Publié le 23 Sep 2012 - 18:56
QUESTION DE LA DOUBLE NATIONALITÉ

Abou Lô doit démissionner

 

 

''J’ai clos ce débat- là (…) Maintenant, s’il y a des Sénégalais qui ont des problèmes pour cela, ils n’ont qu’à s’adresser à celui qui m’a nommé ministre (…) Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, cela ne m’intéresse pas. Pour moi, cela reste des futilités.» C’est sur ce ton maladroit (...), discourtois et choquant que monsieur Abou Lô, dans le journal l’Observateur numéro 2694 du 12 Septembre 2012, est entré dans la polémique sur sa double nationalité. Des propos arrogants et irrespectueux que les sénégalais espéraient hélas ne plus entendre de leurs dirigeants encore moins d’un Ministre de la Communication sensé porter la parole.

 

Mais pour qui vous-prenez vous, monsieur le ministre, pour clore ce débat ? Vous en êtes peut-être le prétexte pour celui qui l’a soulevé, mais il porte sur une question d’ordre national qui dépasse votre modeste personne. Le député Abdoulaye Makhtar Diop qui y est revenu lors de la Déclaration de politique générale (Dpg) du Premier ministre du lundi 10 septembre dit qu’il ne vous connaît même pas ; comme d’ailleurs c’est le cas pour la plupart des Sénégalais qui n’ont jamais entendu parler de vous avant le 25 mars 2012. Vous considérez que ce que disent les gens ne vous intéresse pas, mais retenez également que votre personne en soi ne les préoccupe point tant que vous ne prétendez pas prendre part à la gestion des affaires publiques de notre pays. Pour preuve, de jeunes sénégalais émigrent en Allemagne, y prennent des épouses pour leurs intérêts économiques privés sans que cela n’offusque personne ; d’autres transportent leurs femmes arrivées à terme en Europe occidentale ou en Amérique du Nord pour qu’elles accouchent là-bas, et cela reste leur problème.

 

Mais la controverse que pose le cas qui vous concerne vous et d’autres parmi nous, est plus profonde et plus sérieuse ; elle est le prolongement d’une bataille de principe plus ancienne que votre très récente nomination. Déjà de son vivant, Le professeur Cheikh Anta Diop a souvent interpellé le Président Senghor pour qu’il éclaire l’opinion sur sa double nationalité parce qu’il considérait inconcevable qu’un Français, fût-il noir et d’origine sénégalaise, puisse diriger le pays après les indépendances. Le premier Président de la République n’a jamais apporté une réponse claire sur cette question, préférant entretenir le doute pendant tous ses vingt ans de règne à la tête du pays. Mais rien ne peut et ne doit plus être comme avant. La «Républiquette» des roitelets Pères fondateurs doit être enterrée. Nous avons désormais une opinion qui aspire à un État de droit légitime parce que respectueux des lois et des règles édictées ; des citoyens qui nourrissent l’espoir de vivre une nouvelle page de gouvernance moderne, démocratique, transparente et juste. Le Président Macky Sall s’est engagé dans un pacte social de rupture à la bâtir avec eux. Ses collaborateurs doivent l’accompagner dans cette voie.

 

Vous conseillez à celui qui n’est pas content de s’adresser au Chef de l’État qui a pris la décision de vous nommer ministre. Vous avez peut-être raison puisqu’il est le seul délégataire du pouvoir du peuple souverain. Cependant, vous auriez pu choisir de démissionner pour l’aider au lieu de le mettre devant ses responsabilités de façon aussi désinvolte et ingrate. La Communication qu’il vous a confiée n’est pas apparemment votre élément.

 

Pour vous défendre, Me Aïssata Tall Sall qu’on connaissait plus pertinente, a porté sa toge partisane pour soutenir à l’hémicycle que personne n’est plus Sénégalais que vous. Une plaidoirie basée hélas plus sur un sentiment de solidarité ethnique que sur le droit. Car s’il était avéré que les lois allemandes sur la nationalité sont exclusives, alors, en vous naturalisant, vous êtes devenu de facto un étranger au Sénégal.

 

Mais au-delà de l’aspect juridique, se pose un problème de valeur morale. D’abord, vous ne pouvez pas renoncer à votre nationalité d’origine pour vos intérêts individuels égoïstes et venir ensuite disputer de patriotisme avec Abdoulaye M. Diop qu’on peut aimer ou non dans ses convictions, mais qui est au moins connu pour sa fierté d’être Lébou et pour sa présence active sur la scène politique et publique depuis au moins 30 ans. Ensuite, que vous ayez renoncé à votre nationalité allemande ou non, il n’est pas sûr que vous soyez plus Sénégalais que Rama Yade ou que Ségolène Royal. Elles sont toutes deux nées au Sénégal mais Françaises. Et il serait cependant difficile d’accepter moralement qu’elles viennent un jour réclamer leur droit à la nationalité et occuper de hautes responsabilités dans ce pays, quel que soit le degré de sympathie qu’on peut avoir pour elles.

 

De même, les Kenyans pourraient être scandalisés demain de voir Obama, qu’ils aiment bien pourtant, envisager de venir diriger leur pays après avoir épuisé ses deux mandats aux États-Unis. Enfin et de façon plus concrète, rappelons l’état d’indignation dans lequel l’écrasante majorité des Sénégalais a plongé en apprenant que Karim Wade, fils de l’ancien Président et super ministre d’État que son père a préféré à toutes les compétences nationales qui sont nées et restées au pays, a acquis sa nationalité en 2002 seulement, comme aimait le rappeler avec ironie Abou Abel Thiam. C’est parce que tous ces exemples cités sont de la transhumance identitaire que l’éthique et la morale les réprouvent.

Le Président bénéficie encore de la confiance des Sénégalais qui attendent de lui une nouvelle méthode de gouvernement et vont y veiller. Ceux qui n’ont pas encore compris cela, n’ont pas leur place à ses cotés et il n’est pas de son intérêt de les garder.

 

 

Abdoulaye Badiane, Professeur au L.SLL

abadja2@yahoo.fr

 

 

 

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