Publié le 23 Jan 2019 - 23:23
DISCOURS VA T-EN GUERRE, MENACES, ARRESTATIONS DE JEUNES OPPOSANTS

Un cocktail explosif 

 

Comme en 2012, la psychose gagne de plus en plus certains Sénégalais. L’opposition comme le pouvoir promettent d’en découdre.

 

Depuis quelque temps, la violence monte d’un cran dans l’arène politique. Du côté de l’opposition comme du côté du pouvoir, l’on joue à se faire peur. Œil pour œil, dent pour dent semble dire le ministre du Tourisme. Dans Source A, hier, Mame Mbaye Niang  est allé plus loin en annonçant que la mouvance présidentielle serait prête à en découdre et aurait même déjà recruté de gros bras. ‘’Je ne parle pas des forces de défense et de sécurité qui ne sont pas sous la dictée de Benno Bokk Yaakaar. Je fais allusion plutôt aux bras valides que la mouvance a recrutés, comme l’a fait l’opposition. On ne s’en cache pas. Personnellement, j’ai recruté des éléments qui n’attaqueront personne en premier, mais qui sont enclins à appliquer la loi du talion à tous les esprits bornés qui songeront à vouloir empêcher notre candidat de vaquer à ses occupations’’, a soutenu le responsable apériste.

Ainsi, Mame Mbaye Niang et Cie promettent l’enfer à leurs adversaires. Il faut le dire, cette réaction du ministre fait suite à la conférence du C25 dans laquelle, ils ont promis de saboter la campagne du Président Macky Sall. Depuis lors, c’est le branle-bas de combat. Les attaques fusant de partout. Le pugilat, devenant pour beaucoup, inéluctable. Du côté de l’opposition, on ne rate plus une occasion pour faire des déclarations incendiaires, s’en prendre vigoureusement au régime en place. Même si ces déclarations font souvent pschitt... La dernière en date est celle faite au siège de Bokk Gis Gis, lors d’une de leur innombrable rencontre. Malick Gakou et ses camarades affirment : ‘’Le Président de la République, dans sa volonté fortement exprimée d’avoir un second mandat, ne laisse aucun choix au C25, aux forces vives de la nation et au peuple sénégalais. Nous n’avons pas d’autre choix que de le trouver sur ce terrain de la confrontation pour défendre les intérêts du pays’’.

Ainsi, la situation s’avère explosive en cette veille de l’élection présidentielle de 2019. Comme en 2012, les acteurs bandent les muscles et se disent prêts au combat. Ce qui n’augure rien de bon pour nombre d’observateurs qui craignent l’escalade. Et c’est peut-être pour cela, que l’Etat, conscient du péril qui guette, est en train de réfléchir sur la meilleure stratégie à mettre en place pour déjouer le plan de l’opposition qui jure de mener la vie difficile au camp du pouvoir. Dans ce cadre, Aly Ngouille Ndiaye informait, hier, d’une réunion tenue entre lui et 4 de ses prédécesseurs à la Place Washington. Ce qui n’est sans doute pas étranger avec cette situation tendue que traverse le pays. Mais l’actuel ministre de l’intérieur  n’a certainement pas attendu cette rencontre pour ourdir son plan contre ce que certains considèrent comme l’axe du mal : Parti de l’opposition-ONG-Mouvement de jeunesse particulièrement Y en a marre. Certains estiment, en effet, que c’est pour museler le mouvement Y en a marre que l’Etat s’en est pris à certains de ses bailleurs dont Enda Lead. Pour couper les vivres à Ousmane Sonko, le même scénario est enclenché contre Oxfam. Reste à savoir si le démembrement de l’ONG britannique connaitra le même sort qu’Enda Lead.

Arrestations tous azimuts

Dans tous les cas, ces organisations, se sachant surveillées, épiées par le régime, comme du lait sur le feu, prendront toutes les précautions avant de financer qui que ce soit. Comme certains ont eu à le faire en 2012.

En sus de tous ces actes, des arrestations tous azimuts se font, selon le Front de résistance nationale qui regroupe les différents partis de l’opposition. ‘’Le FRN exprime sa solidarité et son soutien aux victimes de ces violences physiques ou morales. La résistance s’élargira et s’intensifiera jusqu’à la victoire finale contre les apprentis dictateurs’’. C’était dans un communiqué publié vendredi dernier. Pour Babacar Thioye Ba, Macky Sall veut transposer sa peur par la terreur et l’intimidation. ‘’Il peut dire ce qu’il veut ou faire ce qu’il veut, mais il ne nous empêchera pas de dire et de faire ce que nous voulons. Nous considérons que nous sommes dans l’exercice de nos droits, dans l’exercice des libertés publiques. Il ne peut pas accéder au pouvoir par la démocratie et penser qu’après lui la porte de la démocratie va se refermer. Il se trompe’’.

