''Une télé doit favoriser le progrés''
Dans cet entretien réalisé par internet à partir de Dakar, la patronne d'Africa7, sans occulter les difficultés rencontrées en cours de route, est en train de repositionner la chaîne télé née en octobre 2011. Et révèle au passage que, paradoxalement, les bénéfices commencent à être au rendez-vous après le virage éditorial imposé par les réalités locales.
Le 1er mai, le président de la République a promis de faire le nettoyage dans une certaine frange des chaînes télés. Vous sentez-vous menacée d'autant plus que c'est sous l'ancien régime que vous avez obtenu une fréquence pour Africa7 ?
Je ne me sens pas menacée par les propos du Président car j'ai cru comprendre qu'il parle des 100 licences de Tv dans la nature pour des desseins politiques et qui n'ont encore rien exploité. D'autre part, j'appelle de tous mes vœux une décision qui exige des Tv un tant soit peu de programmes éducatifs et utiles au peuple. Parce que le ramdam, tout le monde sait faire, moi aussi je sais faire mais je ne suis pas allée au plus facile. On ne m'a pas donné une fréquence de Tv pour faire reculer le peuple ou pour m'inscrire dans des programmes rétrogrades qui n'apportent rien à notre jeunesse. Notre peuple a besoin d'éducation, de conscientisation, pas de modèles folkloriques. Moi je ne sais pas faire sur ce terrain-là. Je suis fille d'enseignant, intellectuelle et je ne sais même pas comment on fait certaines choses. Une télé doit favoriser le progrès sinon elle n'en vaut pas la peine.
Mais justement, quelle est la situation actuelle d'Africa7 en grande zone de turbulence depuis plusieurs mois ?
Qu’on s’entende bien ! Africa7 la chaîne n’est pas en zone de turbulence, elle avance même si elle a revu son allure pour l’accorder au tempo local. Certains employés sont en turbulence disons ! Ceux-ci ont décidé de créer ces zones de turbulence artificielles je ne sais à quel dessein. Me semble-t-il, quand on se marie, c’est pour le meilleur et pour le pire. Lorsque le régime du Président Wade est tombé, le tsunami a failli nous emporter ; il s’est créé une débandade dans mon groupe car certains ont cru que la chaîne lui appartenait. Tous les agents, que dis-je, les chasseurs de primes, se sont affolés et ont chamboulé tout le système du mastodonte qui, du reste, n’était qu’une start-up. Je rappelle que la chaîne s’est lancée en octobre 2011, soit six mois avant le changement de régime. Mais, manque de chance, notre bailleur qui me savait proche du Président Wade a commencé à nous signifier dès le mois d'avril 2012 qu’il fallait qu’on débarrasse les locaux. Pour un bail commercial payable de manière trimestrielle, je n’ai pas compris l’empressement de M. Karim Bourgi, propriétaire de Héliopolis, à nous mettre dehors au vu des 100 millions investis dans sa pétaudière. Pour seulement un trimestre de retard ! Je m’en suis offusquée auprès du Président Wade en avril de l'année dernière quand il habitait chez Me Madické Niang. Il a diligenté M. Samuel Sarr auprès de M. Bourgi, et ce dernier n’a trouvé d’autres raisons que de dire que ce n’était pas sa décision mais celle de Karim Wade ! Je suis tombée des nues et ai déménagé de suite ! Pour revenir à votre question, une entreprise est faite d’hommes. Si les hommes ne font pas leur entreprise, on arrive à ce genre de situation. Il nous faut avancer avec d’autres hommes car l’entreprise va vivre et à tout prix.
Vous avez démarré avec combien d'agents ? Et l'effectif s'est-il plus ou moins stabilisé aujourd'hui ?
