Publié le 6 Sep 2012 - 23:10
SEYDI GASSAMA (AMNESTY/SÉNÉGAL) SUR LES SÉNÉGALAIS EXÉCUTÉS EN GAMBIE

‘’Nous avions écrit à Me Madické Niang, il sait tout, mais il nous boycottait»

 

Depuis 2007 l’Etat du Sénégal a été mis au courant de la peine de mort qui planait sur Tabara Samb, exécutée le 23 août dernier avec 8 autres prisonniers en Gambie. Madické Niang, à l’époque ministre sénégalais des Affaires étrangères, était bien au parfum de la situation. Le président d’Amnesty international/Sénégal, Seydi Gassama, qui donne l’information, condamne l’inertie qui a suivi cette affaire. Entretien.

 

 

L’atmosphère est aujourd’hui polluée entre le Sénégal et la Gambie suite à l’exécution de condamnés à mort par le régime de Banjul à qui on reproche de n’avoir pas communiqué sur cette affaire…

 

En vertu de la convention de Vienne de 1963, tout Etat est tenu d’informer l’Etat d’origine d’une personne coupable d’une accusation passible de la peine de mort. Lorsque la Gambie arrête un Sénégalais, elle est tenue d’informer le Sénégal afin qu’il puisse lui accorder une assistance juridique. Le détenu lui-même doit être informé de cette possibilité de contacter son pays pour demander une assistance. En vertu donc de cette convention de Vienne qui régit les relations consulaires entre les Etats, le Sénégal était au courant de la condamnation à mort de ses concitoyens. Sinon il aurait saisi la Cour internationale de justice pour empêcher l’exécution de cette peine de mort. L’Etat a-t-il accordé l’assistance nécessaire dont Tabara Samb et Djibril Bâ avaient besoin pour se défendre dans un système judiciaire inéquitable comme celle de la Gambie ? En tout cas, il était tenu de veiller à ce qu’ils aient un procès équitable. Manifestement, cela n’a pas été le cas et je pense aujourd’hui, qu’il doit se ressaisir très rapidement pour faire en sorte que notre compatriote qui est encore dans le couloir de la mort en Gambie soit épargné. Il doit aussi très rapidement prendre toutes les mesures utiles et nécessaires afin que nos différents compatriotes qui sont condamnés dans différents pays du monde soit recensés et puissent recevoir une assistance judiciaire.

 

 

A votre niveau, qu'avez-vous fait ?

 

Nous avons informé le Sénégal de cette situation en 2007. Ce sont des diplomates gambiens qui m’ont informé de la condamnation à mort de Sénégalais alors que nous étions à Washington. J’ai alors attiré l’attention des autorités sénégalaises sur cette affaire. L’Etat du Sénégal était bien au courant de l’histoire de Tabara Samb qui avait défrayé la chronique et suscité de vives indignations en Gambie. Mais malheureusement, le consulat se réfugie parfois derrière le manque de moyens sur le terrain pour assister les Sénégalais, ce qui me semble inacceptable. Les consulats doivent avoir les moyens d’assister les Sénégalais surtout lorsqu’ils sont dans des situations désespérées comme la peine de mort.

 

 

Est-ce à dire que le précédent gouvernement n'a pas fait de ce dossier une priorité ?

 

Si réellement l’Etat du Sénégal n’avait pas été informé sur cette affaire, il allait saisir la Cour internationale de justice et la Gambie serait condamnée. Cela même peut casser le verdict sur le Sénégalais qui attend son exécution en Gambie. Seulement, nous sommes en mesure d’affirmer qu’il était au courant car nous avions tout le temps informé le gouvernement du Sénégal des cas de concitoyens condamnés à mort à l’étranger. Nous avions même écrit à l’époque à Madické Niang, l’ancien ministre des Affaires étrangères. Je me rappelle que, une fois, nous avions entendu l’ancien ministre des Sénégalais de l’extérieur Sada Ndiaye avancer des chiffres devant les parlementaires sur le nombre de Sénégalais condamnés à l’étranger. Le ministre disait que ces Sénégalais étaient condamnés pour la plupart pour trafics de drogue. Les parlementaires s’étaient mis à rire, ce qui avait indigné les défenseurs des droits de l’Homme. Nous avions écrit à la fois à Madické Niang et à Sada Ndiaye pour leur demander de nous transmettre les listes de ces Sénégalais pour que nous puissions mettre en branle notre réseau et les tirer d’affaire en tant que ONG de défense des droits de l’Homme. Mais aucun des deux n’avait répondu. C’est pour cela que je trouve surprenante la réaction de Madické Niang et du PDS qui ont récemment condamné la réaction de Macky Sall suite à l’exécution de Sénégalais en Gambie. C’est ridicule à la limite.

 

 

Y-a-t-il lieu de dénoncer une rupture dans la continuité de l’Etat ?

 

Il y a eu un changement à la tête de l’Etat et de la diplomatie sénégalaise et de toute évidence, ce dossier n’avait pas été certainement une priorité pour le précédent gouvernement. Nous l'avons tout le temps informé et nous disposons d’ailleurs de copies des lettres... Il faut savoir que nous ne sommes pas toujours au courant de tout. Quand Cheikh Tidiane Gadio était ministre des Affaires étrangères, il y avait une certaine collaboration. Mais lorsque Madické Niang lui a succédé, plus personne ne répondait à nos courriers sur des questions aussi graves que celles-là. Malheureusement, il avait choisi de nous boycotter et cela a abouti à ce à quoi on est arrivé. Maintenant, ce qu’on peut reprocher au gouvernement actuel, c’est que sa réaction de fermeté aurait dû avoir lieu dès que Yayah Jammeh a annoncé les exécutions. Macky Sall et l’Etat du Sénégal auraient dû réagir vigoureusement aussitôt après l’annonce de la décision d’exécuter les prisonniers. Cela aurait pu éviter cette situation malheureuse.

 

 

Il est aussi fait état d’éléments du MFDC condamnés à mort en Gambie.

 

Il est difficile pour nous de demander à l’Etat du Sénégal d’intervenir en faveur des éléments du MFDC qui sont condamnés à mort en Gambie. Mais en tant qu’organisation de défense des droits humains, nous sommes tenus de défendre le droit à la vie. Par conséquent, nous demandons à Yaya Jammeh, au même titre que pour Saliou Niang qui n’est pas encore exécuté, de respecter le droit à la vie de ces combattants du MFDC et de tous les autres condamnés à mort dans ce pays. Il n’a pas le droit de les exécuter, la peine de mort en Afrique de l’Ouest est abolie en pratique et depuis une bonne dizaine d’années, aucun Etat de la région n'y a eu recours. Il est inadmissible que le président gambien pense que la peine de mort soit aujourd’hui la panacée contre la criminalité. C’est faux ! Toutes les études dans le monde ont démontré que la peine de mort n’est pas efficace pour lutter contre la criminalité. Le cas des Etats-Unis est certainement le plus flagrant car sur la cinquantaine d’États qui composent l’entité, au moins une vingtaine a aboli la peine de mort. Et on a constaté que dans ces Etats abolitionnistes, il y a moins de criminalités que dans des Etats comme le Texas et ceux du Sud dans lesquels on exécute tout le temps des personnes et il n’empêche que tous les jours, on y voit des crimes passibles de la peine de mort. Ce qui prouve que la peine de mort est un châtiment cruel, inhumain et inefficace pour lutter contre la criminalité.

 

AMADOU NDIAYE

 

 

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