Pas de déni, des difficultés à respecter les mesures barrières

Près de 3 000 cas confirmés à Thiès, depuis l’arrivée de la 3e vague. Dimanche dernier, le district sanitaire de Thiès a enregistré 25 cas communautaires. Le nombre de décès a augmenté, depuis l’arrivée du variant Delta. Les Thiessois se sont rués vers les centres de vaccination, mais ils peinent à respecter les gestes barrières.
16 h au marché central. L’heure privilégiée par beaucoup de Thiessois pour faire des achats. Ici, les eaux stagnantes rappellent les trois jours de pluie. Ces eaux, mélangées aux ordures, donnent à ce lieu de rencontre un visage peu reluisant. L’odeur nauséabonde se sent, même avec le masque bien ajusté. Dans cette allée que nous avons empruntée, difficile de se frayer un chemin. En plus des tas d’ordures, vendeurs de poisson, de fruits, de friperie se sont partagé la chaussée avec les conducteurs de pousse-pousse et de motos-Jakarta.
Ici, l’on ne peut parler de distanciation physique. Les étals sont collés les uns aux autres et pour traverser, il faut jouer des coudes. Dans ce marché, tout le monde a un masque. Mais peu de personnes en portent. Des masques aux couleurs douteuses se trouvent sous le menton.
Amy, masque chirurgical bleu bien ajusté, est venue faire son marché. Elle est là, parce qu’elle n’a pas le choix. ‘’C’est vrai qu’il y a le coronavirus, mais pour faire la cuisine, il faut forcément venir au marché’’, dit-elle en haussant les épaules.
Sur la possibilité choper le virus au marché, elle répond : ‘’C’est ma plus grande crainte. Mais comment faire ? Une fois à la maison, je vais enlever ces habits et les tremper avec du savon, puis je vais directement prendre une douche.’’
Cette dame, la soixantaine, vend de feuilles de laitue. Son masque est sous le menton. Elle est bien consciente du danger. ‘’La maladie est là. Elle est dangereuse pour nous les personnes âgées. Mais quand on a une famille à nourrir, on ne peut rester à la maison. Nous laissons tout entre les mains de Dieu’’, dit-elle.
Abdou est marchand ambulant. Il est l’un des rares à porter correctement son masque. Mais le sien est très sale, affecté par les nombreuses utilisations et sa main qui n’arrête pas de le tripoter. ‘’Ici, les gens ne portent pas le masque ! Ils ne respectent aucun geste barrière. Ils ont le masque juste parce qu’il y a la police’’, dit-il.
Au carrefour, un véhicule de la police est stationné. Mais les deux forces de l’ordre, avec l’aide de quelques agents de sécurité de proximité, sont occupées à réguler la circulation.
Pas de distanciation dans les transports publics
L’une des caractéristiques du marché central de Thiès, c’est la calèche appelée ‘’weutir’’. Beaucoup l’empruntent pour rentrer ; les dames surtout. Trois personnes à bord avec le conducteur. Elles respectent souvent le port du masque, mais la distanciation physique est impossible. La ligne 1 des bus Tata que nous avons pris pour rentrer est pleine à craquer. Seules deux personnes ne portent pas le masque. L’une d’elles est le receveur lui-même. Dans sa cage, pas de gel hydro-alcoolique. Il reçoit pourtant de l’argent des mains de tous les clients. Et, en retour, leur distribue les tickets de transport. Chez les conducteurs de motos-Jakarta, c’est encore pire. Ils sont très peu à respecter le port du masque.
En rentrant du marché, nous trouvons un groupe de jeunes du quartier Thialy qui profitent de l’ombre d’un grand arbre de neem. Il est 16 h passées, mais la chaleur est encore accablante. Parmi ce groupe de jeunes autour du thé, aucun ne porte un masque, pas de gel hydro-alcoolique, pas de distanciation physique, non plus. Pour ces jeunes, c’est tout simplement une journée ordinaire comme toutes les autres avant l’arrivée de la Covid-19. ‘’Moi, je me suis vacciné’’, lance Junior quand nous les interpellons sur leur non-respect des mesures barrières.
Dans les quartiers, on vit en présence du virus
L’existence du virus n’a pas pu les empêcher de se rencontrer entre potes. ‘’Moi, sincèrement, je suis fatigué de porter le masque. On a arrêté de vivre normalement, pendant une année entière, et cela n’a rien changé’’, dit Zale. Ce jeune footballeur aux rastas attachés en queue de cheval profite de ses amis, en attendant 18 h pour aller jouer au foot au terrain du quartier. Un lieu qui refuse du monde, depuis le début des vacances scolaires.
Non loin d’eux, un débit de boissons très fréquenté par les jeunes. Le gérant a pris le soin d’installer un système de lavage des mains à l’entrée ; un récipient vert, de l’eau et du savon. Mais à l’intérieur, aucun geste barrière.
Cependant, s’il y a une chose dont tous ces jeunes rencontrés sont d’accord, c’est l’existence du virus. ‘’Le coronavirus existe. Moi, je connais des personnes qui ont été malades de la Covid-19’’, affirme Junior.
‘’Oui, nous savons que le virus existe. Nous savons aussi que le variant Delta est ici. Mais on ne va pas arrêter de vivre, pour autant’’, dit Zale, le jeune footballeur. Sur le vaccin, les avis des amis sont partagés. ‘’Moi, j’ai déjà pris ma première dose de vaccin et j’attends mon rendez-vous pour la seconde dose. J’irai la prendre, Inch’Allah », lance à nouveau Junior.
