Publié le 5 Aug 2025 - 17:23
CRISE POLITIQUE AU MALI  

Moussa Mara dans la tourmente, Soumaïla en mémoire

 

Le 1er août 2025, l’ancien Premier ministre malien, Moussa Mara, a été placé en détention préventive, à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, provoquant une inquiétude majeure dans le pays et au-delà. Cette arrestation, motivée par un simple message publié sur les réseaux sociaux, soulève des questions sur la liberté d’expression et la gestion de la transition politique sous la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta. Alors que les soutiens de Mara, dont l’ancienne Première ministre sénégalaise Aminata Touré, se mobilisent, beaucoup redoutent une répétition du drame vécu par Soumeylou Boubèye Maïga, mort en détention en 2022, après un refus d’évacuation médicale.

L’incarcération de Moussa Mara découle d’un message publié le 4 juillet 2025 sur les réseaux sociaux, où il exprimait son soutien à des détenus d’opinion, parmi lesquels Youssouf Bathily alias ‘’Ras Bath’’, Adama Diarra dit ‘’Ben le Cerveau’’, Issa Kaou Djim et Clément Dembélé. Ce message, jugé inoffensif par ses partisans, a été interprété par le procureur du Pôle national de lutte contre la cybercriminalité comme une ‘’atteinte au crédit de l’État’’, une ‘’opposition à l’autorité légitime’’, une ‘’incitation au trouble à l’ordre public’’ et une ‘’diffusion de fausses nouvelles susceptibles de troubler la paix publique’’, renseignent des sources de ‘’Jeune Afrique’’.

Cette arrestation intervient dans un contexte de restrictions croissantes des libertés au Mali. Depuis le coup d’État de 2020, suivi d’un second en 2021, la junte dirigée par Assimi Goïta a dissous les partis politiques, suspendu la Constitution et limité les espaces d’expression. La dissolution, le 13 mai 2025, de toutes les formations politiques, y compris le parti Yelema fondé par Mara, a exacerbé les tensions. Mara, ancien maire de la commune IV de Bamako, député et Premier ministre de 2014 à 2015, est une figure respectée pour son intégrité et son engagement républicain. Pour beaucoup d’observateurs, son incarcération est une tentative de museler une voix critique, mais non violente.

Le 4 août 2025, alors que Mara devait prendre le vol d’Ethiopian Airlines ET 908 pour participer à la conférence internationale Jakarta Futures Forum, il a été retenu à Bamako. ‘’Moussa Mara intervient dans ce type de conférences depuis près de 20 ans sur tous les continents’’, a rappelé son équipe de communication, dénonçant une arrestation arbitraire visant à l’empêcher de porter sa voix à l’international.

Une vague de solidarité sans précédent

Son arrestation a déclenché une mobilisation massive, tant au Mali qu’à l’étranger. Des figures politiques, des artistes, des militants de la société civile et des citoyens ordinaires se sont unis pour exiger sa libération. Parmi les premiers à réagir, les anciens membres du parti Yelema, dissous comme les autres formations politiques.

Hamidou Doumbia, un proche de Mara, a publié un message poignant : ‘’S’il faut aller en prison, j’irai. Que mon corps soit enfermé, mais que mon âme reste libre. S’il faut endurer la torture, elle fera mal à ma chair, mais Allah est celui qui guérit les cœurs. Aucun de ces périls ne m’ébranlera dans le devoir moral de rappeler aux Maliens qui est Moussa Mara : un homme droit, aimé et aujourd’hui incarcéré.’’ Pour Doumbia, Mara incarne une rare probité dans un paysage politique malien en crise.

D’autres voix se sont jointes au mouvement. Mohamed Chérif Coulibaly, ancien président de la jeunesse de l’Adema, a salué ‘’un homme de conviction, profondément attaché aux valeurs républicaines’’. Abdrahamane Diarra, ex-responsable communication de l’URD, a écrit : ‘’Au-delà des fonctions qu’il a occupées, je garde de lui l’image d’un homme engagé pour le Mali, fidèle à ses principes. Que la vérité éclaire les faits, que la justice suive son cours et que la dignité reste notre boussole.’’

L’artiste malien, Yeli Fuzzo, a également rendu hommage à Mara, louant son ‘’pragmatisme inspirant’’ et exprimant sa ‘’gratitude’’. Cette mobilisation dépasse les cercles politiques et artistiques, touchant des citoyens anonymes qui, dans un pays où la liberté d’expression est menacée, osent publiquement défendre Mara. Ce soutien populaire est d’autant plus remarquable que les critiques contre la junte sont souvent réprimées.

