Le Conseil constitutionnel sous haute tension

Le compte à rebours a commencé, pour le Conseil constitutionnel, qui a trois jours pour statuer sur les 15 recours introduits par les acteurs politiques aux fins de contester l’arrêté du ministre de l’Intérieur portant publication des listes devant participer aux prochaines élections législatives.
C’est une situation rocambolesque, rare à la veille d’élections législatives, et qui donne au Conseil constitutionnel du pain sur la planche. A la date d’hier, ce n’est pas moins de 15 recours accumulés dans les tiroirs du conseil qui va devoir statuer dans un court délai légal de 72 heures.
Dans le détail, Yewwi Askan Wi a introduit trois recours : trois pour Benno Bokk Yaakaar, trois pour Gueum Sa Bopp, trois pour And Deffar sa Kokh, deux pour la Grande coalition Wallu Senegaal. Hier, malgré l’expiration du délai de 24 heures prévu, And Nawlé de Serigne Mboup est venu s’ajouter à la liste, portant le nombre de recours à 15 au total.
Depuis, tous les yeux sont rivés vers les sept sages qui ont la lourde tâche d’arbitrer, encore une fois, le contentieux entre les acteurs politiques.
Ce bouillonnement politique préélectoral, le Conseil constitutionnel sénégalais en a maintenant bien l’habitude, même s’il y a quelque chose d’assez rarissime, pour ne pas dire inédite pour les présentes élections législatives. À cause de la médiocrité non assumée de certains hommes politiques, toute la population est actuellement tenue en haleine, des institutions vouées aux gémonies, la démocratie en otage.
Déthié Faye, Coordonnateur des non-alignés, regrette : ‘’À la limite, c’est vraiment regrettable et décevant de la part d’acteurs politiques, surtout des acteurs qui ont pris part à toutes les discussions concernant le Code électoral. Je peux dire, en tout cas, pour certains d’entre eux : ils savent quel est le contenu de ce code. Mais malheureusement, la politique politicienne, le jeu de cache-cache, les combines ont pris le dessus et ont abouti à ces légèretés…’’
Ce qui s’est passé, selon lui, n’est rien d’autre qu’un manque de rigueur des partis politiques. C’est d’ailleurs pourquoi, au début, tout le monde avait cru à la thèse du complot. ‘’Personne ne pouvait imaginer que des acteurs politiques peuvent commettre une bourde pareille, mettre cinq hommes et deux femmes sur une liste de sept candidats. Est-ce qu’on a besoin même d’être un acteur politique pour savoir que c’est impossible ? C’est pourquoi, dès le début, nous avions estimé que le Conseil constitutionnel devrait dire le droit, rien que le droit. Cela va nous obliger, en tant qu’acteurs politiques, à respecter les Sénégalais et à nous prendre au sérieux pour qu’on puisse nous prendre au sérieux. Il faut aussi que tous les citoyens soient à l’écoute du Conseil constitutionnel.’’
‘’Les acteurs politiques sont à la base de toutes ces légèretés qui nous ont entrainés dans cet imbroglio…’’
Selon le coordonnateur des non-alignés, ‘’il ne sert à rien de vouloir jeter le discrédit sur le conseil ou sur toute autre institution, alors que nous savons tous que les acteurs politiques sont à la base de toutes ces légèretés qui nous ont entrainés dans cet imbroglio, au point de nous soumettre à l’arbitrage du Conseil constitutionnel. Il faut avoir l’honnêteté de le reconnaitre et de le dire. En tout état de cause, c’est la décision du Conseil constitutionnel qui sera appliquée pour les prochaines élections législatives’’.
Principalement, le Conseil constitutionnel est attendu sur les questions suivantes : pour Benno Bokk Yaakaar, il s’agira surtout de dire si l’arrêté du 27 avril fixant les modalités du contrôle de parrainage est conforme aux dispositions du Code électoral sur le parrainage.
En effet, c’est sur la base de cet arrêté que la Commission de réception des dossiers a admis le dossier de ladite coalition, nonobstant le dépassement. Ledit arrêté prévoit qu’en cas de dépassement du maximum de parrainages prévus par la loi, les parrainages de plus ne sont pas pris en compte.
À propos de la coalition Yewwi Askan Wi, la principale question qui se pose, c’est de savoir si elle a droit à un autre remplacement.
En effet, pour avoir investi un candidat inéligible, ladite coalition avait reçu notification aux fins de remplacement du candidat inéligible, conformément aux dispositions du Code électoral. Malheureusement pour eux, en remplaçant, ils ont mis une candidate qui était déjà sur la liste suppléante. Pour certains spécialistes, cela ne saurait être une cause d’irrecevabilité. Il suffit juste d’une autre déclaration complémentaire. Pour d’autres, du fait de cette erreur, la liste devient incomplète et donc irrecevable.
