Les doigts dans la crise
Le foot français semble au bord du gouffre. Les crises succèdent aux affaires. Naturellement impossible de comparer le racket subi par Paul Pogba avec l’institution FFF qui vacille. Toutefois, l’ensemble dessine un tableau fort déplaisant du petit monde du ballon rond, comme s’il s’amusait à coller aux caricatures que d’aucuns se font de lui. Un peu aussi comme si sonnait la fin des illusions. Et attendez, la Coupe du monde au Qatar approche.
Vous n’avez probablement pas entendu parler de cette histoire. Les murs du CNOSF, la vénérable maison olympique du sport français, tremblent d’une guerre interne inconnue jusqu’à présent. La FFF n’est donc pas la seule à vaciller. Sauf qu’une fois encore, le foot n’est pas loin. En effet pour la première fois, un footeux, et en l’occurrence une footeuse, en a pris la direction : Brigitte Henriques, une ancienne vice-présidente de ce brave Noël Le Graët.
Et elle vient de décider de se débarrasser de son bras droit, Didier Séminet, un vieux de la vieille dans l’olympisme tricolore. Or il dénonce en retour, dans une lettre aux membres du CA, une mainmise progressive, « des recrutements ciblés et du risque que s'installe une certaine forme de pensée unique, pour ne pas dire culture unique » . Il pointe notamment du doigt un nouveau DG qui « travaillait pour la FIFA au moment de la Coupe du monde de football féminine organisée en France en 2019. Elle vient donc du monde du football, tout comme le DAF recruté qui est un ex-salarié de la FFF. (...) Ce qui pouvait ne pas être entendu ou compris lundi dernier prend aujourd’hui un relief inattendu au vu des événements qui secouent la FFF. » Les scandales qui affectent cette dernière touchent évidemment, par rebond, Brigitte Henriques qui en fut une dirigeante, ciblée par exemple par Romain Molina qui l’accuse d’avoir contribué à l’omerta qui y régna autour des agressions sexuelles, notamment sur des mineurs. Elle s’en est vivement défendue sur Europe 1, affirmant avoir toujours combattu ce « fléau ».
Le foot n’est pas le reflet de la société, il en est un acteur
Le foot est-il redevenu l’épouvantail du sport français ? Il est vrai que le spectacle qu’offre la FFF laisse pantois. Pour ses salariés sacrifiés par un plan de licenciement largement évitable. Pour un foot amateur complètement oublié. Pour une gouvernance qui semble fragilisée à l’extrême. La convocation par la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra n’avait d’ailleurs rien d’un échange de courtoisie. « Je ne les reçois pas pour prendre le thé, je ne les reçois pas pour m’entendre dire que tout va bien. Je les reçois car j’ai besoin d’écouter ce qu’ils ont à me dire. » Cette proche d’Emmanuel Macron a été nommée pour remettre le sport français en ordre de bataille.
À deux mois d’une Coupe du monde et deux ans des Jeux olympiques de Paris, les chantiers se multiplient et impossible de laisser dériver le foot. D’autant que ce Mondial au Qatar va se jouer nimbé d’une culpabilité lancinante (droits humains, écologie, etc.) de l’opinion. Les Bleus seront aussi scrutés à ce propos. Même les plus fidèles supporters sont désarçonnés. Fabien Bonnel, membre fondateur des Irrésistibles Français, expliquait dans le talk de France Info sur Twitch qu'il avait « décidé de condamner cette Coupe du monde » . Pour affronter cette tempête, il aurait fallu du solide, du lourd, de l’assurance. À la place, la FFF a cédé en quelques heures devant Kylian Mbappé, afin d’éteindre au plus vite un nouvel incendie chez les Bleus.
Naturellement, il est impossible de mettre sur le même plan les affaires judiciaires qui bousculent l’actualité, et qui pourtant déteignent aussi sur l’ambiance générale. D’autant que les tentatives de racket dont serait victime Paul Pogba ou les récentes mises en examen autour de l’agression de Kheira Hamraoui ne procèdent pas du même registre. Elles ne sont pas spécifiques au foot. Célébrité et richesse font vriller souvent les entourages. Le père de Britney Spears l’a longtemps spoliée de ses revenus, lui au moins s’était couvert de la loi pour commettre son méfait. Les rivalités sportives ont déjà parfois dérapé dans la violence irrationnelle. Les plus anciens se souviendront de Tonya Harding en patinage artistique. Justement, s’il faut tirer un enseignement de ces heures sombres, il renvoie à cette évidence : le foot n’est pas le reflet de la société, il en est un acteur, et d’importance désormais. Il en épouse les zones d’ombre, les problématiques et les luttes de pouvoir. La fin d’une innocence qui finalement n’a jamais existé. Le foot n’est pas qu’un jeu d’enfant.
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