Publié le 30 May 2012 - 13:24
DAK'ART

Ousseynou Wade, sécrétaire général, s'explique

 

Alors que la biennale de l'art contemporain africain de Dakar (Dak'art 2012) bat son plein, l'artiste Cheikhou Bâ a décidé de retirer son œuvre de l’exposition internationale. En outre, d'autres artistes critiquent la programmation de cette biennale qui sélectionne peu de Sénégalais notamment dans sa sélection officielle. Dans cet entretien avec EnQuête, le secrétaire général de la Biennale de Dakar, Ousseynou Wade, s'explique et recadre le débat.

 

 

Monsieur le Secrétaire général, voudriez-vous nous faire un bilan à mi-parcours de cette biennale ?

 

Vous aurez compris que la dixième édition de la biennale de l’art contemporain africain est ouverte par le chef de l’État le 11 mai. Au 23 mai (NDRL : l'entretien a été réalisé à ladite date), l’essentiel des vernissages du programme officiel est fait. Nous avons enregistré une participation importante d’amateurs et de professionnels venus d’Afrique. Je trouve que c’est important que de plus en plus d’amateurs et de professionnels africains viennent prendre part à la biennale de Dakar. Nous avons aussi enregistré une forte participation d’amateurs et de professionnels venus d’Europe du nord, nous avons même des artistes venus d’Argentine et du Brésil, d’Asie, de Chine et du Japon. Maintenant, ce qu’il faut tirer comme bilan de ces participations et de la couverture par la presse nationale et internationale, c’est que l’essentiel des activités prévues ont été réalisées. L’essentiel des intervenants qu’on souhaitait avoir pour les rencontres professionnelles a fait le déplacement. Qu’il s’agisse des professionnels proposés par le partenaire du centre Pompidou ou de professionnels proposés par des commissaires pour les rencontres d’échanges. Lesquelles ont enregistré en marge de ces deux cadres d’expressions, des communications du représentant de Casa Africa (NDLR : le département culturel de l’ambassade d’Espagne au Sénégal), du directeur du musée Malmö de Suède qui est venu avec un certain nombre de propositions de partenariat avec la biennale de Dakar. Il faut aussi retenir la réappropriation par les artistes d’abord, africains ensuite et enfin étrangers, de l’espace biennale à travers une pluralité de projets de manifestations d’environnement qui ont même dépassé le cadre de Dakar et de ses environs pour avoir un écho retentissant à Saint-Louis, avec plus de quarante sites d’expositions proposés par des artistes. Parmi eux, on en compte qui nous viennent de l’étranger, comme l’exposition ''Diam-Salam'' organisée sous la houlette de Joëlle Le Bussy avec la participation d’artistes marocains. Enfin, il faut se réjouir de la forte présence des établissements scolaires dans les différents sites d’expositions. C’est un motif de satisfaction de savoir que les arts visuels intéressent les écoles. L’inspecteur d’académie de la région de Dakar a véritablement joué son rôle en informant les écoles et en nous annonçant les volontés de participations d’un certain nombre de chefs d’établissements. Voilà un peu, dans l’état actuel des choses, ce qu'on peut tirer comme premier bilan, tandis que l’évaluation nous permettra d’aller dans les différents espaces et aspects de l’organisation de cette biennale.

 

 

Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?

 

Une manifestation qui a la prétention d’avoir une envergure internationale rencontre dans sa préparation et son organisation des difficultés. Dans la préparation, on lie objectivement les problèmes survenus à la période pendant laquelle s’organise cette biennale. Nous avons connu une longue période de pré-campagne électorale, puis de campagne électorale qui a été suivie d’une alternance avec un nouveau gouvernement, un nouveau ministre de la Culture et du Tourisme. Nous avons également rencontré quelques difficultés en matière de communication, de mobilisation de ressources liées à la situation globale du pays. Devant toutes ces difficultés, nous avons noté avec beaucoup de satisfactions l’attention des autorités et l’importance que ces dernières accordent à la biennale de Dakar. Quand on engage une opération de cette nature et qu’on sente les autorités fortement derrière, on ne peut qu’avoir confiance en soi, car par ce soutien, les autorités montrent qu'elles comprennent que l’événement de la biennale est d’abord un événement de l’État du Sénégal, même s’il s’adresse à toute la communauté artistique africaine. On ne peut qu’être rassuré. Vous aurez constaté que le ministre de la Culture et du Tourisme a été fortement présent aussi bien au niveau de la préparation qu’au niveau de l’exécution du projet biennale. Et avec lui, l’ensemble de son département. Globalement, c’est ce qu’on peut noter comme difficultés avec l’avantage qu’on a d’être en relation de confiance avec la communauté artistique dont une bonne composante s’est investie à fond pour dire, avec nous, qu’il faut que cette biennale réussisse. Nous avons vécu ça avec beaucoup d’artistes qui ont été associés directement ou qui nous ont rejoints de façon volontaire dans la préparation et dans l’organisation de la biennale de Dakar.

 

 

Des artistes sénégalais disent ne pas être concernés par les expos ''In'' que propose la biennale. Que leur répondez-vous ?

