on va prioriser. La priorité, aujourd’hui, c’est de calmer et d’apaiser, de revenir à un Etat de droit. On peut s’opposer, mais dans la sérénité. Vu la situation, les investisseurs auront-ils le courage de venir investir ? Une économie ne peut pas tenir avec ça. Réfléchissons avant d’agir’’, ajoute l’autorité.
Le bilan, selon la ministre, aurait pu être plus dramatique, si ces stations avaient explosé. Elle en appelle au calme et à la sérénité, car toute déstabilisation du Sénégal permettrait à des étrangers de bénéficier des ressources naturelles que sont le gaz et le pétrole. Ces ressources constituent une opportunité économique, mais également en termes de transfert de technologie.
Par ailleurs, la tutelle plaide pour des émissions éducatives dans les médias, allant dans le sens de la préservation du bien commun. Pour l’heure, aucune pénurie de gaz et de pétrole n’est à signaler.
EMMANUELLA MARAME FAYE