Sur la sortie de Mame Mbaye Niang, le bras droit de Khalifa Sall ne semble nullement surpris. Il dit : ‘’Ce sont  des hommes qui ont peur. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu Mame Mbaye Niang pour le dire. Nous savions déjà qu’ils ont recruté des nervis pour exercer la violence sur les citoyens. Macky Sall prend ainsi la responsabilité d’installer la violence en créant une milice parallèle. La sécurité publique incombe à la police. Si le parti au pouvoir recrute des nervis, c’est parce qu’ils veulent la confrontation. Et puisqu’ils veulent la confrontation, ils l’auront. Il suffit de quelques milliers de francs pour recruter des gros bras comme eux. Qui feront face à leur gros bras. Et les conséquences seront de la responsabilité exclusive de Macky Sall’’.

Thioye Ba n’a pas non plus oublié les membres de l’opposition emprisonnés. Selon lui, ‘’Ce sont des arrestations arbitraires. ‘’Si Macky Sall peut se permettre de telles pratiques c’est qu’il est assuré de pouvoir bénéficier de l’impunité la plus absolue de la part de magistrats complices’’, lâche-t-il.

Bien que certains prennent ces multiples sorties de l’opposition comme des enfantillages, le camp du pouvoir, lui, semble le prendre très au sérieux. Déjà dans son édition du 3 décembre 2018, EnQuête attirait l’attention sur le nombre effrayant de gros bras mobilisés par la majorité pour assurer sa sécurité. C’était lors de la cérémonie d’investiture de son candidat. Alors qu’on avait fini de les perdre de vue, les Marrons du feu sont reparus, toujours avec la même hargne, la même détermination. Ils étaient plus d’une centaine de gros gaillards, forçant le respect de par leur masse musculaire très impressionnante, leurs visages fermés et peu conciliants. Macky Sall d’ailleurs ne manquait pas de les citer en rendant hommage à sa jeunesse. ‘’Hier, c’était encore vous, avec les Marrons du feu, avec les Unités de vigilance opérationnelle (Uvo). Vous êtes les sentinelles de la démocratie.’’ Ce qui avait mis du baume au cœur de certains d’entre eux. L’un d’eux ne s’en cachait pas. Il avoue : ‘’Cela fait du bien d’être cité par le chef de l’Etat. Notre compagnonnage ne date pas d’aujourd’hui. Moi, j’ai été recruté en 2017.’’ Il confiait à EnQuête qu’ils percevraient à chaque manifestation entre 20 000 et 25 000 F CFA.

Ce qui pose la lancinante question de la cohabitation entre les Forces de défense et de sécurité avec des corps étrangers dans la sécurité du président de la République. Hier encore, pour l'inauguration de la route Joal-Samba Dia,  ce sont les gros bras qui ont fait régner l'ordre alors que la maréchaussée était présente.  Ils ont été de deux catégories.  Les marron-beige et les tenues sombres avec l'écusson de la présidence sur le dos et les épaulettes.  Ces derniers étaient convoyés dans les imposants véhicules 4×4 du cortège alors que les premiers étaient à bord d'un bus de transport Dakar Dem Dikk.  Mieux ou pis, ils sont non seulement le premier cordon sécuritaire,  proche du véhicule présidentiel,  mais semblent travailler  main dans la main avec les Fds.

Les menaces du président Sall

Comme pour ne rien arranger, le Président de la République s’invite dans le débat, non pour appeler à l’apaisement et au dialogue, mais pour des mises en garde.

Au discours belliqueux, jamais suivi d’effets de l’opposition, des réponses incendiaires sont parfois servies par des personnalités de premier rang du régime. Si ce n’est le président de la République lui-même qui monte au front pour mettre en garde ses adversaires. C’était le cas  vendredi dernier, jour d’inauguration de la Mosquée de Guédiawaye.  Macky Sall, dans une de ses envolées, déclarait : ‘’Ce qui est inadmissible, c’est de croire qu’on peut bloquer ce pays. Ça, ce n’est pas possible. Le pays va continuer de fonctionner. Et que personne, personne, personne… ne croie qu’il peut arriver, à travers des manœuvres subversives, à semer la pagaille dans ce pays en apeurant les Sénégalais’’.

