Publié le 20 Apr 2015 - 14:00
GREVE PROLONGEE DES ENSEIGNANTS

L’école en position de redoublement

 

Encore une fois, le système éducatif va droit vers une année colmatée. Alors que les examens du CFEE, du Bac et du BFEM sont prévus respectivement le 24 juin, le 30 juin et le 17 juillet, les enseignants, insatiables, sont toujours dans la rue. La faute à un Etat ‘’irresponsable’’ qui laisse toujours la situation pourrir. A tel point que des acteurs parlent de privatisation rampante.

 

La rencontre était qualifiée de celle de la dernière chance. Vendredi dernier, la société en général et le monde de l’éducation en particulier était à l’écoute des syndicalistes. Tous attendaient d’eux la levée du mot d’ordre de grève. Hélas, malgré la bonne volonté des médiateurs, ce n’est qu’une partie des syndicats qui ont accepté d’annoncer la bonne nouvelle, les autres sont restés campés sur leur position. Le CUSEMS et le Grand cadre ont décidé de poursuivre la lutte, malgré la satisfaction de 10 des 11 points constituant la plate-forme minimale. Ils ont assujetti le retour dans les classes à une satisfaction de la revendication relative à l’augmentation des indemnités de logement. Certes, il y a là une question de justice et d’équité. Dans tous les corps de l’administration, l’indemnité de logement tient compte du niveau du diplôme ou de qualification. Comme aiment le rappeler certains syndicalistes, les enseignants sont la seule corporation où ‘’du préscolaire à l’université, toutes catégories confondues, tout le monde a 60 000 F d’indemnité de logement’’. Ils n’ont peut-être pas tort de parler d’aberration. Après tout, les professeurs de niveau universitaire sont les formateurs des magistrats, des médecins, des IGE…

Toutefois, les enseignants ne peuvent pas ignorer la situation. Elle est grave et ils doivent en être conscients. Conditionner la fin de la grève à la satisfaction de ce point, c’est pratiquement n’accorder aucune chance au sauvetage de l’année. Il y a de cela quelques mois, le gouvernement avait lancé une étude sur le système de rémunération des agents de l’Etat. Ce travail confié à un cabinet doit permettre d’avoir une idée nette des salaires et des différentes indemnités. La publication des résultats est attendue le 31 avril. Donc d’ici 10 jours. Ce qui est clair, c’est que le gouvernement n’entend pas prendre des engagements sans connaître ces résultats, car il pense plus loin que les enseignants. «Le gouvernement n’a pas que les enseignants à gérer. Ils y a le corps médical et d’autres fonctionnaires encore», leur a lancé le ministre de la Fonction publique Viviane Bampassy vendredi dernier. Elle leur a fait remarquer qu’ils sont au nombre de 127 130 agents à la solde de l’Etat.

Autrement dit, les élèves doivent encore rester dans la rue pendant 10 jours, le temps que les résultats sortent. Ils devront ensuite attendre que le gouvernement, en fonction des résultats et de ce qui est soutenable pour le budget, prenne des décisions. Ce qui n’est pas l’affaire d’une semaine, au contraire. Pendant ce temps, les jours s’égrènent. Les examens sont pour bientôt. Le Certificat de fin d’études élémentaire et le concours d’entrée en 6ème sont prévus à partir du 24 juin. Les examens du Baccalauréat démarrent le 30 juin et ceux du BFEM le 17 juillet. En d’autres termes, les élèves des pauvres se rapprochent inexorablement d’une année blanche, ou plutôt invalide, puisque ceux qui ont la chance d’avoir des parents riches ont suivi une année régulière et passeront donc leurs examens de façon régulière. Pour les élèves du public, le retard est déjà énorme. Ce qui ne semble guère déranger le Grand cadre et le CUSEMS. 10 points de revendication satisfaits sur 11, il y a de quoi se consoler, à défaut d’être satisfait. Mais l’intérêt corporatiste semble l’emporter sur l’intérêt général.

Faut-il pour autant jeter l’opprobre sur les enseignants dont la gourmandise ne cesse d’être dénoncée, jour après jour ? Manifestement non ! La plus grande responsabilité de ce qui est arrivé incombe à l’Etat. Un protocole signé en février 2014 avait tout le temps d’être mis en œuvre. Mais qu’a fait l’Etat ? Du dilatoire, semblent dire les syndicalistes. Ce n’est pas pour rien si la COSYDEP demande d’‘’éviter les stratégies de pourrissement, de dialogue de sourds, de dénigrement et de jeux d’acteurs’’. Vendredi dernier, Ndongo Sarr, responsable du Cusems, a brandi un document datant de 2007 et dans lequel la question des indemnités de logements avait été soulignée. Il avait en face de lui un autre document de 2009, avec toujours ce même point.

Année encore colmatée !

Or, dans l’interview accordée à une partie de la presse nationale à Kaffrine, le Président Macky Sall, tout en appelant à un esprit patriotique, a affirmé que l’indemnité de logement est une revendication nouvelle. Son ministre de l’Education ainsi que celui de la Fonction publique ne peuvent pas ignorer l’existence d’une telle revendication, sachant que cette question a été sur la table, mais n’a pas trouvé de solution consensuelle, lors de la signature de l’accord. Parler de nouvelle revendication laisse donc croire au peu d’attention accordée à l’Education dont parlent les syndicalistes. Le constat de la COSYDEP est sans appel.

Dans une déclaration, l’organisation affirme que la situation actuelle lui rappelle celle qui a prévalu avant la tenue des Assises nationales de l’Education et de la formation : «une volonté de changement très peu perceptible dans les pratiques et les discours : mêmes pratiques, mêmes causes, mêmes effets, mêmes suites, même stress. Une absence de démarche proactive dans la gestion des dossiers. Une absence d’écoute des signaux et autres alertes lancés par les acteurs», dénoncent les camarades de Cheikh Mbow, coordonnateur. 

Aujourd’hui, beaucoup ont peur d’une année blanche. Mais si on se fie à ce à quoi les élèves et leurs parents sont habitués depuis quelques années, il y a peu de risque qu’il y ait année blanche. Ce qu’il y aura par contre, c’est une année colmatée, ‘’sauver in extrémis pour ensuite se retrouver à en justifier les résultats’’, pour reprendre les termes de la COSYDEP. Des mesures de correction seront encore prises et ne seront nullement respectées. Dans ces conditions, et avec ‘’des résultats scolaires constamment médiocres, depuis plusieurs années’’, comment ne pas voir des Sénégalais, même n’ayant pas les moyens, se détourner de l’école publique pour inscrire leurs enfants dans le privé. Et si ceux qui parlent de sabotage et d’une privatisation rampante avaient raison ?

BABACAR WILLANE

 

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