Publié le 21 Nov 2017 - 16:53
DIALOGUE ET MARCHÉS PUBLICS

Passe d’armes entre l’Etat et le patronat

 

Le dialogue s’est appauvrit, entre le gouvernement et le privé national. Il s’y ajoute que ce dernier est victime d’ostracisme de la part de l’Administration. Les propos sont de Mansour Kama. Une affirmation à laquelle le chef de l’Etat a apporté une réplique, non sans rassurer sur la prise en compte des doléances.

 

Le Conseil présidentiel de l’investissement, qui s’est tenu hier à Diamniadio, a eu une dimension particulière. Censé être un espace de dialogue entre le président de la République et le secteur privé, la rencontre a ressemblé plus à une journée de vérité entre partenaires. Le moins que l’on puisse dire est que le patronat a clairement mis les pieds dans le plat. ‘’Le secteur privé demande à se faire entendre pour une meilleure implication des privés nationaux dans les marchés publics et les grands projets’’, déclare, d’emblée, Mansour Kama, le porte-parole du jour.

En fait, sa préoccupation et celle de ses pairs se résume pour l’essentiel en deux points : le dialogue et la commande de l’Etat. Le privé est insatisfait de l’irrégularité des contacts avec les tenants du pouvoir. Les employeurs estiment qu’il n’y a pas assez d’échanges entre les deux parties. ‘’Notre dialogue s’est beaucoup appauvrit, sans que nous sachions pourquoi. Le secteur privé estime que vous ne dialoguez pas suffisamment avec lui’’, ajoute M. Kama. Dans un contexte de dialogue politique, le patronat a fait remarquer au chef de l’Etat que s’asseoir autour de la table avec le secteur productif est tout aussi important que de s’asseoir autour d’une table avec les acteurs politiques. Ainsi, lui et ses pairs demandent une réorganisation de l’agenda pour des rencontres plus rapprochées.

Mais, le président Macky Sall s’est dit ‘’surpris’’ de la déclaration de M. Kama. Il dit avoir demandé au gouvernement, en particulier aux ministres en charge de l’Economie, de l’Intérieur et de la Promotion des investissements, d’organiser des rencontres avec le secteur privé. Et Macky Sall de demander au gouvernement d’apporter des réponses à ces interpellations. Ce faisant, le ministre de l’Economie a nié toute rupture de dialogue avec le privé. Amadou Ba affirme que son département a eu plusieurs rencontres avec le patronat dont deux auxquelles il a pris part, sans compter les nombreuses visites du ministre Khoudia Mbaye auprès des employeurs.

Pour tempérer, le président a pris la parole pour dire que sa porte est ouverte et que le dialogue peut être multiforme. Il a aussi demandé au gouvernement d’être ouvert et d’engager le dialogue en permanence et, surtout, de ne pas attendre qu’il y ait problème pour le faire.  Il a d’ailleurs instruit le ministre de l’Economie de tenir des rencontres trimestrielles avec le patronat. Au Premier ministre, il revient de présider des séances semestrielles. Pour sa part, Macky Sall s’est engagé à avoir deux rencontres avec le secteur privé, en 2018, en dépit d’un ‘’agenda politique’’ chargé, du fait de l’élection présidentielle de 2019.

 ‘’Le privé est victime d’ostracisme de la part de votre Administration’’

L’autre point qui concerne les marchés publics divise également les partenaires. Le secteur privé a l’impression d’avoir en face de lui un gouvernement qui ne veut pas lui accorder la considération qu’il mérite. Mansour Kama a rappelé au chef de l’Etat les instructions qu’il avait données en 2014 et qui les avaient beaucoup rassurés quant au fait que leur appel a été attendu. Mais quelques années après, et ‘’malgré les rappels successifs’’, les lignes n’ont pas bougé. D’où leur frustration. ‘’Le privé est victime d’ostracisme de la part de votre Administration’’, a lancé Mansour Kama. Qui s’appuie sur l’attribution des marchés du Train express régional (Ter) et de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd) pour étayer ses propos.