Quelques jours seulement auparavant, Macky Sall toujours, devant un parterre de magistrats, s’érigeait en bouclier. Pour la défense de ses ‘’poulains’’, le président du Conseil supérieur de la magistrature disait : ‘’Je voudrais dire solennellement que l’Etat prendra toutes les mesures qu’impose la situation pour la défense des magistrats de tous les ordres car hélas notre pays a connu des épisodes douloureux. L’Etat n’attendra pas que de telles situations se passent à̀ nouveau pour réagir. Force restera à la loi’’. Pour le Président Sall, la justice étant fondamentale, il est hors de question de laisser certaines accusations qu’il juge fallacieuses prospérer. ‘’Je vous réitère, dit-il aux juges et procureurs, mon engagement à̀ garantir l’Etat de droit à̀ travers la mise en place d’un système juridique et judiciaire moderne et efficace qui offre à̀ chaque citoyen l’exercice effectif de ses droits. L’œuvre de justice est une tâche délicate mais fondamentale de l’Etat (…) Vous y consacrez toute votre énergie en dépit des accusations fallacieuses perpétuelles et des menaces quasi quotidiennes’’.

Macky Sall promet le bâton aux détracteurs de la justice. Ses adversaires remontent le temps pour sortir une déclaration dans laquelle, il critiquait gravement la décision du Conseil constitutionnel. C’est quand les sept sages validaient la troisième candidature d’Abdoulaye Wade en 2012. Il disait : ‘’Ce qui sent dans ce pays n’augure rien de bon. Tous les Sénégalais savaient que le Président Wade, depuis quelques mois, fait des manœuvres en tous genres… Il a augmenté les salaires des membres du Conseil, il a donné des terrains, il a tout fait pour qu’on valide sa candidature. C'est la Constitution du Sénégal qui lui dénie le droit de participer. Kou wakhoul wakhi naafekh, kham nané le Président Wade n’a pas le droit de se présenter’’. Mieux, le leader de l’Alliance pour la République ajoutait que si le Conseil constitutionnel qui est le juge de l’élection estime le contraire, eux, ils le récuseraient. ‘’Non seulement, nous récusons mais nous ferons tout pour nous y opposer, ajoutait-il ; avant d’enchainer : ‘’Nous  constatons également que le chef de l’Etat (Me Wade) veut opposer la force au peuple. Dès que le Conseil s’est prononcé, on a vu des bandits, dont certains portaient des tenues, jeter des pierres et semer la pagaille. Au même moment, la police a jeté de l’eau chaude pour disperser la foule, la violenter et la blesser. Ce qu’il veut c’est confisquer la voix du peuple et on ne l’acceptera pas’’. Macky Sall accusait également la police avant d’appeler à la résistance populaire.

Aujourd’hui, la situation est presque inchangée. Le débat, identique, articulé autour de l’indépendance de la Justice, particulièrement de la neutralité du juge des élections. Dans ce procès des magistrats, seules les parties, les acteurs politiques, ont changé de rôle. L’accusateur d’hier prenant la place de l’accusé, qui, cette fois, s’érige en victime.

Les mises en garde de la société civile

A quelques semaines de la présidentielle, c’est la psychose. Pour Alioune Tine, plusieurs représentations diplomatiques seraient sur le qui-vive. L’avenir du Sénégal, à l’en croire, préoccupe nombre d’entre eux. Président de LEGS (leadership, éthique, gouvernance et stratégie) par ailleurs responsable du programme Bonne gouvernance d’Oxfam au Sénégal, Elimane Haby Kane, lui, fait toujours confiance au génie sénégalais pour éviter que le pays ne sombre dans les abîmes. ‘’Nous avons déjà connu des moments très difficiles dans ce pays. Les Sénégalais sont capables de se tirer d'affaires sans sombrer dans le chaos. J'ai donc confiance en cette capacité du peuple à s'élever au-dessus de la classe politique égoïste’’, prêche-t-il. Pour lui, les Sénégalais ne sont plus enclins à se sacrifier pour élire des hommes politiques versatiles et aux démarches tortueuses qui changent de discours en fonction de leur posture.

Monsieur Kane appelle ainsi les uns et les autres à la responsabilité et au sens de la République. Il déclare : ‘’Nous devons sauvegarder le bien collectif à savoir notre commun vouloir de vivre ensemble, éviter que des intérêts particuliers liés aux enjeux électoraux ne mettent en péril la stabilité du pays. Quelle que soit la situation et les soupçons de partialité, les acteurs politiques doivent respecter le droit qui est dit par les institutions compétentes. Il faut maintenant laisser au peuple l'ultime responsabilité d'arbitrer leurs différends’’. Pour terminer, le responsable d’Oxfam invite l’Etat ainsi que la Cena à veiller à l’organisation d’un scrutin présidentiel crédible.

MOR AMAR

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