 

Nous avons, sur 42 artistes sélectionnés, pour une biennale qui s’adresse dans les mêmes termes à chaque artiste africain, sans parti pris aucun, 6 artistes sénégalais. Je pense que c’est une proportion assez importante. Allez demander à ces artistes qui disent ne pas se sentir concernés par le ''In'' s’ils sont dans le ''Off'' de la biennale. Parce que beaucoup d’artistes, aujourd’hui au Sénégal, ont pris conscience de l’importance qu’il y a à participer à cette biennale. J’en connais qui préparent la biennale de Dakar bien avant même que le secrétariat général ne se mette à préparer la prochaine édition. On a même vu des artistes qui sont sur 3 ou 4 sites différents, se disant : ''Véritablement, comme l’espace biennale est ouvert, je vais faire en sorte que les professionnels et les amateurs qui arrivent remarquent mon travail.'' Ils se disent que cela peut leur permettre d’avoir des contacts utiles qui peuvent déboucher sur d’autres projets. Je connais très peu d’artistes qui se disent : ''Écoutez, cette biennale ne m’intéresse pas, je croise les bras.'' J’en connais très peu. Il y en a certainement.

 

 

Ceux des artistes avec qui nous avons discuté participent aux ''Off''. Mais pour eux, il faut plus de Sénégalais dans la sélection officielle...

 

Le septième des artistes sélectionnés par le comité international est sénégalais. Je vous laisse juger de la proportion que le Sénégal a dans la sélection internationale. Je pense qu’il serait ridicule de dire que cette biennale est une biennale pour toute l’Afrique et de se retrouver avec la moitié des sélectionnés sénégalais. Je pense qu’il faut savoir raison garder dans l’appréciation qu’on a de la place du Sénégal. Premièrement, les artistes sénégalais ont l’avantage d’avoir cette biennale qui se passe chez eux. Donc, ils n’ont pas à se déplacer s’ils ne sont pas dans le ''In'' pour donner à voir ce qu’ils sont en train de faire. Deuxièmement, on peu comprendre que des artistes de notoriété estiment que ce n’est pas à eux de venir vers la biennale en leur présentant un dossier de candidature mais le contraire. Et ça, nous l’avons fait en choisissant deux artistes sénégalais que nous offrons en exemple à toute l’Afrique à travers des expositions hommage. Nous allons continuer cette démarche-là à travers des expositions hommage ou des expositions d’artistes invités. Qu’on ne pense pas, parce que la biennale est à Dakar, qu’il faut à chaque fois que plus de la moitié des artistes sélectionnés soient sénégalais. Cela n’aurait aucun sens.

 

 

Que pensez-vous du cas de l’artiste Cheikhou Bâ ? Son nom figure sur la liste des exposants du Musée Théodore Monod, mais on n’y trouve pas son œuvre. Il a préféré aller l’accrocher dans un hôtel de la place.

 

Écoutez, le cas Cheikhou Bâ est un cas douloureux pour moi parce que je connais très bien l’artiste. Sur le plan personnel, on a d’excellentes relations. L’œuvre de Cheikhou Bâ a été sélectionnée. Les personnes chargées de la scénographie de la biennale ont réussi à composer, sous la dictée de Cheikhou Bâ, le projet artistique qu’il voulait présenter. Pas assez d’électricité. Il se trouve que l’accrochage de l’œuvre posait quand même problème. A l’arrivée, ils ont choisi de monter l’œuvre avant de l’accrocher. C’est quand même plusieurs prises d’électricité qui ont composé l’œuvre. Je pense que l’espace que le scénographe avait prévu ne l’agréait pas. D’après ce qu’on m’a dit, puisqu’il ne s’est pas ouvert à moi avant de prendre sa décision, Cheikhou Bâ ne semblait pas être satisfait de l’espace qui lui était réservé. Alors, qu’est-ce qu’il s’est dit avec les scénographes, je ne saurais le dire. Toujours est-il qu’il a décidé de retirer son œuvre.

 

 

Dans les colonnes du journal EnQuête, la styliste et costumière Mame Faguèye Bâ a demandé aux organisateurs d’intégrer le stylisme dans leur programme. Qu'en pensez-vous ?

 

Vous savez, le domaine des arts visuels est un domaine extrêmement large. Nous avons le fashion design, par exemple, qui peut rentrer dans le domaine de la mode. Mais nous n’avons pas voulu, à côté des festivals qui s’organisent autour de la mode, créer un autre festival. Si les moyens le permettaient, on pourrait avoir chaque soir un défilé de mode d’un ou d’une styliste africains. Mais il faut faire avec les moyens que nous avons, et nos moyens ne sont pas extensibles et nous permettent à peine de répondre au sujet sur lequel nous sommes immédiatement et directement comptables. C’est pourquoi nous sommes obligés de faire des choix. Entre maintenant nos possibilités et nos rêves, il faut garder un certain réalisme. Nous tenons compte de l’ensemble des revendications, mais nous nous disons que même si elles sont légitimes, il faut toujours garder les pieds sur terre.

 

BIGUÉ BOB

 

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