Publié le 19 Apr 2025 - 01:21
CHRONIQUE - DEUX OU TROIS CHOSES

La saison judiciaire est en crue

 

Les chroniqueurs font la queue devant la Division des investigations criminelles, la Division de la cybersécurité, la Brigade des affaires générales, la Section de recherches de la gendarmerie et peut-être dans d’autres structures d’enquêtes criminelles. Les comptables publics les y ont rejoints.

Si la police nous dit, dans un communiqué, qu’elle a enregistré 20 478 infractions en 2024, il faut saluer la performance et prévoir de meilleurs résultats pour l’année en cours.

Les magistrats sont overbookés, mais la dissuasion n’a jamais fait reculer dans aucun pays les délits et crimes. En Arabie saoudite, on continue de couper des têtes. En Amérique, non plus, malgré moult méthodes pour appliquer la peine de mort. En Chine, on exécute – une balle dans la tête, facturée à la famille, dit-on – mais le crime et la délinquance sous toutes ses formes ne baissent pas. Chez nous, la criminalisation du trafic de stupéfiants, l’infanticide et le vol de bétail ne reculent point. Demain, la peine de mort réclamée pour les assassins n’y parviendra pas, de même que la criminalisation de l’homosexualité.

Au Sénégal, on veut tout régler par la cruauté des peines. Mettre les suspects en prison, les condamner sévèrement et surtout ne jamais accepter qu’ils s’amendent, comme si les peines qu’on applique ne peuvent pas être réparatrices comme elles se doivent, mais, pire, elles accablent à vie.

C’est pourquoi la loi d’amnistie de 2024 a bien du mal à passer. Nous ne savons pas pardonner, malgré notre fameux ‘’massla’’ (sens de l’apaisement) ou notre tout aussi fumeux ‘’yeurmandé’’ (capacité à pardonner). Et nos magistrats semblent bien plus cruels que le citoyen. Rivés dans leurs textes, ils n’osent pas s’en sortir et encombrent nos prisons de délinquants primaires.

Les procédures en cours au niveau du parquet financier ou tribunal correctionnel prouvent à suffisance que le sens de la mesure n’est plus de cour et la sensibilité et l’intime conviction des magistrats sont passées de mode, même si la loi les y contraint en certains cas. Il n’y aurait donc pas d’alternative au cachot, comme si la seule peine qui figure dans le Code pénal est un emprisonnement ferme, a priori, et rien d’autre. Il faut bien qu’ils comprennent que payer sa faute ne veut pas dire forcément emprisonnement.

Après ‘’France dégage’’, la haute trahison…

On ne pouvait échapper à cette demande de mise en accusation de haute trahison de Macky Sall. Depuis l’installation du nouveau pouvoir, l’ancien président est dans tous les discours. Le prédécesseur de l’actuel locataire du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor aurait, si l’on écoute tout ce qui se dit, passé deux mandats à détruire son pays. Son bilan se résumerait à la mort des émeutiers de 2021 et 2023. C’est vrai qu’une vie est une vie et ne saurait être considérée comme insignifiante, parce que celui qui l’a perdue a décidé de s’attaquer à des institutions, brûlé des maisons, des véhicules ou autres, commis des actes innommables ou était motivé par des sentiments plus criminels que politiques.

Le projet porté par le député Guy Marius Sagna donne l’impression que c’est une commande du chef de l’État lui-même contre celui qui lui a transmis le pouvoir le 2 avril 2024. En insinuant que Sall ferait des choses contre lui (ou le pays ?) lors de l’entretien avec la presse le 4 avril dernier, Bassirou Diomaye Faye en a dit peu, mais beaucoup. Si au niveau de Pastef, aucun acte officiel n’a suivi les allusions présidentielles, le député Sagna a, lui, repris au rebond ce que le président Faye a insinué. Guy Marius Sagna est un activiste très intelligent. Il sait, depuis qu’il s’est donné comme métier la défense de la veuve et de l’orphelin, où appuyer pour se faire entendre et, conséquemment, faire mal au régime d’alors et, aujourd’hui, aux anciens compagnons de Macky Sall. S’il donne l’impression d’être le procureur politique de Diomaye ou Sonko, ce n’est certainement pas parce qu’on le lui a commandé. Peu importe ce projet de traduire Macky Sall devant une haute cour de justice, le député activiste parvient, grâce à cette proposition, à s’offrir une cible facile, beaucoup plus intéressante en ces moments où la chasse aux délinquants financiers ou aux chroniqueurs des réseaux sociaux occulte les dizaines de questions qu’il adresse au gouvernement et à quoi il résume son mandat de député.

Guy Marius Sagna avait, avec son slogan ‘’France dégage’’, réussi à se doter d’une arme ‘’idéologique’’ bruyante pour l’époque. Le voilà devenu député et obligé de suivre la ligne politique et de respecter les objectifs du binôme au pouvoir. Ses dizaines de questions au gouvernement et les réponses obtenues ne sont pas si avantageuses politiquement pour sa personne. Elles ne rapportent pas gros.

A l’Assemblée, il ne peut compter, en effet, plus que le poids d’un député. Or, en s’attaquant à Macky Sall sur le thème de la haute trahison, il espère que cette mission qu’il s’est donnée va redresser sa posture combative qui est en train de se dissiper dans la majorité politique. Lui qui avait donné au Pastef le slogan mobilisateur contre la présence française se devait donc de trouver un nouveau discours pour continuer à avoir voix au chapitre. Attaquer Macky Sall sur la question de la haute trahison lui donne un nouveau chantier dont on parlera ici et dans le monde.

On est bon chasseur quand on ramène un gibier de taille.

Par ISSA SALL

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