Publié le 2 Dec 2021 - 16:37

Trois sages bien de chez nous au secours de la politique et de la démocratie

 

Depuis très peu - disons depuis février 2021-,  plus aucun patron d’un parti de l’opposition et plus aucun candidat « important » d’une coalition de l’opposition à une élection ne répondent à une convocation de la Police, de la Gendarmerie et de la Justice sans tenter de faire basculer le pays dans une violence inouïe en prétextant les complots dont les « officines du pouvoir » seraient les artisans. Dans ce climat de guerre civile larvée, les moyens d’attiser le feu qui couve, après le gigantesque brasier de mars 2021,  se multiplient à cause des médias - peut-être pas tous - qui ont fini par se convaincre qu’un(e) invité(e) n’est pas plus crédible qu’un(e) autre pour tout ce qui se rapporte à la politique et à la pratique politique.

Dans cette grande confusion propice au suicide collectif, quelles chances de réussir, dans leur délicate et exaltante mission, disposent encore le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra), le  Syndicat des professionnels de l'information et de la communication du Sénégal (Synpics), le Comité d'observation des règles d’éthique et de déontologie (Cored), le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal (Cudis) et les bonnes volontés indépendantes pour apaiser notre démocratie ? Il existe heureusement une réponse bien sénégalaise inspirée par trois regrettés intellectuels en politique.

La politique selon SENGHOR et DIA

Chargé, en 1968,  de présenter le «Rapport de politique générale», intitulé «Politique, nation et développement moderne», au VIe congrès de l’Union progressiste sénégalaise (Ups), le président SENGHOR entreprit d’abord de définir la politique pour permettre à tous les délégués d’en avoir le cœur net. Pour résoudre à moitié le problème, comme il en avait l’habitude, le Secrétaire général de l’UPS en fit l’historique. Aussi insista-t-il sur l’origine grecque du mot dérivé de l’adjectif politikos - signifiant : «qui concerne l’État, les affaires publiques» - ou du substantif politiké qui, lui, désigne «la science des affaires de l’État, des affaires publiques». En relisant SENGHOR en 2021, le lecteur se rend bien compte de l’origine de la substitution de l’État par la «Cité». C’est que l’adjectif et le substantif grecs dérivent tous les deux de polis signifiant «cité». La politique est donc la science des affaires de la cité qui, elle, «existe pour vivre avec aisance et abondance» selon Aristote. Mais le brillant rapporteur déplora aussitôt après le travestissement d’un mot qui ne désigne plus alors que «l’art de prendre le pouvoir ou de s’y maintenir». Et SENGHOR de conclure par une sentence sans équivoque  : «la politique est la science totale de la formation de l’Homme par le développement».

Quatre ans après le poète, un essayiste monumental emboucha, en dépit de l’isolement carcéral, la même trompette. Dans sa célèbre lettre de prison datée du 30 mai 1972 – lettre que le prisonnier âgé de 61 ans et malade dicta à l’émissaire qu’il reçut et qui se chargea de la transmission à Léopold Sédar SENGHOR – Mamadou DIA écrit : «D’abord je crois qu’il faut distinguer la politique en tant qu’intégration de la cité, dans la communauté humaine, et la politique en tant que déploiement d’une technologie de la conquête ou de la conservation du pouvoir». Le déporté – se plaçant «sous l’angle plus profondément significatif» de la politique - explicitait ainsi le sacerdoce qu’on lui demanda d’abandonner en échange de sa libération. C’est sans équivoque qu’il refusa l’offre. «L’engagement de s’exclure [de la] politique,  répondit Mamadou DIA, serait la traduction d’un comportement a-national ou antinational. Ce serait dire que le destin de mon pays n’entre plus dans mes préoccupations, ne me regarde pas». Plusieurs années après sa sortie de prison, DIA – s’adressant aux «déviants» qui voulurent l’atteindre en déformant son rapport au pouvoir – dit concevoir le pouvoir comme un «service public». Et l’ancien président du Conseil d’ajouter : «Je ne suis pas resté 12 ans en prison pour avoir refusé de dire que je renonçais à la politique, pour le faire maintenant.»

Faire de la politique pour le meilleur et pour le pire, c’est donc, avant tout, vouloir la faire comme les présidents Léopold Sédar SENGHOR et Mamadou DIA qui en avaient tous les deux - on vient de le voir - une très grande idée. En 2021, c’est-à-dire soixante (60) ans après la séparation des deux hommes, que devrions-nous savoir d’autre pour en être les dignes héritiers ?

Qui est qui ?

Même sans avoir rendu un hommage appuyé à Mamadou DIA dans une allocution solennelle, les présidents Abdou Diouf,  pendant 19 ans, et Abdoulaye Wade, pendant 12 ans,  n’en étaient pas moins les héritiers pour tout ce qui se rapporte à l’Etat régalien indépendant dont il fut, le géniteur rigoureux et compétent avec les pleins pouvoirs de Président du Conseil. Que dire de l’actuel Président de la République, Macky SALL, qui força le respect de ses plus irréductibles adversaires en donnant, le 30 janvier 2019, le nom de Mamadou DIA - « grand serviteur de l’État et grand combattant du Sénégal » - au plus imposant édifice de la République ? Le Building administratif symbolise depuis cette date une manière de faire de la politique qui ne tolère en aucun cas l’affaiblissement de l’État à travers la remise en cause de ses fonctions régaliennes de défense du territoire, de sécurisation des biens et des personnes, d’administration de la justice, de représentation diplomatique, de définition de la politique monétaire et fiscale, etc.

L’erreur de celles et ceux qui font de la politique pour des personnes au lieu la faire pour des idées comme le Professeur Cheikh Anta DIOP est de dénier à l’Etat et à ses démembrements leur vocation irrévocable de gardien, c’est-à-dire de préposé indépassable à la protection, de la démocratie. En tentant de se substituer à l’État, quitte à s’exposer au recadrage des organes de régulation en donnant la parole politique aux profanes, les médias oublient qu’ils en sont les garants qui doivent répondre de leurs entorses à l’éthique et à la déontologie journalistiques.

Tout rentre dans l’ordre quand tout le monde sait enfin qui est qui. Et la prononciation des noms de Léopold Sédar SENGHOR, de Mamadou DIA et de Cheikh Anta DIOP - trois sages bien de chez nous - suffirait à apaiser la vie politique à quelques semaines seulement du scrutin départemental et municipal du 23 janvier 2022 en faisant parler, encore qu’il est temps, les offres locales des partis et des coalitions.

Abdoul Aziz DIOP

Essayiste

SEN APR

Conseiller spécial à la Présidence de la République

 

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