Publié le 4 May 2012 - 09:35
KEN BUGUL, ÉCRIVAIN

''Au début, j’écrivais par nécessité, maintenant, c'est par passion''

 

Sa vie a nourri son œuvre le temps d’une trilogie semi-autobiographique. A présent, Ken Bugul, de son vrai nom Mariétou Mbaye, fait partie des écrivains dont le prochain roman est très attendu, comme pour tous les auteurs confirmés. Rencontrée lors d’un séjour à Dakar, Ken Bugul est revenue sur son parcours littéraire et certains aspects de sa vie, car à bien des égards, son activité d’auteur et sa vie de femme se confondent.

 

Une femme moderne et émancipée, selon un cheminement personnel assez particulier et parfois douloureux ; une mère qui a découvert la maternité tardivement, à 40 ans, avec sa fille unique âgée d’une vingtaine d’années ; et un écrivain au talent reconnu, du fait de sa maîtrise de la langue française et de la richesse de ses intrigues déclinées à travers huit romans. Née il y a une cinquantaine d’années, dans le Ndukumaan, à Louga, Ken Bugul est diplômée de langues et spécialiste du développement et de la planification familiale. Après une carrière de fonctionnaire internationale, l’auteur vit à présent à Porto Novo, au Bénin, où elle est administratrice du Centre de promotion et de vente d’œuvres culturelles, d’objets d’art et d’artisanat, et continue de mener sa carrière d’écrivain à succès.

 

Ken Bugul, qu’est-ce qui vous fait écrire ?

 

Au début, quand j’ai commencé à écrire, c’était sans intention d’être écrivain, mais juste d’utiliser l’écriture comme moyen d’évacuation, de quête de soi. C’était une nécessité. Maintenant si je continue à écrire, comme on dit ''en forgeant on devient un forgeron'', après le fait d’avoir écrit trois livres, ''Le baobab fou'', ''Cendres et braises'' et Riwan'', c’était devenu une passion. Donc là, j’écris vraiment par passion. Après la nécessité des trois premiers livres, avec la passion de l’écriture, j’apprends à connaître l’écriture parce que je n’étais pas du tout préparée à écrire des livres encore moins aujourd’hui. Jusqu’à présent, je me méfie toujours du terme écrivain, parce que je ne veux même pas être classée comme écrivain, je veux qu’on dise que c’est quelqu’un qui veut devenir un écrivain. Je préfère plutôt ça.

 

 

Et pourquoi, au début, l’écriture a-t-elle été une nécessité pour vous ?

 

J’ai un besoin d’évacuation qui est légitime. C’est comme on dit, la personne a besoin de parler, de se défouler. Moi, c’est l’écriture que j’ai utilisée pour me défouler, pour évacuer des vécus, en prenant comme prétexte une quête identitaire, ou des vécus qui me semblaient peut-être contradictoires. Ou peut-être je voulais en écrivant renforcer des préoccupations, des situations, parallèlement à la quête identitaire individuelle. Pas en tant que femme, africaine, sénégalaise, musulmane, etc. C’était tout simplement une quête individuelle. En écrivant, je me rendais compte qu’en évacuant des choses que j’avais vécues, j’avais la confirmation que ça me convenait parfaitement et j’ai évacué les choses qui ne me convenaient pas avec l’écriture aussi, pour me retrouver moi-même, à travers l’écriture.

 

 

Quels sont les thèmes que vous développez dans vos différents romans ?

 

A part les trois premiers livres qui sont une nécessité d’évacuation, je ne suis pas tellement thématique. Je ne peux pas dire que quelque chose me préoccupe à un point où je veux écrire dessus. En fait, je suis plus passionnée, plus intéressée par l’écriture, la manière d’écrire, la manière d’utiliser la langue, que par le fait d’écrire sur une ligne thématique. Parce que je me dis qu'il y a des gens beaucoup plus appropriés pour développer des thèmes. Pour épuiser un thème, il faut vraiment avoir tous les éléments, connaître les origines, les causes, les conséquences, il faut mener des enquêtes, etc. Pour moi, la thématique, c’est vraiment pour les spécialistes. Donc moi, je prends des thématiques qui m’interpellent, mais pas qui me préoccupent. Et à partir de ça, j’utilise cette histoire comme prétexte pour pouvoir créer une œuvre littéraire, en y mêlant surtout la fiction. J’utilise beaucoup la fiction, mais avec des données que j’ai, parce que j’écoute la radio, on m’en a parlé, etc. C’est comme ça que je travaille.

 

 

Est-ce que vous considérez que vous vivez un succès littéraire, quand on sait que la plupart de vos livres ont reçu des critiques très favorables et ont été des succès en librairie ?