Vaccin : le rush vers les structures sanitaires, malgré les avis partagés
A l’entrée du poste de santé de Petit Thialy, nous croisons Marie-Madeleine Ciss. Il est 11 h 24 mn. Elle vient de prendre sa première dose du vaccin Sinopharm. Marie-Madeleine n’est pas venue seule ; elle est accompagnée de ses deux cousines, des jumelles qui ont préféré taire leurs noms. Elles sont venues, elles, pour la seconde dose du vaccin AstraZeneca. Dose qu’elles n’ont pas pu prendre. Ce vaccin étant actuellement en rupture. Nous les interpellons donc sur ce qui les a motivées à venir se faire vacciner.
Un débat improvisé s’installe. ‘’Au départ, je ne voulais pas me vacciner, mais comme j’avais des projets de voyage, j’étais obligée de venir me faire vacciner’’, nous apprends l’une des jumelles. Elle n’est pas très convaincue par le vaccin et a peur des effets secondaires. ‘’Un vaccin fabriqué vite fait comme ça ! Je ne suis même pas sûr qu’il y ait eu des essais cliniques, avant de nous le proposer. Et plus inquiétant, c’est qu’on ne connait même pas les composants des vaccins. C’est bizarre, non ?’’, ajoute-t-elle d’une voix d’où pointe une petite inquiétude.
Marie-Madeleine, elle, pense que le vaccin est la solution : ‘’Au rythme où vont les choses, je pense que seul le vaccin peut nous sauver…’’ Elle n’a pas pu terminer sa phrase que la jumelle la coupe : ‘’Nous sauver ? T’en es sûre ? On te dit que même vaccinée, tu peux choper le virus. Donc, comment cela peut nous sauver ?’’, interroge-t-elle. ‘’En tout cas, moi, je conseille aux jeunes d’aller se faire vacciner’’, poursuit Marie-Madeleine. ‘’Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il faut laisser le choix aux gens. S’ils n’ont pas envie de se vacciner, qu’on les laisse tranquilles. Ils ont leurs raisons’’, reprend la jumelle.
C’est à ce moment que Modou Diène Sarry, la trentaine, sort du poste de santé. La manche gauche de son t-shirt beige relevée jusqu’à l’épaule, montre clairement qu’il vient de se faire vacciner. Nous l’invitons à participer à la discussion. ‘’Moi, je pense que nos médecins sont assez qualifiés et ils ne nous inviteraient pas à prendre un vaccin qui peut nous porter préjudice’’, dit-il, pour répondre à la question sur les nombreuses spéculations sur les vaccins contre la Covid-19. ‘’C’est vrai que le vaccin ne peut pas empêcher la contamination, mais les médecins nous disent qu’il aide à ne peut atteindre la forme grave de la maladie’’.
Une déclaration qui n’a toujours pas convaincu notre jumelle vaccinée, malgré elle. Sa sœur jumelle, elle, est loin de ces divergences d’idées. Sa préoccupation est ailleurs : l’absence du vaccin AstraZeneca dans les structures sanitaires. ‘’Je suis choquée. Cela fait un bon moment que nous avons pris notre première dose de vaccin. Et depuis, nous n’arrivons pas à prendre la seconde. A chaque fois, on nous dit que le vaccin AstraZeneca n’est pas disponible. C’est compliqué vraiment, surtout pour nous qui voulons voyager’’, dit-elle, inquiète.
La population jeune se vaccine
A l’intérieur de la structure sanitaire, nous trouvons une dizaine de personnes qui attendent leur tour de se faire vacciner. Fait marquant, elles sont jeunes, âgées entre 20 et 40 ans. En face de la file d’attente, deux femmes, des agents de santé, une table où sont disposés des cartons blancs aux écritures bleues, une bouteille de gel hydro-alcoolique, du coton, un paquet de fiches vertes, un stylo…. L’une est chargée de remplir les références sur les fiches et l’autre de l’injection de la dose sur les patients.
Cette dernière, du nom de Dieynaba, nous accueille avec le sourire, mais elle ne peut répondre à nos questions. ‘’L’ICP (infirmière-chef de poste) est absente et je ne peux parler en son absence. Elle est souffrante, donc, ne sera pas là aujourd’hui’’, dit-elle pour nous dissuader d’attendre.
Ici, un seul vaccin est disponible : le Sinopharm. ‘’Depuis l’arrivée de la 3e vague, le dispensaire ne désemplit pas. De 8 h à 16 h, nous recevons du monde pour la vaccination. Il arrive même qu’on renvoie des gens chez eux pour rupture de stock’’, confie le deuxième agent de santé chargé de remplir les fiches. Sur ces fiches de vaccination remises aux patients, on peut lire : la région médicale, le district sanitaire, le nom du poste de santé, l’identité et les coordonnés de la personne vaccinée, le nom du vaccin, les dates de prise de la première dose et du prochain rendez-vous pour la seconde dose.
Au jour du jeudi 5 août, 1 465 personnes ont été vaccinées dans ce poste de santé, depuis le lancement de la vaccination. ‘’Les services de vaccination sont actuellement débordés par la réponse massive des populations’’, avait dit, la semaine dernière, le docteur Mama Moussa Diaw, Médecin-Chef de la région médicale de Thiès, lors d’un entretien avec le journal ‘’EnQuête’’. ‘’Depuis le 23 février 2021, la région de Thiès a vacciné 107 609 personnes âgées de 18 ans et plus, soit 9,1 % de la cible. Dans ce groupe, 51 920 personnes sont complètement vaccinées, soit 48,2 %. Les performances de la région pourraient bien être supérieures, car toutes les données de la vaccination ne sont pas encore saisies dans la plateforme nationale’’, avait-il ajouté.
JEANNE SAGNA (THIÈS)