Publié le 1 Dec 2021 - 18:49
DÉCHAINEMENT VIOLENCES PÉRIODE ÉLECTORALE

Un mal chronique

 

La volonté des acteurs de la société civile, notamment le Cadre unitaire des imams, de faire signer à tous les acteurs politiques une charte de la non-violence, est au cœur de toutes les discussions. Pour beaucoup d’observateurs, cette initiative a pour but de conjurer le fléau de la violence qui a longtemps émaillé la vie politique sénégalaise. Une éruption de violences verbales et physiques qui vise à intimider ses adversaires politiques et à dominer le terrain politique, afin de s’assurer une victoire dans les urnes.

 

La violence a longtemps constitué une arme politique, pour la plupart des formations politiques au Sénégal. Les souvenirs de l’assassinat de Demba Diop en 1967, l’incendie de la maison de l’ex-maire de Rufisque, feu Mbaye Jacques Diop en 2000 et les affrontements meurtriers entre les militants du Pur et ceux de l’APR, lors de la Présidentielle de 2019 qui ont fait deux morts et des dizaines de blessés.

 Tout récemment, des échauffourées à Ziguinchor entre Ousmane Sonko (Pastef) et Doudou Ka (APR) démontrent la persistance de ce fléau. De nombreux autres faits de violence ont aussi jalonné toute l’histoire politique du Sénégal. Ce déchaînement de violences, en période électorale, a pour noms : attaques contre des caravanes, intimidations, menaces de mort, embuscades et saccages de permanences politiques.

Les violences de mars 2021 ont récemment fait 14 morts et des centaines de blessés. Des débordements qui ont eu comme toile de fond un différend purement politique (interpellation et incarcération de l’opposant Ousmane Sonko) ont traumatisé l’opinion publique sénégalaise.

A ces formes de violence physique, vient s’ajouter une violence verbale faite d'intimidations, de menaces et d’invectives. Un jeu auquel s’adonnent les différents acteurs politiques de l’opposition comme du pouvoir, dans le but de faire monter les enchères et de s’attirer les faveurs de l’opinion publique.   

La communication politique, qui se fait à travers des meetings, caravanes et autres rassemblements populaires, renforce les risques de violence politique. En effet, chaque parti éprouve la tentation d’occuper unilatéralement l’espace public pour faire passer ses messages et toute tentative de vouloir concurrencer cette offre politique dans ce même espace, est souvent considérée comme une agression déclenchant au passage des violences.

Le système clientéliste encourage l’embrigadement des jeunes et autres masses dans des opérations de violence, pour s’assurer un avantage sur le terrain, avec comme espoir de voir cette mainmise se traduire en vote dans les urnes. De ce fait, l’attaque de convois politiques, le saccage de maisons entre rivaux politiques, les meetings et les rassemblements dispersés dans la violence sont monnaie courante entre différentes factions rivales d’un même parti ou entre différents partis (opposition-pouvoir).

Ce fut le cas, la semaine dernière à Guédiawaye, lors de la cérémonie de remises d'attestation des jeunes de l'APR Guédiawaye sur les techniques de communication digitale en cette veille d'élections locales. Une bagarre rangée a éclaté entre les militants de Lat Diop et ceux du ministre de la jeunesse Néné Fatoumata Tall. Au menu, échanges de coups, insultes et jet de chaises. Les seconds nommés ne digèrent toujours pas que la ministre n’ait pas été investie tête de liste de BBY à Golf Sud au profit de Lat Diop.

La dernière convocation de Barthelemy Dias devant la Cour d’appel de Dakar, le 10 novembre dernier, avait laissé craindre une reprise de ces violences qui sont un moyen d’expression publique pour une faction, un parti ou une coalition politique désirant asseoir sa domination politique dans un endroit donné. Sa comparution ce 1er décembre devant la même Cour n’est pas pour arranger les choses. Le verdict sera attendu avec intérêt et appréhension.

