Publié le 27 Apr 2024 - 19:20
INFERTILITÉ DANS LES COUPLES    

Un drame permanent

 

Beaucoup de couples sont touchés par l'infertilité dans le monde. Cependant, en Afrique et plus particulièrement au Sénégal, à chaque fois que cela se produit, c'est la femme qui est indexée, même si elle n'est pas toujours la source du problème. Certaines femmes sont abandonnées, méprisées, maltraitées, réprimandées, humiliées et même divorcées, parce que tout simplement, elles n'ont pas procréé. Dans ce reportage, EnQuête a recueilli des témoignages poignants de femmes qui racontent leur calvaire. L'enfant étant un don de Dieu, selon les religieux, personne ne doit s'acharner sur une femme, parce qu'elle n'a pas eu des enfants.

 

Selon une étude menée par le journal "Le monde", en Afrique, les taux d’infertilité sont les plus élevés du monde. En effet, révèle le quotidien français, entre 15 % et 30 % des couples seraient touchés, contre 5 % à 10 % en Europe. Cependant, dans le contexte sénégalais, une étude réalisée par "Hewlett foundation", en 2019 a montré un manque d'évidences sur la prévalence de l'infertilité. En effet, même si le problème est réel, l'enquête a révélé qu'aucune étude n'a encore été réalisée pour évaluer la prévalence réelle d'infertilité et il n'existe pratiquement pas de données nationales représentatives sur ce sujet au Sénégal.

Dans la société, même si ce n'est pas toujours le cas, on peut dire que, la procréation participe grandement au bonheur d'une femme mariée. Car, la majeure partie d'elles, qui n'ont pas d’enfants dans leur foyer, ont des problèmes, soit avec leur époux, soit avec leur belle-famille.

Tourmentée, désespérée, Ndèye Marième Faye, une dame de 44 ans, n'a plus l’espoir de mettre au monde un enfant. Mariée à l'âge de 24 ans, elle confie qu'elle n'a jamais fait même une fausse couche. "Je n'ai jamais eu d'enfant et je ne pense pas en avoir, car j'ai déjà 44 ans et je serai bientôt ménopausée. J'ai fait toute sorte de traitement. J'ai dépensé toute ma fortune pour avoir au moins un enfant, mais ça n'a pas marché", confie la dame désespérée.

Embouchant la même trompette, Amy Colé Ndiaye, une femme de 35 ans, également dans le même désarroi, soutient qu'elle s'est mariée depuis 8 ans, mais n'a pas encore d’enfant.

Or, le fait de ne pas avoir d’enfants dans le ménage tourmente beaucoup de femmes ou les empêche d'avoir une vie de couple apaisée. Awa Ba Diallo, une jeune dame au teint clair éclatant, s'est mariée depuis l'âge de 19 ans. A 29 ans, elle n'a malheureusement jamais réussi à contracter une grossesse, malgré les multitudes traitements médicalisés et traditionnels qu'elle a subis ces 10 dernières années. "J'ai fait plus de 10 ans de mariage, mais je n'ai jamais eu un enfant, même pas une fausse couche. Quand je vois, des mamans jouées avec leurs bébés, les chouchouter, j'ai le cœur meurtri. Je pleure en silence et je me pose des questions, si un jour je deviendrai aussi maman", confie Mme Diallo, les larmes aux yeux. Son émotion fait pleurer les membres de sa famille présents.

Après avoir essuyé ses larmes, elle déclare que dans le monde actuel, quel que soit l'amour qu'un homme a pour sa femme, s'il n'y a pas d'enfants dans le couple, cet amour finit par se détériorer et même se transformer en désamour. 

En cas d'infertilité, tous les deux partenaires doivent se faire consulter 

En général, quand un couple est touché par l'infertilité, seule la femme subit des traitements. Quant aux hommes, ils ont toujours à l'esprit qu'ils ne sont pas malades. "Pendant tout ce temps, c'est moi seule qui fais des traitements. Mon mari n'a jamais accepté d'aller consulter un spécialiste. À chaque fois que je lui parle de ça, il me répond qu'il n'a aucun problème", regrette Ndèye Marième Faye.

