Publié le 19 Jan 2012 - 19:07
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Guerre et paix

Alors que, communiant avec Touba, le clergé musulman et chrétien priait pour la paix civile, une voix dissidente s’élevait de la périphérie maraboutique pour préconiser ''une expédition punitive contre Yahya Jammeh'', comprenez la Gambie puisque le susnommé en est le chef d’État. Ahmed Khalifa Niasse, notre grand frère, n’en est pas à sa première déclaration de guerre : il délivra un ultimatum retentissant au régime de Senghor finissant dans l’euphorie de la révolution iranienne, au début des années 1980.

 

L’affaire n’est pas banale compte tenu des hautes fonctions, de conseiller spécial notamment, occupées auprès du président de la République du Sénégal.

 

 

Le contexte non plus n’est pas banal, qui établit un lien de causalité avec la résurgence de la ''guerre de libération'' en Casamance où des unités armées mobiles s’attaquent désormais aux garnisons de l’Armée nationale qui sont cantonnées dans la région méridionale.

 

La frontière septentrionale est à peine plus pacifiée : de manière récurrente, les gardes-côtes mauritaniens canardent les pêcheurs sénégalais. Sans doute parce que ceux-ci violent la frontière maritime nord et sud aussi puisque même si la situation est moins préoccupante avec la Guinée-Bissau, les pêcheurs sénégalais y sont régulièrement retenus prisonniers.

 

 

Le sens de responsabilité des autorités étatiques est engagé comme elle l’était lors des conflits majeurs qui ont ensanglanté la sous-région, le bon sens des leaders d’opinion aussi et Ahmed Khalifa Niasse peut prétendre aux deux titres. Le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie pouvait être confiné dans le cadre du traditionnel antagonisme entre nomades et sédentaires compliqué par les rapports délicats entre Soninkés, Pulaars, Maures et Métis des deux nationalités de part et d’autre d'une frontière fluide.

 

A cause de l’irresponsabilité de leaders d’opinion des deux camps, son règlement par la voie administrative et diplomatique a dérapé vers une guerre entre deux pays frères dont l’un, la Mauritanie, doit son existence aux soucis sécuritaires sénégalais de juguler l’expansion vers le fleuve d’un Maroc partisan à l’époque du panafricanisme révolutionnaire.

 

 

Certains universitaires avaient eu le mauvais goût de soutenir que la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie n’était pas le fleuve mais se situait à 50 km au-delà de la rive droite, selon un décret de 1930. À partir de cette assertion, s’instaurait une logique de guerre comme l’ont expliqué les analystes militaires d’Occident : l’Armée d’un pays qui a une revendication territoriale se place ipso facto dans une position offensive.

 

Le ministre mauritanien de l’époque, Gabriel Semper, avait assumé l’argument : ''Comment peut-on vouloir la paix et remettre en cause les frontières existantes ?'' La concession tacite du président Senghor avait valeur de fait accompli.

 

 

La même concession avait été faite à la Gambie indépendante sur quelques villages frontaliers disputés au Sénégal, par le même président Senghor, lequel sous ce rapport aura bien mérité le Prix Nobel, sauf que selon la confidence du général De Gaulle à André Malraux, le jury Nobel qui confère cette distinction, dominé par le lobby anglo-saxon, ne récompenserait jamais un bon Français.

 

Et les bruits de bottes du Nigeria, rivé à l’esprit de Fachoda, étaient restés sans conséquence tragique. Faut-il retenir qu’à cette période, les manifestations anti-sénégalaises en Gambie étaient surtout le fait de l’opposition qui estimait qu’une éventuelle fusion avec le Sénégal mono partisan serait préjudiciable à leur démocratie.

 

 

Les deux interventions sénégalaises en Gambie semblent avoir confirmé cette crainte et le Sénégal a reculé devant la perspective d’une troisième équipée militaire à l’occasion de la rupture de la Confédération sénégalo-gambienne comme lors du coup d’État de l’actuel président Jammeh.

 

Il reste que depuis l’alternance, quelques tentatives de déstabilisation du pouvoir de Jammeh lui ont donné des raisons de se méfier de son voisin puissant de sa faiblesse et donc de s’armer pour défendre sa souveraineté souventes fois ignorée. Les projets de guerre de Khalifa Niasse viennent donc au mauvais moment, encore que la publication du vrai bilan des pertes humaines de Fodé Kaba II soit plus dissuasive qu’une longue rhétorique pacifiste.

 

 

Il ne faut cependant pas désespérer du mollah de Kaolack et de Fass. Ceux qui l’ont approché disent qu’il ne ressemble pas à ses prises de position. Personne non plus ne peut lui reprocher de tenir à cœur ce problème casamançais, fût-ce de manière outrancière et d’exprimer ses vérités.

 

Mais l’idéal serait que dans sa proximité avec le chef de l’État, il puisse avoir l’opportunité de s’entretenir avec le leader gambien des intentions inavouées qui lui sont prêtées. En tout état de cause, il devrait mieux se renseigner des capacités défensives de la Gambie qui dispose de chars T 72 alors que l’armée sénégalaise ne dispose que de véhicules blindés dont la guerre de Bissau a démontré l’ineptie.

 

 

Après la montée du militarisme en Afrique de l’Est où les conflits impliquent la Somalie, le Kenya, l’Éthiopie, l’Érythrée, le Sud-Soudan, le Soudan, presque tous les États de l’Afrique du Nord et de l’Ouest sont confrontés à la menace des groupes islamistes combattants ou terroristes.

 

La ligne de fracture, souvent entre un Nord musulman et un Sud chrétien, est latente au Sénégal dans la sédition casamançaise. Les puissances occidentales ont opté plus ou moins ouvertement pour le Sud chrétien dans ce qui s’annonce comme une guerre de civilisations planétaire. Les bouleversements majeurs qui s’ensuivront vont ramener l’Afrique aux guerres tribales qui ont précédé la pacification coloniale.

 

 

 

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