L’initiative du Cudis diversement appréciée

Les échauffourées, lors de la convocation de Barthelemy Dias devant la 3e chambre de la Cour d’appel de Dakar, dans un contexte pré-électorale, ont motivé la sortie récente du Cadre unitaire de l’islam qui propose une charte sur la non-violence à tous les acteurs politiques.  Mais, visiblement, cette proposition ne convainc pas toute l’opposition. C’est le président du Pastef qui a été le premier à déchirer le texte. ‘’Je ne la signerai pas. Si tout le monde fait ce qu’il doit faire, si chaque partie des politiques fait son devoir, il n’y aura aucune scène de violence. Si quelqu’un vous égratigne, frappez-le. Si quelqu'un vous mord, arrachez-lui les dents’’, avait confié le leader du Pastef au public qui était venu assister à la cérémonie d’investiture des candidats de Yewwi Askan Wi de Dakar. Avant de remettre le couvercle quelques jours plus tard : ‘’Si ces imams sont animés de bonne foi, qu'ils aillent prendre la main de Macky Sall pour lui dire d'arrêter la violence. Autrement, qu'ils nous laissent régler le problème à notre manière", a-t-il déclaré la semaine dernière, face à la presse.

Des propos qui font écho à ceux du candidat de Yewwi Askan Wi pour la ville de Dakar, Barthelemy Dias, qui invite ses militants “à la résistance” face à l’oppression dont il se dit victime dans ce dossier politico-judiciaire qu’il qualifie de complot politique.

Mais, Cheikh Ahmed Tidiane Sy, Président du Cadre unitaire de l’islam, précise qu’il n’est que question d’équité et d’équilibre, pour amener toutes les parties prenantes à travailler pour pacifier l’espace politique. ‘’Notre rôle, c’est juste de proposer. Maintenant, c’est à eux, en tant que politiques, d’y mettre du contenu’’, déclare-t-il.

Cette posture ne semble pas convaincre Ass Babacar Guèye, chargé des élections de Rewmi, qui est plutôt sceptique sur l’efficacité de ce texte pour atténuer toutes les formes de violences physiques et verbales dans le jeu politique. D’après le responsable politique, la violence commence à s’enraciner et à devenir structurelle et permanente dans notre pays. ‘’Je pense que ça risque d’être un nouveau document de trop, au moment où les gens peinent à respecter le Code pénal et le Code électoral.  On note une montée de la violence verbale qui est le soubassement de la violence politique. Cette violence est amplifiée par les réseaux sociaux, avec une jeunesse à fleur de peau. Nous qui sommes membres des partis politiques, on a une lourde responsabilité liée à la formation et à la sensibilisation des militants aux différents enjeux démocratiques. Il faut restaurer l’école des partis, pour achever la formation démocratique de nos militants’’, affirme le candidat à mairie de Ngnith, dans le département de Dagana.

Il s’empresse de préciser avoir été victime de menaces et d’intimidations de la part d’un de ses adversaires politiques dans ladite commune. 

Mais, malgré cette opposition et ce scepticisme de certains acteurs, la rencontre, ce lundi, entre le Chef de l’Etat et le Cadre unitaire de l'Islam au Sénégal (Cudis) et la plateforme Jammi Rewmi pourrait faire évoluer les choses dans le bon sens. Lors de ladite rencontre, les deux entités déclarent avoir abordé la question des milices qui se sont illustrées, lors des événements de mars et de la tournée du Chef de l’Etat dans le nord, il y a quelques mois, à travers leur brutalité envers les populations. Toujours au sortir de l’audience, Serigne Cheikh Tidiane Sy et ses collaborateurs ont indiqué que le Président Macky Sall a répondu aux interpellations et salué leur initiative. Ils rapportent : « Le chef de l’Etat s'est engagé à l'appuyer pour qu'elle se traduise par un code de conduite ou une charte partagée par tous les acteurs. Il a promis que sa coalition la signera pour contribuer à cette dynamique contre la violence ».

La violence comme moyen d’intimidations politiques et d’accès aux privilèges de la République

Analysant la tension latente, les heurts notés, les craintes pour l’avenir proche, le journaliste Ibrahima Bakhoum indique que la rupture de confiance entre le pouvoir et l’opposition n’aide pas à enrayer ce phénomène de violence que connaît notre pays, avant et pendant chaque période électorale. Une situation qui peut constituer un frein pour les opposants qui veulent signer la charte contre la non-violence. 