La chaîne s’est lancée avec plus de 16 nationalités et 65 personnes dont une quinzaine de journalistes. Et surtout une dizaine d’Européens. Les gens se sont bouffés en interne comme des poissons et ont vite fait la peau aux Blancs qui ont très vite jeté l’éponge. Ceci aurait dû m’alerter. La seule erreur que j’ai commise, c’est que dans mon monde où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, je ne me suis pas rendue compte de suite de la vraie culture sénégalaise que j’avoue avoir méconnue jusqu’ici. Personne ne fait de cadeau à personne et surtout la culture d’entreprise n’existe pas. L’entreprise peut crever mais soi d’abord ! Je le comprends aujourd’hui avec le recul et ma meilleure connaissance de l’environnement socioculturel. Je suis devenue plus dure et plus ferme et surtout moins manipulable. J’ai payé à des gens des salaires pas possibles six mois avant le démarrage des activités de la télé, le cœur sur la main, prête à tout donner. Vous savez, il est très dur pour une entreprise de réussir dans ce pays car justement la culture d’entreprise y est déficiente. Travailler pour la réussite de son entreprise est une mission hautement moins intéressante que de la dénigrer.
Aujourd’hui, Africa7 est stabilisée et surtout ne fait plus de pertes. Nous avons cessé de perdre de l’argent et nous en gagnons même désormais. Avec un effectif de 15 personnes, des jeunes investis et pétris de l’esprit de la chaîne, on reconstruit avec des bases solides en attendant de rappeler les gens restés forts. J’espère retrouver très vite les figures de la chaîne comme Rokhaya Kébé, Sara Cissé, Fatimétou Sow Deyna, Thomas Ayissi, Alexis Tangana et nos techniciens exceptionnels… qui ont traversé le désert avec dignité et qui font l’esprit de la chaîne. A ceux-là, je veux tout donner.
Au fond, qu'est-ce qui est à l'origine des difficultés financières d'Africa7 ?
Africa7 est une pompe à fric qui n’en génère pas. Je l’appelle la poule qui bouffe sans cesse et ne pond jamais ! Plus sérieusement, au bout de six mois, j’ai compris que le marché, désinformé comme la plupart des Sénégalais, n’avait pas envie de mettre un sou de publicité sur la chaîne. Et puis disons-le, certaines régies pour travailler avec elles, il faut graisser leurs pattes. Pour quelqu’un qui vient de l’étranger, c’est incompréhensible ! Et comme je refuse les pubs de bouillons, de laits qui viennent de je ne sais où et peuvent empoisonner nos enfants, les programmes de lutte que je réfute, et plein de choses que je ne veux voir à l’antenne, la marge était devenue très réduite… Donc il me fallait tout payer ! Cela ne me dérange pas de payer si j’entrevois l’horizon de la fin. A un moment donné, je me suis rendue compte que je pouvais encore payer dix ans sans retour, que cela ne dérangeait personne. J’ai plié le parasol simplement !
Les travailleurs en mouvement ont critiqué l'orientation de la chaîne avec ce slogan : ''Plus jamais une chaîne comme Africa7 au Sénégal''. Reconnaissez que vous vous êtes trompée avec un concept pas très en phase avec les réalités sénégalaises !
Attention ! Chez Africa7, il y a les bons, les bruts, les méchants et surtout les voleurs. Et ils sont surtout très bruyants. Parmi les gens qui écorchent leurs semelles sur les pavés, il y en a qui devraient répondre de leurs actes devant la justice. L’un des plus dynamiques du groupe tenait une émission économique et a détourné plus de dix millions de francs Cfa de la chaîne en trompant les sponsors et en encaissant directement les fonds sur son propre compte. D’autres ont volé des ordinateurs et les plus chiches, des barrettes de mémoires directement détachées des pauvres ordinateurs Mac. Je ne vous parle pas des micro-cravates que les gens cachaient au fond de leurs bouches. On avait la sécurité à chaque étage. Je n’ai jamais vu autant de larcins ! Et puis, ce n’est pas une critique, en six mois, j’ai connu pas moins de quinze naissances d’enfants. Tous des enfants Africa7. Ça laisse peu de temps pour se concentrer sur son travail. Si j’en dis davantage, ils vont croire que je veux les accabler, mais le pompon, c’est le nombre de véhicules violentés par des conducteurs avec de faux permis… Plus jamais ça ? C’est moi qui devrais le dire. Mais je dis tout simplement, Africa7, autrement.
