Publié le 9 Jan 2018 - 01:58

Hommage à Mamoudou Touré

 

‘’Si claire est l’eau de ces bassins, qu’il faut se pencher longtemps au-dessus pour en comprendre la profondeur’’.   Ces propos d’André Gide me semblent s’inscrire dans le cœur nucléaire de ce que   fut la vie de Mamoudou Touré.

Je voudrais, avec vous, remonter le temps pour évoquer la disparition d’un homme taillé dans du bois rare, comme il sied de parler d’un grand frère avec qui j’ai eu le bonheur d’entretenir des liens anciens, profonds et authentiques sur le socle de racines et de bourgeons qui refleurissent sans cesse quelles que soient les saisons et les circonstances. Si cet homme avait le don singulier de se situer aux confluences de toutes les vertus, c’est sans doute parce que très tôt, il avait compris, au-delà de la gloire, des honneurs et des fastes qu’elle charrie, la radicale vanité des choses.

C’est la grâce que la nature lui avait donnée en partage. Voilà pourquoi sa parole était écoutée, attendue, espérée, parce qu’elle était l’écho d’un esprit libre et indépendant. Il avait trois dogmes pour ainsi dire : la religion, le travail et l’amitié.  C’est à la source de sa foi en Dieu qu’il puisait force et sérénité. Ma première rencontre marquante avec Mamoudou a eu lieu à Séoul à l’Assemblée annuelle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ; il m’y avait invité.  A l’époque, il assumait avec autorité, la Présidence du comité intérimaire et du comité de développement.

Je garde de ce moment-là le souvenir d’échanges cruciaux sur des problématiques et des enjeux économiques en lien avec les missions du Fonds Monétaire de manière générale, en Afrique notamment.  Il en est de même lorsque j’avais eu le privilège d’être Conseiller Spécial du Secrétaire Général de l’OPEP ; il était venu en mission à Viennes en sa qualité de Ministre du Plan du Gouvernement du Sénégal.

L’OPEP disposait à cette époque d’un fonds pour les pays non exportateurs de pétrole. Monsieur Marc Saturnin Nanguène, Secrétaire Général de cet organisme l’avait reçu en ma présence, une occasion de prendre à nouveau toute la mesure de cet esprit brillant et solide. 

Au-delà de la matière financière, il témoignait d’une parfaite maîtrise du monde de l’Industrie et de ses complexités. La postérité lui reconnaitra une autre dimension, celle de figurer dans le panthéon des pères associés de nos indépendances africaines. Dans la rudesse de ces combats pleinement assumés, Mamoudou a été un acteur déterminé et efficace.  Il se trouve que sous la partie visible de l’iceberg, derrière les dehors austères du personnage, gît une mine d’humour, inattendu, insoupçonné. Un jour alors qu’on se trouvait dans sa maison entre amis, arriva l’heure de la prière. Du doigt, il me  proclama Imam et me demanda de diriger la prière. Il savait être taquin, mais toujours bienveillant.  

On se rappelle volontiers ses fameuses répliques à l’Assemblée Nationale répondant en Poular aux questions qu’on lui posait en Ouolof ; Panafricaniste par conviction et par culture, cet ancien de l’Enfom  procède de la même filiation que les Senghor, Mamadou Dia, Cheikh Hamidou Kane, Cheikh Anta Diop, Babacar  Ba et Christian Valantin entre autres

A ce titre, Alassane  Ouattara avec qui il entretenait une amitié exemplaire n’avait de cesse de le consulter dans les moments décisifs de son magistère de Première Ministre de Côte d’Ivoire et de Président de la République ensuite. Je garde le souvenir émouvant du jour où Mamoudou Touré lui avait demandé de me coopter dans son équipe quand il venait d’être nommé Premier Ministre. Il y avait d’ailleurs déjà dans son cabinet des compétences plurinationales d’origine Guinéenne, Malienne, Béninoise et autres.

Michel Camdessus ancien directeur Général du FMI m’a confié un jour, au détour d’une conversation que Mamoudou Touré fait partie de la race des grands hommes que, par obligation morale, nous devons honorer. La rigueur, la pudeur, l’intégrité, sa proximité en humanité, érigées au rang d’évidence avaient élu domicile chez cet homme dans la pure tradition de ces héros tranquilles du 17ème siècle.

Dépositaire d’une culture encyclopédique, il avait une fine connaissance des arcanes de la généalogie des grands personnages qui ont marqué l’histoire de notre pays et bien au-delà de nos frontières, en particulier, mon arrière-grand-père Thierno Souleymane Baal dont, grâce à lui, j’eu une connaissance plus aigüe du rôle qui fut le sien dans cette épopée.

Désormais livré à l’insondable mystère de la mort, son nom sera, je le crois, symboliquement évoqué comme un exorcisme contre toutes les laideurs du monde. Telle est, me semble-t-il, l’indélébile trace qu’il nous laisse en héritage

Je veux dans cette occurrence douloureuse, adresser mon affective compassion à son épouse Maimouna à son fils Ibrahima, à Prosper Youm, son confident, son ami, son ombre porté, dont je n’ignore pas les liens quasi fusionnels qu’ils avaient. Moussa Touré, son ancien Secrétaire Général qui fut son complice, indéniablement.

Je veux leur dire que ce deuil est le nôtre aussi. Il est celui de ce continent qu’il a tant servi et aimé avec passion et désintéressement.  Je ne doute pas que sa destination ultime soit le Paradis.

Mamadou Diagna Ndiaye

 

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