‘’Aujourd’hui, des opposants parmi lesquels on peut citer Ousmane Sonko ne peuvent pas s’engager dans la signature de la charte de la non-violence, dans la mesure où ils se sentent un peu floués, lors des évènements de mars dernier. Quand ils ont appelé au calme les manifestants qui voulaient aller déloger Macky Sall de son palais, les membres de l’opposition avaient espéré en retour quelques concessions de la part de l’Etat pour mettre fin aux tensions politiques. Mais ils ont l’impression que l’Etat est resté sourd à leur demande’’, précise le journaliste.

Selon l’ancien directeur de publication de ‘’Sud Quotidien’’, cette violence doit être située dans un contexte de lutte pour accéder aux postes politico-administratives et plus généralement aux ressources de l’Etat.  D’après lui, la dernière sortie du président en France, quand il bravait ses opposants, ne facilite pas la décrispation et la baisse des tensions politiques dans notre pays. ‘’Nous sommes à l’approche de plusieurs scrutins (locales et législatifs) à enjeux multiples. Le chef d’Etat a bravé ses opposants, en indiquant qu’il était insensible à toute forme de pression politique, vexant au passage une partie de l’opposition. Quand on se bouscule pour accéder aux privilèges, il y aura forcément des actes de violence. Je pense qu’il nous faut faire une introspection personnelle, dans la mesure où on a un problème avec tout ce qui est lié au prestige et à la notoriété.  Nos politiques sont souvent tentés d’utiliser la politique comme ascenseur social. Quand un parti ou une coalition jouit du pouvoir, il veut le consolider à tout prix, en laissant peu de choix à ses adversaires qui vont employer tous les moyens pour le déloger, afin de goûter à leur tour aux privilèges’’, affirme l’analyste politique.  

La violence politique reflet d’une société violente et égocentrique

Pour le docteur en sociologie-anthropologie Cheikh Ibrahima Niang, la violence politique n’est que le reflet de la violence qui existe dans notre société. ‘’La société est violente et est traversée par des dynamiques de violence qui sont souvent amplifiées par les politiques. Si les politiciens se battent, ça risque de déteindre sur la société. Malheureusement, nos politiciens ne croient pas à des idéologies, mais uniquement à la conquête du pouvoir. La mise en avant des valeurs comme l’égoïsme, l'individualisme et les dynamiques de conquête du pouvoir favorisent à maintenir un climat de tensions politiques et de violence”, renseigne-t-il.

D'après l'enseignant-chercheur à l’Ucad, la seule solution pour juguler ce phénomène de violence dans l'arène est de promouvoir notre volonté commune de vivre dans une société apaisée et harmonieuse. “Toute la classe politique doit faire preuve de dépassement, de sacerdoce et d’empathie, pour mettre fin à ces explosions sporadiques de violence. Il nous faut promouvoir une culture de la paix et éviter toute forme de confrontation qui ne va pas nous maintenir que dans un cycle de violence perpétuelle’’, déclare-t-il. 

Sur la même lancée, Babacar Ba, Président du Forum du justiciable, en appelle à la responsabilité de tous les acteurs politiques et de la société civile, afin d'éviter toutes formes de crispation et de tension politique susceptibles de précipiter notre pays dans les ténèbres. ‘’La société civile, à travers ses diverses organisations et plateformes comme Jammi Reew Mi, est en train d’étudier comment, par différents voies et moyens, aller vers des élections apaisées. Personne n’a intérêt que le pays s’embrase, car si ça devenait le cas, personne ne serait épargné. Il appartient donc à chaque politique de faire l’apologie de la paix pour éviter toutes formes d’explosion de violence dans le pays’’, dit-il, avant de souligner que seul le respect des dispositions régissant un Etat de droit permettra de combattre efficacement la violence dans la politique sénégalaise.

‘’Nous disposons d’un certain nombre de lois, codes et textes qui régissent le bon fonctionnement de notre démocratie. Si tout le monde respecte ces dispositions, personne n’aura besoin d’une charte. Il s’agit juste d’une question de responsabilité des différentes parties, pouvoir et opposition, afin d’établir une relation de confiance susceptible de garantir une scène politique apaisée sans violence’’, conclut le droit-de-l’hommiste.

Makhfouz NGOM

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