Le soutien international : Mimi Touré en première ligne

L’affaire Mara a franchi les frontières maliennes, attirant l’attention de personnalités internationales. Aminata Touré, ancienne Première ministre du Sénégal et membre du Club de Madrid, une organisation réunissant d’anciens chefs d’État et de gouvernement, s’est dite ‘’consternée’’ par l’arrestation. ‘’Moussa Mara est un homme de paix et de dialogue. Je prie ardemment pour sa libération’’, a-t-elle déclaré.

Dans la foulée, d’autres figures internationales, bien que moins visibles, auraient également exprimé leur inquiétude.

La peur du ‘’syndrome Soumaila Boubèye Maïga’’

L’arrestation de Moussa Mara ravive des souvenirs douloureux au Mali, notamment le cas de Soumeylou Boubèye Maïga, ancien Premier ministre sous Ibrahim Boubacar Keïta, décédé en détention en mars 2022. Maïga, arrêté en août 2021 pour des accusations de corruption liées à des contrats d’équipements militaires, souffrait de graves problèmes de santé. Malgré les appels répétés de sa famille, de ses avocats et de leaders régionaux, la junte a refusé son transfert à l’étranger pour des soins médicaux. Sa mort en prison a choqué l’opinion publique et suscité des accusations d’’’assassinat par négligence’’.

Le parallèle avec Mara est troublant. Comme Maïga, Mara est un homme politique de premier plan, connu pour son indépendance d’esprit et son engagement pour la démocratie. Les deux hommes ont été arrêtés dans des contextes de répression accrue sous la junte. La peur que l’histoire se répète est palpable, notamment parmi les soutiens de Mara, qui craignent que sa santé ou sa sécurité ne soit compromise en détention.

Le rôle de Macky Sall dans l’affaire Maïga

Le décès de Soumeylou Boubèye Maïga avait mobilisé plusieurs chefs d’État de la sous-région, dont l’ancien président sénégalais Macky Sall. Alors en fonction, Sall s’était personnellement impliqué pour tenter d’obtenir une évacuation médicale de Maïga. Selon des sources diplomatiques, il avait multiplié les échanges avec les autorités maliennes, plaidant pour une prise en charge à l’étranger. Ses efforts s’inscrivaient dans une démarche plus large, impliquant également Mohamed Bazoum (alors président du Niger), Roch Marc Christian Kaboré (ancien président du Burkina Faso) et Nana Akufo-Addo, président en exercice de la CEDEAO.

Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères et proche de Maïga, avait également tenté de convaincre les autorités maliennes. Malgré ces pressions, la junte était restée inflexible, refusant toute évacuation. La mort de Maïga avait alors été perçue comme un échec cuisant de la diplomatie régionale, renforçant les critiques contre la CEDEAO, accusée d’impuissance face à la junte.

Mohamed Bazoum, dans un tweet publié après le décès de Maïga, avait exprimé sa ‘’consternation’’ : ‘’Sa mort en prison rappelle celle du président Modibo Keita en 1977. Je pensais que de tels assassinats relevaient d’une autre ère. Mes condoléances à sa famille et ses amis.’’

Ces mots résonnent aujourd’hui alors que l’arrestation de Mara ravive les craintes d’un nouveau drame.

Un Mali sous tension

L’incarcération de Moussa Mara intervient dans un contexte de fragilité politique et sociale au Mali. La junte, au pouvoir depuis 2021, fait face à une insécurité persistante dans le nord et le centre du pays, où les groupes djihadistes et les tensions communautaires continuent de faire des ravages. Parallèlement, les restrictions des libertés fondamentales – dissolution des partis, censure des médias, arrestations arbitraires – alimentent le mécontentement.

Mara, en soutenant publiquement des détenus d’opinion, incarnait une forme de résistance pacifique à cette dérive autoritaire. Son arrestation pourrait être interprétée comme une tentative de la junte de décourager toute forme d’opposition, même symbolique. Pourtant, la vague de solidarité qu’elle a suscitée suggère que la société malienne, malgré la répression, reste attachée à certains principes.

Cette affaire Mara remet en cause aussi le système judiciaire malien sous la transition. Le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité, chargé de l’enquête, est accusé par certains observateurs de servir d’instrument de répression politique. Les chefs d’accusation retenus contre Mara – vagues et largement interprétables – rappellent ceux utilisés contre d’autres opposants, renforçant les soupçons d’une justice aux ordres.

L’arrestation de Moussa Mara marque un tournant dans la crise politique malienne. Elle pose la question de la légitimité de la junte, confrontée à une contestation crescendo, non seulement de la part des élites, mais aussi des citoyens ordinaires. Le spectre de Soumeylou Boubèye Maïga plane sur cette affaire, rappelant les conséquences tragiques d’une gestion autoritaire et inflexible. La junte d’Assimi Goïta saura-t-elle entendre les appels à la modération, ou persistera-t-elle dans une logique de répression ?

Amadou Camara Gueye

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