Publié le 9 Apr 2021 - 14:18
UN PAYS QUI MÉCONNAIT OU A PEUR DE SON HISTOIRE N’A PAS DE FUTUR

Que nous révèle le cas Ousmane Sonko & Adji Sarr ?

 

Comme beaucoup de Sénégalais et « grand-e-s spécialistes » de l’Afrique et du Sénégal, je me suis planqué pendant trois jours devant la télévision et les réseaux sociaux pour accompagner les marées humaines politiques et politisées qui ont manifesté dans toutes les villes du pays. J’ai aussi accompagné beaucoup de débats sur les chaînes de télévision sénégalaises et françaises post-déferlements et prises d’assaut des espaces publics et les symboles matérialisant l’existence et la persistance des brutalités politiques et économiques du capitalisme de la France.

J’ai aussi relu les notes prises au Sénégal, en août et octobre 2019, lors de mes séjours au Sénégal plus les deux articles publiés en 2020 dans la presse écrite sénégalaise : La khessalisation mentale et psychologique des hommes sénégalais: Un problème de santé publique ou le pilier de notre irréversible déshumanisation? Le Ndogalu Yàlla: la fuite civique ou les périlleuses accommodations politiques.

Mais est-ce que les grand-e-s spécialistes sénégalais (es) et étrangers, surtout français (es), ont bien compris les enjeux idéologiques, psychologiques, émotionnels, culturels, politiques et économiques de ce que devrait nous révéler le plus récent feuilleton politique franco-sénégalais dénommé Le cas Ousmane Sonko & Adji Sarr? Ce cas ne serait-il pas la pointe d’iceberg d’une séculaire et complexe culture d’assassinats, d’éliminations et de déportations de la France impériale et de la France républicaine politique, militaire et capitaliste ? La France politique républicaine et ses agents serait-elle stable émotionnellement, psychologiquement et mentalement sans sa conviction d’avoir en face de soi un non humain ou un presque humain ? Quels seraient et sont alors les rôles joués et que jouent les présidents des ex-colonies de l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF) pour le bien-être psychologique de la France républicaine, politique, idéologique, militaire et capitaliste ?

Tout le temps passé devant les chaines de télévision et la lecture des journaux sénégalais n’étaient que des recherches que je faisais pour aller au-delà des vérités des grands spécialistes ;

- tous les Sénégalais sortis pour manifester ont dit que c’est un complot monté par le gouvernement et que celui-ci ne se concrétiserait pas ;

- tous ces Sénégalais ont soutenu que Ousmane Sonko était victime du complot du président Macky Sall et de ses alliés les plus proches qui visent à évincer tous ses adversaires ;

- tous ces Sénégalais ont tué socialement, moralement, religieusement, émotionnellement et éthiquement mademoiselle Adji Sarr. Mais est ce qu’après cet assassinat, les jeunes filles sénégalaises auront maintenant le courage de dénoncer le vrai viol ou les vraies tentatives de viol sans « être des Adji Sarr »? N’a-t-on-pas ouvert dans ce cas le robinet pour un laxisme de la police, de la gendarmerie et de la justice contre les violences sexuelles au Sénégal ? Le lynchage social, médiatique, politique et religieux d’Adji Sarr ne devrait-il pas être positivé aussi pour le bien-être de la société sénégalaise ?

La plupart des penseurs sénégalais et étrangers s’étaient alignés militairement sous les parapluies des vérités des marées humaines. Tous ont martelé l’opinion publique sénégalaise à partir des réponses-vérités ou des vérités-réponses sur un thème dont les causes sont plus séculaires et structurelles, plus enracinées, plus idéologiques, plus politiques, plus capitalistes et complexes et dont les sources se trouvent de l’autre côté de l’Atlantique, notamment en Europe. Ces causes échappent aux vérités superficielles du « feuilleton politique sénégalais » dont le gouvernement de Macky Sall n’est qu’une petite pièce du club des non humains selon le responsable du chéquier qu’est la France politique républicaine.