Le patronat de préciser que la préférence nationale ne signifie pas, pour lui, l’exclusion des étrangers, mais plus de place pour les nationaux. Ce qui n’est pas encore le cas, disent-il. Car, le sentiment le mieux partagé, aujourd’hui, chez les chefs d’entreprises, c’est plutôt une exclusion à domicile. Les mots de Mansour Kama ne laissent aucune place au doute. ‘’Le secteur privé ne sera pas la victime consentante d’une éviction de notre propre marché intérieur, au moment où, dans la plupart des pays, on revient à la préférence nationale et au protectionnisme’’, prévient-il. Pour illustrer ses propos, M. Kama prend l’exemple d’une entreprise installée à Thiès et spécialisée dans la construction des monoblocs. Selon lui, malgré la fabrication de traverses en béton au Sénégal, des entreprises, dans le Ter, importe des blocs de la Turquie et du Portugal. Et au total, révèle-t-il, ce sera 60 000 tonnes de béton, 2 180 containeurs qui seront ainsi importés. ‘’Cela nous pose problème’’, s’exclame-t-il. 

Assurances et répliques

Son point de vue n’est pas nécessairement partagé par le chef de l’Etat qui pense que le privé n’est pas du tout exclu. ‘’Du moins, si j’en crois les rapports qui me sont remis par le ministère de l’Economie et des Finances’’, ajoute-t-il. Macky Sall fait remarquer que des entreprises sénégalaises travaillent dans le Ter, non pas en sous-traitance, mais en co-contraction avec des étrangers. ‘’Sur le Ter, je pense que les entreprises sénégalaises sont impliquées. En tous cas, sur le lot 1 (génie civil) qui est le plus important, la construction des rails, la construction des gares également, le lot 5 ou 6’’, énumèrent-il. Sur le lot système, Macky Sall dit ne pas connaitre d’entreprise sénégalaise performante. Et si elle existe, le gouvernement est prêt à l’accompagner. Cependant, il a tenu à préciser que le pays ne peut pas se contenter de promotion nationale, car, il a aussi des partenaires et du financement extérieur.

Sur le cas de la société basée à Thiès, même désaccord. Macky Sall souligne qu’il n’est pas question de changer d’option, parce qu’il y a un nouveau de dernière minute. ‘’On ne peut pas attendre que tout soit mis en œuvre pour dire qu’on a maintenant une entreprise qui sait faire du monobloc. On a un agenda, un timing. On a des délais d’exécution qu’on ne peut pas changer en cours de route. On ne saurait arrêter un processus pour lequel d’ailleurs nous mettons une pression inouïe sur les entreprises étrangères’’, réplique-t-il.

Toutefois, ajoute-t-il, s’il y a un nouveau venu dans ce domaine, il y aura de la matière, puisque l’Etat travaille sur le chemin de fer Dakar - Tamba. Il y a aussi la poursuite du Ter jusqu’à l’Aibd. Autant de possibilités dans l’avenir.

Les chiffres du PM

Après lui, le Premier ministre a tenté d’apporter une réponse chiffrée de la part du privé dans la commande publique. Selon Mohammed Dionne, le chef de l’Etat a subventionné à hauteur de 60% le matériel agricole. Dans le cadre du Pudc, ajoute-t-il, 113 milliards d’investissements ont été réalisés par des entreprises nationales. De 2012 à 2016, 1 295 km de linéaires ont été faits pour un montant de 643 milliards exécutés par les champions sénégalais, sans compter les 12 ponts. ‘’Tout cela, c’est de la commande publique. Il y a un problème de perception, mais les projets sont en partie exécutés par le privé national’’, soutient-il.

Dans un ton plus polémique, le ministre de l’Economie Amadou Ba affirme : ‘’Dire que les entreprises ne gagnent pas de marchés ne correspond pas à la réalité économique et financière du Sénégal.’’ D’après lui, le problème, avec le secteur privé, c’est la divergence sur la fiscalité et la définition de ce qu’est le privé national. Selon Amadou Ba, le Sénégal est membre de l’Uemoa, il est ouvert aux autres pays de l’espace. Dans sa perception, une entreprise sénégalaise n’est pas forcément une entité détenue majoritairement par un Sénégalais. Ça va au-delà des frontières et la question est non négociable, à son niveau.

Moins catégorique que son ministre, le président Macky Sall a voulu rassurer. Il a affirmé que les doléances du patronat sont bien enregistrées et seront prises en compte. ‘’Ce que je retiens surtout, c’est l’aspiration légitime du secteur privé à participer au Plan Sénégal émergent’’, conclut-il dans son message de clôture.   

BABACAR WILLANE

 

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