Les questions sur lesquelles les sages sont attendus
Dans le cas de Benno Bokk Yaakaar comme dans celui de Yaw, le ministre de l’Intérieur qui a constaté un manquement à la loi, a choisi de sanctionner partiellement la liste. Alors que beaucoup s’attendaient à ce que les deux listes soient purement et simplement déclarées irrecevables, l’autorité a estimé que seule une partie doit être sanctionnée : les titulaires pour Yaw, les suppléants pour BBY. Là également, le Conseil constitutionnel est attendu. Si lesdites dispositions ont effectivement été violées, est-ce toute la liste qui doit être invalidée ou la solution du ministère est la bonne, conformément à la jurisprudence de la Cour suprême, datant de 2014, dans l’affaire BBY contre And Defar Thiès.
Last but not least, il y a la question soulevée par la coalition Gueum Sa Bopp, surtout celle relative à la forclusion de toutes les listes. Se basant sur un communiqué de la Cena qui estimait que toutes les listes ont été déposées au-delà de la date limite légale, Bougane et Cie demandent tout bonnement à ce que toutes les listes, sans exception, soient déclarées irrecevables.
Au-delà de dire le droit dans toute sa rigueur, il ne faudrait pas perdre de vue la fonction de régulation du Conseil constitutionnel pour comprendre ses futures décisions. Il y a quelques jours, le président de l’institution, Papa Oumar Sakho, disait dans le journal ‘’Le Soleil’’ : ‘’Dans les systèmes politico-juridiques de nos États, le juge constitutionnel tient une place de plus en plus importante dans la régulation du fonctionnement des institutions et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Le juge constitutionnel est devenu le réceptacle des revendications de citoyens… La difficulté de sa tâche consiste à contrôler la loi au travers d’actes administratifs et décisions de justice selon les pays, avec tact et mesure, c’est-à-dire sans rigueur abusive, ni souplesse excessive…’’
Il s’agit, d’une part, de ‘’ne pas paralyser l’action des pouvoirs publics’’ et, d’autre part, ‘’permettre une jouissance effective par leurs bénéficiaires des droits qui leur sont reconnus par la Constitution’’.
Les hypothèses possibles ! À l’issue de l’arbitrage du Conseil constitutionnel, les Sénégalais seront certainement édifiés sur les listes qui pourraient compétir aux prochaines élections législatives. Trois scénarios principaux sont attendus. Dans le premier, le conseil revient sur les décisions prises par le ministre de l’Intérieur, en remettant dans le jeu les listes déclarées partiellement irrecevables (Yaw et BBY). Dans la deuxième hypothèse, le conseil pourrait valider l’arrêté ministériel portant publication des listes (les listes titulaires de Yaw et suppléantes de BBY sont exclues de la course). La troisième hypothèse serait d’exclure de la compétition aussi bien Yaw que BBY ou bien l’une sans l’autre. Il y a aussi une quatrième hypothèse qu’il ne faudrait peut-être pas totalement écartée. Que le conseil déclare toutes les listes irrecevables, pour n’avoir pas été déposées dans les délais, si l’on se fie au communiqué publié en son temps par la Cena, qui est l’organe chargé du contrôle du processus. Dans tous les cas, les décisions prises par les sages ne vont pas plaire à tous les acteurs, même si certaines risquent de produire des conséquences plus fâcheuses que d’autres. Une institution victime de son histoire Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel va être confronté à toute cette effervescence. Déjà, lors de la Présidentielle de 2019, le Conseil constitutionnel, malgré toutes les menaces qui pesaient, avait su aller jusqu’au bout de sa logique, en écartant de la course deux opposants majeurs comme Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade, pour ne citer qu’eux. Le chaos, à l’époque, souhaité par certains, n’a pas eu lieu. Les Sénégalais ont été contraints d’aller aux urnes avec seulement six listes. Aux Législatives de 2017, le contexte préélectoral a été nettement moins chargé pour le Conseil constitutionnel. La confusion était surtout centrée à l’époque autour des services du ministère de l’Intérieur, du fait de la non-délivrance des cartes d’électeur à beaucoup de Sénégalais. Auparavant, en 2016, les sages ont encore été la source d’une énorme polémique, en ‘’refusant’’ au président Macky Sall la possibilité de réduire son premier mandat de sept ans, même via un référendum. Malgré le tollé suscité, il faut noter que cela n’avait pas atteint le niveau de 2012, quand le pays s’embrasait du fait de la validation par le Conseil d’une troisième candidature de Abdoulaye Wade à la Présidentielle, alors que beaucoup estimaient qu’il n’y avait pas droit. Des remous qui avaient occasionné quelques pertes en vies humaines, dont les plus connus restent Mamadou Diop et le policier Fodé Ndiaye. L’histoire du Conseil constitutionnel est également marquée par les évènements de 1993, qui avaient abouti au meurtre d’un juge membre de la haute juridiction, en l’occurrence Maitre Babacar Sèye. A en croire le coordonnateur des non-alignés, Déthié Faye, il y a beaucoup de polémiques qui auraient pu être évitées. ‘’Souvent, indique-t-il, les politiques tentent de faire beaucoup de bruit, de jeter le discrédit sur les institutions pour cacher leurs propres carences et erreurs. Je pense que les citoyens ne devraient pas tomber dans le piège’’. |