Les colonies des Amériques ont été les meilleurs laboratoires pour les puissances traditionnelles coloniales (Royaume-Uni, France, Espagne, Portugal, Pays-Bas...) Cependant, parmi celles-ci, la France impériale politique a été l’unique puissance ayant essuyé la pire vexation pour avoir été vaincue militairement par des « soldats » considérés comme presque humains sous le commandement de Toussaint-Louverture.

Cette humiliation de la bien équipée armée coloniale de la France impériale politique sera vengée jusqu’à nos jours par l’inauguration de la culture de violences, d’assassinats, d’éliminations, de manipulations et de déportations des leaders politiques qui ont remis ou remettraient en cause les intérêts, mais aussi entraveraient tous les projets de spoliation de la France républicaine politique. C’est ainsi qu’un machiavélique projet fut orchestré pour l’assassinat politique et géographique de Toussaint-Louverture qui fut enlevé, déporté et incarcéré au Fort de Joux, en France, où il mourut loin de sa terre natale en 1803 avant l’indépendance de Saint Domingue après une véritable révolution et un événement capital dans l’histoire moderne et universelle, mais qui a été systématiquement banalisée. La France impériale politique venait de mettre en marche sa culture politique de colonisation, de violence, de brutalités, d’assassinats et de déportations au nom des intérêts français et occidentaux.

C’est à partir de cette défaite que la France impériale politique a inauguré deux manières pour récupérer son prestige et son singulier orgueil psychologique d’être un peuple blanc, unique responsable divin des peuples non blancs. Au-delà de la culture de violence, d’assassinats, d’éliminations et de déportations de leaders, cette France a aussi jeté les bases de sa culture de payer le travail de civilisation réalisé par la mission civilisatrice. Elle a obligé les autorités haïtiennes à payer pour la reconnaissance de leur indépendance et indemniser les ex-propriétaires des esclaves devenus des citoyens, constituant la première dette extérieure et internationale. Les autorités haïtiennes ont dû consentir un prêt de 150 millions de francs-or aux banques françaises. C’est à cause de ce prêt que le Sénégal a des gendarmes à Haïti depuis des années.

Cependant, une observation et une analyse attentive montre que le payement pour la reconnaissance de l’indépendance cachait une autre cause : la France impériale politique exigeait qu’on paye le travail de sa mission civilisatrice pour avoir hissé les Noir-e-s africain-e-s de leur condition de sauvages et de barbares à celle de presque humaine. Les nouvelles autorités haïtiennes et les futures générations ont eu à payer la dette pendant plus d’un siècle à la France impériale et, plus tard, à la France républicaine politique.

A la fin de la Guerre froide, Haïti élit démocratiquement son premier président en la personne de Jean-Bertrand Aristide. Durant son magistère et après plusieurs calculs, les techniciens de son gouvernement conclurent que le prêt de ses ancêtres équivalait à vingt-trois billions de dollars de nos jours. Le nouveau et « intrépide » président envoya à son homologue français Jacques Chirac la documentation exigeant la dévolution de l’argent que la France impériale politique « avait volé » à ses ancêtres en 1825 sur le président Jean-Pierre Boyer, qui a été exilé en France. Il meurt à Paris en 1850. Pris de court, mais surtout agacé par l’arrogance du président nègre presque humain, Chirac contacta son homologue nord-américain – Bill Clinton – qui dépêcha ses Marines pour destituer un président démocratiquement élu. Chirac venait, avec l’aide de son homologue nord-américain, de mettre en branle la culture de violence, d’assassinats, d’éliminations et de déportations des leaders contre les intérêts mis en place au début du XIXe par la France impériale politique.

Serait-il possible d’appréhender analytiquement les soubassements idéologiques, politiques et capitalistes du cas Ousmane Sonko & Adji Sarr en dehors de cette culture d’assassinats, d’éliminations et de déportations et/ou emprisonnement des leaders qui pourraient déranger la politique de spoliation coloniale de la France républicaine politique ? Comme le disait Frantz Fanon, cette culture de violence est ineffaçable de toutes les institutions coloniales de pouvoir. La durée dans le temps d’un tel système, lui-même établi par la violence, est aussi, précise-t-il, «fonction du maintien de la violence».