 

Je ne m’occupe pas trop du nombre de livres qui sont vendus, sauf quand j’ai besoin d’argent. J’aimerais savoir mais on ne peut jamais contrôler. Et je ne compte pas tellement aussi sur mes droits d’auteur pour vivre parce que j’ai de quoi vivre. Mais je sais que Ken Bugul, c’est un nom qui est très connu partout dans le monde. Je sais que [mes livres] sont des succès de librairie, mais en même temps, je n’en saute pas de joie. Au contraire, je suis de plus en plus effrayée, j’ai de plus en plus peur. Quand j’écris, j’ai de plus en plus d’appréhension car à chaque fois que je commence un nouveau livre, je deviens de plus en plus exigeante. Je trouve que tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent c’est pas bon. Je ne suis jamais satisfaite. Quand un livre est sorti, j’ai même honte de dire que c’est moi qui l’ai écrit. Même si j’ai beaucoup travaillé, je trouve qu’on peut encore mieux faire. Par rapport aux succès de librairie ou la célébrité du nom de Ken Bugul, moi, derrière, j’ai tout le temps envie de me cacher sous le lit. Parce que je dis non, il faut que je continue à travailler pour sortir un livre mieux écrit, mieux maîtrisé. Mais malheureusement, je sais pas si je vais y arriver mais je fais des efforts.

 

 

Qu’est-ce que vous faites quand vous n’écrivez pas ?

 

Entre deux livres, je lis énormément. Et de plus en plus, je lis beaucoup d’auteurs étrangers traduits. Des auteurs anglophones, des Nigérians, Ben Hocri, le défunt Ken Saro-Wiwa, ou je relis Chinua Achebe, les classiques. Je lis les auteurs américains les Philip Roth, Toni Morison, des auteurs grecs traduits en français, des auteurs coréens. Et quand je lis des œuvres traduites, je sais pas pourquoi, peut-être que je cherche une autre démarche mentale liée à une langue d’origine, quand c’est traduit en français, c’est pas un livre de France. Je ne lis pas beaucoup d’auteurs français sauf les naturalisés français, par exemple, Calixte Beyala, Fatou Diome, Alain Mabanckou, des auteurs contemporains. Mais la ''France-France'', j’ai lu quelques livres de Amélie Nothomb, pas beaucoup. Parce que les auteurs traduits, surtout les auteurs américains, je trouve qu’ils ont une puissance d’écriture, ils ont de l’innovation dans la technique d’écriture qui me fascine. Donc entre deux livres, c’est là que je lis, parce qu’après, j’ai pas le temps de lire. J’ai les voyages, je dois écrire aussi, etc. Et entre deux livres, quand je lis, parfois, j’ai envie d’abandonner, je me dis que j’ai pas le talent pour écrire, je dois laisser, faire autre chose, ouvrir un magasin, trouver une place au marché, vendre du gombo, les choses que j’aime. Parce que je trouve que l’écriture, c’est un travail très très difficile et en dehors du talent, il y a le travail. L’exigence pour la perfection. C’est une œuvre de créativité, ce n’est pas raconter des histoires. Tout le monde a des histoires à raconter. C’est la manière de raconter que je trouve essentielle.

 

 

Avec votre notoriété, vous ne devez sans doute pas avoir de difficultés à vous faire publier. Comment ça se passe avec les maisons d’édition, c’est vous qui allez vers elles ou ce sont elles qui viennent à vous ?

 

En général, on me demande des manuscrits. Mais en même temps, je ne suis pas un auteur qui cherche les grandes maisons d’édition. Il y a des écrivains qui cherchent de grandes maisons d’édition, qui ne vendent pas autant de livres que moi ou qui n’ont pas autant de succès que le nom de Ken Bugul. Parce que je dis que c’est pas moi, c’est Ken Bugul. Parfois, les gens qui ne me connaissent pas me demandent si je connais Ken Bugul, parce qu'en dehors des grandes manifestations littéraires, comme le salon du livre à Paris, je suis plus dans les universités. Comme j’habite en Afrique, au Bénin, parfois, pour les auteurs africains qui ne vivent pas en Europe, c’est très difficile parce que quand on veut les inviter, faut payer leur billet d’avion, leur séjour d’hôtel. Alors que les auteurs africains ou naturalisés français d’origine africaine, qui vivent en Europe, comme ils vivent à côté, ils peuvent prendre le train et y aller. Donc, on est quand même un peu lésé, et moi je ne peux vivre nulle part ailleurs qu’en Afrique. On n’est pas dans le circuit des éditeurs, des revues. Parfois, on me dit : ''Ah, y a un article sur toi dans Le Monde''. Or là où je vis à Porto Novo, y a pas Le Monde, donc moi je sais pas. Je ne suis pas au courant. Je gère le quotidien, c’est la maison, les impôts, les factures d’eau, d’électricité. Je vis comme une personne normale. Donc quand je vois que mes livres marchent en général, c’est plus par sympathie, c'est-à-dire que c’est une maison d’édition qui répond à des attentes, ou a des positions personnelles que j’ai par rapport à des éléments d’appréciation des uns et des autres. Moi je peux donner un manuscrit à une toute petite maison d’édition qui se trouverait à Kébémer ou à Thiénaba. L’essentiel, c’est que ce soit une bonne maison d’édition qui en veut, etc. Donc, mes amis éditeurs me demandent toujours un manuscrit. Parfois même on me bouscule, c’est ça que j’aime pas trop, parce qu’ils veulent sortir le livre à telle période. Et je suis obligée de travailler vingt heures par jour. C’est un peu épuisant qu’on me demande les manuscrits, parce que je veux qu'on me laisse faire, que je prenne mon temps jusqu’à ce que je termine. Depuis ''Le baobab fou'', on me demande des manuscrits et je ne cherche pas d’éditeur.

 

Karo DIAGNE-NDAW

 

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