Publié le 23 Jan 2024 - 13:05

La presse sportive sénégalaise ou le journalisme embarqué

 

La fédération sénégalaise de football peut se permettre de ne pas communiquer, mais pas la presse sportive qui s’est donnée comme mission d’informer le public sénégalais. Et c’est cette raison que des maisons de presse ont spécialement envoyé des journalistes en Côte d’Ivoire pour qu’ils soient les yeux et les oreilles des sénégalais restés au pays.

Le coach des Lions Aliou Cissé a eu des ennuis de santé le vendredi, après le match contre le Cameroun et il a été hospitalisé. Le président de la fédération Augustin Senghor et ses hommes n’ont pas jugé nécessaire d’informer le public. Pourtant, non seulement c’est un droit des Sénégalais, mais faire preuve de transparence permet aussi d’éviter les rumeurs et autres supputations. Perdre des marines en haute mer est de loin plus sensible qu'un coach souffrant. L’armée a informé, pas la fédération de football.

Pour avoir manqué ce devoir, les Sénégalais ont eu la nouvelle à travers Canal+, la chaîne privée cryptée française. Et lorsqu’on est Sénégalais, journaliste de surcroît, cette information venue d’ailleurs laisse un goût amer. Où est notre presse sportive ? Où sont nos envoyés spéciaux censés nous rapporter ce qui se passe sur place ? Ont-ils été au courant ou non. De deux choses l’une : soit ils n’étaient pas au courant et dans ce cas il faut interroger leur rôle. Soit ils étaient au courant, mais ont préféré garder le silence, ce qui serait grave.

Lors de la dernière interview d’Aliou Cissé avec la Tfm, le coach de l’équipe a salué l’union qu’il y a aujourd’hui autour des Lions, y compris la presse. Tous sont ensemble pour la victoire, se réjouissait-il. Que la presse sportive pousse les Lions et les appuie vers la victoire, ça peut bien se faire. Mais de quelle manière ? Les journalistes doivent-ils mettre leur mission sous l’éteignoir pour que le Sénégal gagne ?

Des reporters et non des supporters

En partant à la Can, l’équipe nationale et les fédéraux prennent leur avion, les journalistes partent en rang dispersé dans d’autres avions. Cette séparation des moyens de transport est déjà assez symbolique de la séparation des rôles. Les joueurs sur le terrain sont envoyés pour une mission bien déterminée, les journalistes aussi. Et chacun se doit de respecter la sienne. Or, ce ‘’malaise’’ (Canal+) ou ‘’pathologie bénigne infectieuse’’ (expression trop vague utilisée par le fsf dans son communiqué)’’ de Cissé vient donner plus de poids à ce qui était déjà une forte impression : la révérence de la presse sportive, l’Anps en particulier, vis-à-vis de la fédération.

Même des journalistes sportifs finissent par être agacés par ce constat. « L’Anps est comme une structure chargée de gérer la communication de la fédération ; elle est en quelque sorte un démembrement de la fédération », regrette un habitué des compétitions. Cette source sous anonymat précise même que Cissé a connu ces mêmes problèmes gastriques lors de la Can 2021 au Cameroun et qu’il avait raté une conférence de presse pour cette raison. En 2022 au Qatar, il a encore connu ce problème.

Pourtant, à voir la production de la presse sportive, on se dit que tout roule à merveille au sein de l’équipe, de la fédération et du ministère des sports. Presque pas d’enquête, très peu de révélations, peu de papiers critiques. « Il n’y a que Bakary Cissé et Cheikh Tidiane Gomis qui se montrent critiques ». Bakary Cissé est connu pour ces articles qui dérangent. C’est d’ailleurs lui qui a révélé le problème de billets entre les fédéraux et le ministère dirigé par le très politique Lat Diop.

La fédération a fait un démenti, mais n’a pas convaincu certains journalistes sportifs. L’un deux pense même que ce démenti ‘’très léger’’ vise à discréditer celui qui a osé révéler les manquements afin de faire taire les autres pour qu’aucune information compromettante ne puisse être publiée. Et ce dernier de rappeler aux envoyés spéciaux qu’ils ont été dépêchés pour rapporter les faits et non jouer les supporters.

L'équipe nationale est dans un bunker

D’ailleurs dans ce démenti, la fédération note qu’en dehors de Bakary Cissé, « tous les esprits sont tournés vers le même objectif qui est d’œuvrer ensemble pour la réussite de nos Lions et le succès du Sénégal que nous partageons tous ». Ce passage montre à suffisance l’esprit de la fédération qui veut réduire la presse à faire du journalisme embarqué, cette technique popularisée par l’armée américaine lors de la guerre en Irak en 2003 et qui consiste à convoyer les reporters dans les unités de l’armée et s’assurer qu’ils ne voient que ce qu’on veut leur montrer et qu’il ne diffuse que ce qu’on consent à rendre public.

Pourtant, l’absence de communiqué de la fédération sur le cas Cissé est un cas flagrant de manque de communication et de transparence de l’instance faitière vis-à-vis de la presse. Cette attitude devait être dénoncée par les confrères. Si les journalistes s’étaient faits suffisamment respectés par la fédération, cette dernière n’oserait pas garder sous silence une telle information. Au-delà même du cas Cissé, on note un déficit de communication de la fédération. « L'équipe nationale est dans un bunker.  Les journalistes ne peuvent assister qu'à 15 mn de l'entraînement par jour », regrette un connaisseur.

Pour le reste, les contacts entre l’équipe nationale et la presse sénégalaise sont ceux organisés par la Caf et accessibles à tous les journalistes accrédités, sénégalais ou pas. Il s’agit de la conférence de presse veille des matches ; la CAF fait venir le coach et un joueur pour chaque équipe. C’est aussi la zone mixte après les matches, mais aussi le point de presse des entraîneurs après matches. Du côté de la fédération, c’est presque rien. Les fédéraux avaient promis plus d’ouverture, les journalistes attendent encore ! Aujourd’hui, la presse sportive a intérêt à revoir ses relations avec les dirigeants du football sénégalais, il y va de sa crédibilité.

Mbaye Sadikh

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