Après la perte de sa plus riche colonie des Amériques, la France impériale politique, comme les autres puissances coloniales, a réalisé une reformulation, une ré-adéquation et une réadaptation non seulement des cartes coloniales et colonialistes, mais surtout les processus de la culture d’assassinats et de déportations des leaders contraires à ses intérêts. En Afrique, la France comme les autres puissances coloniales a changé la nomenclature dénominative : on passe du trafic et de l’esclavage à la colonisation territoriale. Et pour mieux « gouverner », la France républicaine politique a eu à diviser ses possessions en « Afrique Noire » en deux régions administratives : l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF). Et finalement la création de la monnaie des colonies françaises d’Afrique (le franc CFA).

Au-delà de diverses formes de violence, la France mit en pratique sa culture de brutalités et de déportations des leaders visant déjà à leur inculquer mentalement et émotionnellement la culture de la mendicité, de l’incompétence administrative et surtout la conviction de la non humanité par rapport aux Français. La France venait d’inaugurer en AOF et en AEF la culture de l’infantilisation, de l’irresponsabilité, de l’incapacité et de la négation de l’humanité aux leaders politiques.

C’est ainsi que la France inaugura sa culture de violences et d’éliminations dans la seconde moitié du XIXe siècle en Afrique occidentale : El Hadji Oumar Tall, Samory Touré, Sarraounia Mangou (reine des Aznas – actuel Niger), MBalia Camara (1929-1955) de la Guinée-Conakry. La même France déporta le roi Béhanzin en Martinique puis en Algérie où Il mourut ; Cheikh Amadou Bamba au Gabon et finalement en pleine Deuxième Guerre mondiale Aline Sitoé Diatta. L’Etat du Sénégal a aussi mis en branle cette culture de brutalités, d’éliminations et de déportations régionales après indépendance au nom des intérêts de la France : Mamadou Dia, jeté en prison dans la région de Tambacounda ; assassinats de Emile Badiane, Ibou Diallo, Victor Diatta ; Cheikh Anta Diop interdit d’enseigner au Sénégal ; Abdoulaye Wade jeté plusieurs fois en prison ; Karim Wade emprisonné et après forcé à l’exil et finalement Khalifa Sall, libéré mais ne jouissant pas de ses droits civiques. C’est pourquoi, le plus récent cas de cette culture inaugurée en Amérique française, celui dénommé Ousmane Sonko & Adji Sarr, ne devrait pas être analysé à partir du gouvernement de Macky Sall. Après les indépendances, la France républicaine politique a délégué sa culture d’assassinats, d’élimination et de déportations des leaders dangereux pour ses intérêts et sa culture de spoliation à ses presque humains présidents.

Entre 1960 et aujourd’hui, la France républicaine politique a tué presque vingt leaders politiques Thomas Sankara, Muammar al-Gaddafi...) au nom de ses intérêts politiques, idéologiques, militaires, monétaires et capitalistes. En 2011, Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire a été déporté et condamné faussement par le Tribunal pénal international. De ce fait, est-il possible d’appréhender analytiquement le cas Ousmane Sonko & Adji Sarr en dehors de la dette imposée par la mission civilisatrice qui dit avoir hissé les sociétés du Sénégal actuel à la condition presque humaine comme dans le cas haïtien ? C’est pourquoi les débats sur l’indépendance du Sénégal comme des autres pays de l’Afrique dite noire devraient prendre en compte inéluctablement le douloureux processus de ré-humanisation de nos élites politiques, culturelles et mêmes académiques.

L’impossibilité pour les populations de « l’Afrique noire » de bénéficier des richesses de leur sous-sol trouve ses racines principalement dans la conviction de leurs autorités politiques de leur non-humanité.

C´est pourquoi notre prochaine réflexion portera sur la création de la deuxième monnaie de la France républicaine politique (le franc des colonies françaises – CFA) et ses implications politiques, idéologiques, psychologiques, raciales, culturelles et économiques. Le franc CFA, c´est la monnaie des non humains pour la France républicaine politique.

ALAIN PASCAL KALY

Docteuren sociologie, professeur d’histoireet cultures africaineset afro

Département d’histoire da UniversdadeFederal Rural de Rio deJaneiro(UFRRJ)

 

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