Pour aider les femmes dans ce domaine, les ‘badienous gokh’ jouent un rôle important. La ‘badjénu gokh’ Gnima Badji confie à ce propos : "Quand une femme vient me voir et me parle de sa situation, je lui demande d'aller appeler son mari. Tant que ce dernier ne vient pas, je ne donne pas de conseils ou d'orientation". Cependant, poursuit-elle, "s'ils viennent tous les deux, je leur conseille d'aller se faire consulter tous les deux. Ce, dit-elle, pour qu'ils fassent le traitement ensemble pour pouvoir identifier lequel est touché par l'infertilité".

Au-delà du stress et de la misère que les femmes touchées par l'infertilité vivent au quotidien, la pression sociale, surtout celle infligée par la belle-famille les affecte, les affaiblit et les rabaisse encore plus. En effet, dans ce genre de situations, même si le conjoint essaie de comprendre sa partenaire, sa mère et ses sœurs jouent, souvent, les trouble-fête. "Ma belle-mère et ses filles veulent détruire mon ménage. Elles me rendent la vie impossible. Il ne se passe pas une semaine sans qu'elles me réprimandent, s'acharnent sur moi, me traitant d'infertile de femme de malheur. Ma belle-mère, qui a pourtant des filles, raconte pratiquement tous les jours à mon mari que j'ai fait le planning familial pour ne pas avoir des enfants, à  cause  de  mes  études", raconte Amy Collé Ndiaye.

Or, la dame, malgré toutes ces misères qu’on lui fait au quotidien, n'envisage pas de quitter le domicile conjugal et souhaite continuer son traitement jusqu'à obtenir des résultats positifs. "Elles m'insultent à chaque fois qu'elles en ont envie. Elles m'humilient souvent devant même nos invités. On me traite de tous les noms. Chaque jour, j'entends des mots qui me fendent le cœur, mais que je ne répond jamais. Ma belle-famille demande à mon mari de trouver une femme qui peut lui faire des enfants, mais il ne les écoutais pas, au début. Je me sens comme une étrangère dans la maison. Personne ne veut de moi à part mon mari. Aujourd'hui, mon époux qui me comprenait, prenait ma défense, me consolait, me conscientisait, me calmait, me demandant de croire en Dieu et de multiplier les prières, me répète pratiquement tous les jours qu'il veut être papa. Car, il estime qu'il est vraiment temps. Je me sens perdue. Il m'arrive à passer des nuits blanches à pleurer". 

"J'ai senti une douleur profonde dans mon cœur" 

Malgré qu'elle soit divorcée, Mbeugué Diallo, une jeune dame de 31 ans, garde toujours en mémoire les mauvais souvenirs qu'elle avait vécu dans son ex ménage. "Je me rappelle comme aujourd'hui du jour où un ami de mon mari est venu chez nous, nous informant que sa femme a eu un bébé. Je l’ai aussitôt félicité. Mais, automatiquement, une de mes belles-sœurs s'est précipitée pour me dire : 'Et toi, tu attends quoi pour nous donner une nièce. Mais bon, je me fatigue pour rien, car je sais que, si c'est toi seulement, nous n'allons jamais entendre tata'. J'ai senti une douleur profonde dans mon cœur, offensée. J'avais l'impression que le ciel était tombé sur ma tête. Les larmes aux yeux, je m'étais rapidement dirigée dans ma chambre", confie ex madame Diop, très attristée et qui ne regrette pas son divorce.

Très émotive, le cœur lord, les yeux rougeâtres, Mbeugué Diallo dit ne pas comprendre pourquoi sa belle-famille était si grossière avec elle, car elle était presque leur esclave. Elle faisait tout : le ménage, le linge, la cuisine et même le thé.

