Publié le 8 Mar 2022 - 22:07
MAME MATY DIOL, CHARBONNIERE

La brave ‘’Mère Keurigne’’ de Sor

 

Depuis 1977,   les Nations Unies ont officiellement invité tous les pays à célébrer le 8 Mars, la Journée internationale de  la  femme, pour le respect de leurs droits.  Ainsi, à Saint-Louis, les associations de femmes militantes organisent régulièrement des activités pour faire entendre leurs voix, exiger l’amélioration de la condition féminine et sensibiliser leurs sœurs sur leurs devoirs et droits. Mais, malheureusement, en 2022, certaines femmes ignorent encore l’existence de cette journée qui leur est dédiée et continuent toujours de souffrir. A l’image de cette dame, vendeuse ambulante.
 
Portrait
 
Petite de taille, une corpulence moyenne, le teint noir, Mame Maty Diol est vendeuse de charbon. Une activité qu’elle mène depuis plusieurs décennies. Elle maitrise les coins et recoins du quartier de Pikine où elle exerce son métier de charbonnière ambulante, depuis qu’elle est jeune fille.
 
D’ailleurs, elle est très connue dans ce populeux quartier du faubourg de Sor. Mame Maty ou ‘’Mère Keurigne’’ pour les clientes, ne passe pas inaperçue et peut poser pratiquement un nom sur chaque famille de Pikine Tableau Walo. Son appel pour annoncer son passage est devenu même familier aux plus petits enfants du quartier, avec son fameux ‘’Keurigne langui’’ (le charbon est là). La lourdeur de la bassine de charbon qu’elle porte et les longues distances qu’elle parcourt quotidiennement sont en train de changer physiquement cette dame d’une cinquantaine d’années, sans qu’elle ne s’en rende pas compte. Tellement son activité quotidienne n’est pas de tout repos. A l’en croire, chaque jour, elle quitte son village natal de Gandiole à l’aube pour rallier Saint-Louis, afin de se ravitailler en sac de charbon chez  les grossistes et gérants de dépôt de charbon dans la vieille ville. 
 
Mère de huit bouts de bois de Dieu, dont les deux premiers sont mariés et ont rejoint leur domicile conjugal depuis quelques années dans des villages environnants de Gandiole, la mère de famille se voit ainsi obligée de préparer le petit-déjeuner des enfants avant 5 h, pour pouvoir quitter très tôt. Malgré les affres des heures matinales qu’elle affronte pour trouver de quoi subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, Mame Maty n’est pas au bout de ses peines, puisqu’elle revient à la maison à la mi-journée pour préparer le repas familial, après avoir fait le tour de la quasi-totalité des sous-quartiers de Pikine avec son lourd fardeau sur la tête. Pour ‘’Mère Keurigne’’, le repos, elle n’en prend que très rarement. Seulement quand elle est gravement malade, avance-t-elle. 
 
La Journée internationale des droits des femmes toujours ignorée par certaines
 
Interpellée sur la célébration de la Journée internationale de la femme qui leur est dédiée, elle déclare l’ignorer, sans aucune hésitation. ‘’Je ne savais pas que cette fête existe. Je ne me sens pas concernée par cette journée de la femme. Quand je ne vends pas, ma famille ne mange pas. Peut-être cette journée est réservée aux femmes de bureau ou autres femmes fonctionnaires qui, bon an, mal an ont quelque chose dans leur pochette’’, a soutenu Mame Maty. D’un air sérieux, elle déclare ne pas pouvoir perdre une journée pour fêter.  ‘’Depuis des années, c’est moi qui gère la famille, parce que mon mari a été victime d’accident dans un chantier en Mauritanie. Il est revenu presque handicapé de ses jambes.  Il fait un petit commerce à la maison, mais peine à joindre les deux bouts, par manque de moyens’’, a-t-elle poursuivi.
 
Selon la charbonnière ambulante, si réellement la journée est dédiée à toutes les femmes sans exception, à Saint-Louis, elle doit être revue et corrigée pour que toutes en bénéficient. ‘’Nos sœurs qui organisent de telles activités, doivent penser aux sans-voix comme nous. Elles doivent partager les informations avec la base pour que toutes les femmes soient impliquées, si réellement c’est une journée des femmes. En tout cas, nous qui n’avons pas de moyens pour accéder aux financements, méritons du soutien de la part des autorités. Malheureusement, on préfère les donner aux grandes dames qui, souvent, ne pensent qu’à leurs amies ou à leurs familles. Mais on gardera toujours notre dignité. Nous souffrons, mais la dignité n’a pas de prix. Je continuerai à me débrouiller avec ma bassine de charbon sur la tête, pour nourrir nos enfants et s’occuper de leurs études, en attendant des lendemains meilleurs ‘’, conclut-elle en empruntant une des ruelles du populeux quartier de Pikine Tableau Walo.   
 
Ibrahima Bocar SENE (Saint-Louis)
 
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