Oui, mais le concept de départ ?
''Plus jamais ça'' est un mauvais concept, je travaille dans la communication et il me faut peu de temps pour retourner ce slogan contre leurs concepteurs. Une entreprise est une affaire humaine ; les gens travaillent, la font avancer et ne cherchent pas à la tuer. Les gens ne réclament pas de salaires dans leur communication. Ils se battent pour la mort de la chaîne, c’est ''après moi le déluge''. Et ces jeunes qui y travaillent aujourd’hui ? On veut me faire croire que ceux qui ne sont plus là valent mieux qu’eux ? C’est des inepties ! Ils veulent pourtant la mort d’une entreprise privée, mais tant que je serai vivante, elle ne mourra pas Inch'Allah. Elle a décéléré et s’est allégée pour se mettre en roue libre ! Voilà le topo ! La seule chose qui me ravit, c’est de voir qu’on peut encore tirer quelque chose de ces personnes. Car je compte sur certains d’entre eux, surtout les techniciens, qui ont dormi jour et nuit dans les studios et sont aujourd’hui manipulés par des desperados dont on n’a plus besoin. User ses chaussures sur le macadam pour souhaiter la disparition d’un outil de travail relève d’une méchanceté que je ne peux comprendre. Pourquoi ne pas travailler pour réussir ? Moi je suis arrivée forte, pleine d’idées, fraîche et à toute allure. Chemin faisant, je me suis rendue compte que la route est pleine de bosses, j’ai réduit le tempo. Y a pas de mal à réduire la vitesse, je suis au rythme sénégalais désormais, c’est cool.
Vous aviez annoncé l'arrivée d'un administrateur chargé de relever l'entreprise. Mais les travailleurs disent ne l'avoir jamais vu et encore rencontré ?
Je n’ai jamais parlé d’administrateur, la chaîne n'est pas en redressement, j’en suis le principal bailleur. Figurez-vous, si l’on avait de vraies difficultés financières, on aurait déjà coulé ! Je suis le principal bailleur de la chaîne et à mes côtés une banque citoyenne avec une garantie solide. Nous sommes forts ! Les gens se posent des questions et à juste raison parce qu’avec le vacarme externe et cette chaîne qui fait son chemin, ils ne comprennent pas pourquoi nous sommes encore là ! Africa7 est solide et ne peut choir. Aucune chaîne n’a meilleure santé financière que nous. Quant aux ex-salariés, parmi ceux qui battent le pavé, la plupart, c’est des CDD dont les contrats sont arrivés à terme, des prestataires échus et quelques CDI. Pour ce qui est du nouveau patron Afrique du groupe, effectivement, il y a un patron, Magloire, qui est en ce moment en train de faire le tour de l’Afrique pour installer notre concept. Son voyage au Sénégal n’est pas encore à l’ordre du jour, et il y a urgence à mettre en place notre concept ailleurs. Vu le prix à payer et la maigreur du gain au Sénégal, on a vite fait le choix.
Des salaires non payés, vous en avez accumulés tout de même ?
Le problème que nous avons et qui retardera sûrement leur paiement, c’est effectivement le nombre de mois de salaires qui leur est dû. Mais soyez d'accord avec moi pour dire que le salaire est un dû certes, mais à celui qui fournit un travail effectif. Ce sera donc une longue bataille juridique s’ils continuent à désinformer les gens ou à se leurrer eux-mêmes. Certains ont trouvé du travail ailleurs, on sait où et depuis quand, et ils nous réclament quand même des sous à ce jour. C’est devenu une question de morale. Je leur dis une seule chose : leur problème, ce n’est pas dans la rue qu’ils le régleront, c’est une société privée et il y a des instances pour régler ce genre de soucis. Moult Sénégalais ont ces problèmes et les règlent tous les jours sans bruit. Le bras de fer, ce sera dans le bureau, pas dans la rue. Je suis une femme debout s’ils en doutaient encore ! D’ici là, que les gens retiennent bien ces visages et leur disent, plus jamais vous dans mon entreprise. Ils ne m'ont rien donné et me demandent tout !
PAR MOMAR DIENG