Aujourd'hui, on a l'impression que la société oublie ou fait exprès d'oublier que l'enfant est un don de Dieu. Assise sur une natte, adossée au mur, les yeux dans le vague, Abibbadou Ndao semble déconnectée de tout ce qui se passe autour d'elle. Elle vit un fer dans son ménage. Son mari et ses co-épouses lui rendent la vie dure, parce qu'elle n'a pas d'enfant. "Je suis la première femme de mon mari. Nous sommes mariés, depuis très longtemps. À cause de mon infertilité, il a épousé deux autres femmes. Elles ont toutes des enfants. Elles forment un bloc contre moi. Avec la complicité de mon mari, elles font tout ensemble, sans m'impliquer. Je n'ai pas mon mot à dire dans la maison. Je n'ose pas demander de service à leurs enfants où leur dire quoique ce soit. Si je le fais, on me taxe de sorcière. Ils vont jusqu'à me dire : ‘ce n'est pas pour rien que Dieu ne t'a pas donné des enfants'. Mes coépouses n'acceptent même pas que leurs enfants entrent dans ma chambre", confie la quinquagénaire qui, malgré tout, ne veut pas demander le divorce et souhaite mourir dans les liens du mariage.

Religions et infertilité 

Peut-être que les gens qui réprimandent les femmes touchées par l'infertilité ignorent les textes religieux. D'après imam Ahmeth Kanté, "on ne peut pas culpabiliser une femme ou s'acharner sur elle, juste parce qu'elle n'a pas d'enfant. Le faire, dit-il, est une sorte de défiance vis-à-vis de Dieu. Parce que, explique-t-il, le coran est très clair en disant que : c'est Dieu qui donne des enfants à un couple, que ce soient des garçons ou des filles".

Le religieux de poursuivre : "Reprocher à une femme de ne pas avoir d'enfants, c'est comme si on est en train de remettre en cause que ce Dieu a décidé pour la femme". D'ailleurs, dit-il, "souvent on a tendance à accabler la femme, dès qu'il y a un problème d'infertilité. Quand ce problème surgit dans un couple, tout de suite, on indexe la femme. Alors que, parfois, c'est l'homme qui est malade".

Selon imam Kanté, "c'est très clair dans le Coran : quand la femme est infertile, il n'y a aucun reproche à lui faire. Le mari ne doit pas accabler ou culpabiliser sa femme".

Tout comme dans l'Islam, le Christianisme aussi n'ordonne en aucun cas de reprocher à une femme son infertilité. "La naissance des enfants ne constitue pas un élément constitutif du mariage. Pour qu'il y ait mariage, il faut l'amour entre un homme et une femme. Et pour qu'ils se marient à l'église, il faut qu'ils disent que : 'nous sommes prêts à accueillir les enfants que Dieu va nous donner'. Parce qu'ils conviendront que l'enfant, c'est Dieu qui le donne. Maintenant, fait-il savoir, s'ils n'arrivent pas à avoir des enfants, on se rencontre et on dit c'est peut-être Dieu qui l'a décidé ainsi, mais cela n'enlève en rien la validité du mariage qui a été contracté entre l'homme et la femme", explique l'Abbé Augustin Thiaw.

"On se rend bien compte, ajoute le prélat, que dans certains couples, quand il y a un problème d'infertilité, on pense que c'est la femme qui est malade.  Mais, ça peut-être l'homme, et quelle que soit l'origine de cette anomalie, le couple doit être accompagné, bien soudé et qu'ils sachent que, même sans enfant, ils peuvent vivre leur amour. À ce sujet, dit-il, s'ils veulent vraiment avoir un enfant dans leur couple, on peut leur demandé de faire une adoption légale".

Le prêtre d’ajouter : "Un chrétien qui comprend bien le sens du mariage, quelle que soit la pression sociale, l'homme chrétien ou la femme chrétienne doit toujours comprendre que la vie est entre les mains de Dieu et c'est lui qui donne. Donc, le fait de ne pas avoir d'enfants dans son foyer ne peut pas pousser quelqu'un à répudier sa femme ou une femme à quitter son mari".

 

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